Brouillard de Cristal de Jean Baudrillard
La pensée de Baudrillard ne désire pas révéler la vérité. La pensée de Baudrillard n’est pas une réflexion rationnelle qui désire révéler la vérité. « Et la vérité ? Elle (…) ne fait que compliquer l’opération de l’esprit. » Baudrillard serait plutôt un poète de la théorie, un poète de la pensée. Son écriture invente « un nouveau pacte, une complicité totale envers les apparences, ses obligations, aucune envers la vérité. » (Exilés du Dialogue) La pensée selon Baudrillard apparait ainsi comme un essai, comme une tentative, à la fois une tentative et une tentation métaphysique. Penser pour Baudrillard c’est inventer des hypothèses, c’est inventer des formes hypothétiques afin de séduire, de charmer et de provoquer les formes du monde.
Baudrillard n’a pas une conception rationnelle de la pensée. Pour Baudrillard, la pensée n’est pas séparée du monde. Pour Baudrillard, l’homme ne pense pas devant le monde. Pour Baudrillard, l’homme pense à l’intérieur du monde, l’homme pense avec le monde, l’homme pense par le monde. C’est pourquoi pour Baudrillard la pensée de l’homme à des effets sur le monde comme le monde a des effets sur la pensée de l’homme. « La théorie ne peut se contenter de décrire et d’analyser, il faut qu’elle fasse événement dans l’univers qu’elle décrit. » Pour Baudrillard penser, ce n’est pas comprendre ou juger le monde. Pour Baudrillard penser c’est immiscer des hypothèses à l’intérieur du monde, à l’intérieur du jeu du monde. Baudrillard ne pense pas par concepts, Baudrillard pense par hypothèses. Baudrillard pense par formes, par hypothèses de formes. Baudrillard pense par formes fatales, par hypothèses de formes fatales. En cela il accomplit une intuition de Nietzche. « Jusqu’où un individu peut aller en vivant sur des hypothèses, comme on s’embarquerait sur un océan sans limites, au lieu de s’appuyer sur des « croyances », donne la suprême mesure de la force. »
L’écriture de Baudrillard cherche ainsi à révéler une toute puissance de la pensée, cependant cette toute-puissance de la pensée n’est pas humaine. Pour Baudrillard, il y a une toute-puissance de la pensée et cette pensée apparait inhumaine, et cette pensée apparait comme celle-là même du monde. « C’est notre pensée qui règle le monde à condition de penser d’abord que c’est le monde qui nous pense. » « La pensée est autre chose que la réflexion humaine, trop humaine, c’est plutôt la réfraction de ce qu’il y a d’inhumain dans le monde. On pourrait dire aussi bien, c’est l’inhumain qui nous pense. » A l’intérieur de l’écriture de Baudrillard la pensée survient ainsi comme séduite par l’extase du monde lui-même. Pour Baudrillard, la pensée apparait comme une manière de répondre au jeu du monde, au jeu d’extase du monde, à l’extase d’illusion du monde.
Baudrillard affirme l’inhumanité de la pensée. Pour Baudrillard ce qui pense, ce n’est jamais l’humain, ce n’est jamais un sujet humain, ce n’est jamais l’espèce humaine. Pour Baudrillard, l’homme n’est pas le sujet de la pensée. Pour Baudrillard l’homme serait plutôt ce qui apparait touché, séduit et parfois même détruit par les métamorphoses inhumaines du monde. Et la pensée survient ainsi par cette séduction ou cette destruction. « La pensée de l’Humain ne peut venir que d’ailleurs et non pas de lui-même – l’inhumain est son seul témoignage. Lorsqu’il veut se définir, en excluant l’inhumain précisément, il tombe dans le dérisoire. (…) La pensée ne vit qu’aux confins de l’humain, à la limite asymptotique de l’inhumain. » Cool Memories 3
« L’illusion est l’évidence même, celle de l’apparence sensible. »
Baudrillard affirme que le monde nous offre à chaque instant une masse de formes innombrables, une masse d’illusions innombrables, une masse de formes illusoires innombrables et il considère aussi que la pensée apparait comme le geste par lequel celui qui écrit essaie de répondre à cette offrande du monde par une autre offrande. C’est comme si pour Baudrillard il y avait une sorte de gigantesque potlatch, de potlatch démesuré qui se jouait à chaque instant entre celui qui écrit et le monde. Le pari, le défi de la théorie de Baudrillard c’est alors de transposer ce qui s’accomplissait comme rituel dans des sociétés primitives (à savoir l‘offrande a des divinités inhumaines) à l’intérieur de l’espace même de la théorie. Le pari paradoxal de Baudrillard c’est d’inventer une forme d’écriture qui aurait une structure rituelle, une forme d’écriture comme rituel d’un seul, comme rituel de la pensée d’un seul, une forme d’écriture comme rituel de la solitude, comme rituel de solitude de la pensée. Baudrillard tente ainsi de transformer la théorie en cérémonie, en une cérémonie d’hypothèses, en une cérémonie d’hypothèses fatales.
Pour Baudrillard, la pensée apparait comme une passion. Pour Baudrillard, la pensée apparait comme la passion de l’indifférence, comme paroxysme de l’indifférence, comme passion paroxystique de l’indifférence. Il y a dans la théorie de Baudrillard une tentation d’affirmer la pensée comme passion rituelle, comme passion rituelle de l’indifférence, comme passion rituelle d’apparaitre et de disparaitre, comme passion rituelle d’apparaitre et disparaitre avec une extrême indifférence.
Baudrillard affirme ainsi la pensée comme passion du destin, comme passion d’indifférence du destin, comme passion d’indifférence paroxystique du destin. La pensée de Baudrillard n’est pas cependant dépourvue d’affect. Paradoxalement l’affect pour Baudrillard apparait comme un affect d’indifférence. Baudrillard apparait ainsi uniquement affecté par le destin. Le reste pour Baudrillard c’est le réel, ce n’est que le réel, reste du réel qui ne provoque cette fois aucun affect, aucune passion.
Pour Baudrillard, la pensée n’est pas ce qui interprète l’énigme du monde. Pour Baudrillard la pensée apparait plutôt comme ce qui répond à l’énigme du monde, comme ce qui répond à l’énigme du monde par une autre énigme. Pour Baudrillard la pensée apparait comme ce qui transforme à chaque instant l’énigme du monde. « Le monde nous a été donné comme énigmatique et inintelligible, et la tâche de la pensée est de le rendre encore plus énigmatique et inintelligible. » Par cette manière d’affirmer la pensée comme puissance de renouvellement de l’énigme, force de métamorphose de l’énigme, Baudrillard est alors bizarrement proche de R. Char « Qui croit renouvelable l’énigme la devient. »
Le charme étrange de l’œuvre de Baudrillard c’est d’affirmer l’antériorité absolue des apparences sur le sens. Ce que l’écriture de Baudrillard révèle ce n’est pas la vérité d’un sens, c’est une énigme, l’énigme des apparences du monde. « Quand les choses vont plus vite que leurs causes, elles ont le temps d’apparaitre, de se produire comme apparences avant même de devenir réelles, c’est alors qu’elles gardent leur puissance de séduction. »
Selon Baudrillard, les apparences provoquent des illusions comme elles composent un jeu. Selon Baudrillard, les apparences du monde du monde composent le jeu du destin. Selon Baudrillard, les apparences du monde inventent à chaque instant le jeu du destin.
La pensée de Baudrillard méprise à la fois la vérité et le sens. La pensée de Baudrillard affirme ainsi la forme de la séduction. « La séduction est ce qui ôte au discours son sens et le détourne de sa vérité. » « Avant d’avoir été produit, le monde a été séduit, (…) il n’existe comme toute chose et nous même, que d’être séduit. » « Ce qu’il faut substituer au péché originel, ce n’est ni le salut final, ni l’innocence, c’est la séduction originelle. » L’Autre par lui-Même
Par l’affirmation de la séduction du monde, Baudrillard essaie de trouver une forme de démesure. Par l’affirmation de la séduction de la séduction des choses du monde, Baudrillard essaie de trouver l’extase d’une démesure. Le devenir chose de Baudrillard apparait ainsi comme une forme paradoxale d’hubris. « La séduction est ce qui vous arrache à votre propre désir pour vous rendre à la souveraineté du monde. » Les Stratégies Fatales
Par l’affirmation de la séduction du monde, Baudrillard s’extrait aussi de la croyance psychanalytique en la toute-puissance énergétique du désir. La séduction selon Baudrillard révèle ainsi une cérémonie du monde, une cérémonie du monde comme suite insensée des apparences. « La séduction est ce qui arrache les êtres à la sphère psychologique du phantasme (…) pour les rendre au jeu vertigineux et superficiel des apparences. » Les Stratégies Fatales
Il y a une volonté de devenir chose dans la pensée de Baudrillard, de devenir chose afin de s’abstraire du désir et d’affirmer ainsi la passion de séduire. « Nous sommes objets au moins autant que sujets, et de façon sans doute plus originale - non pas objets passifs, mais objets passionnés avec des pulsions venues du fond de l’être-objet. » Les Stratégies Fatales
La pensée de Baudrillard révèle une passion comme une utopie, une passion de l’utopie. La pensée de Baudrillard invente une forme d’utopie littérale. « La pensée … tout en dispersant les traces, laisse intacte la littéralité du monde, intacte la littéralité pure des objets, mais en volatilisant leur sens. » Le Pacte de Lucidité. Baudrillard essaie ainsi de créer une forme de littéralité étrange, une forme de littéralité fatale. L’écriture de Baudrillard affirme une littéralité fatale de l’exactitude. « Quelqu’un disait, tout est vrai, rien n’est exact. Je dirais l’inverse, rien n’est vrai, tout est exact. »
Quel serait pour l’espace l’équivalent de l’éternité ? La négation du mouvement, l’immobilité ou le mouvement perpétuel ? » Cool Memories. Pour Baudrillard, la forme de l’immortalité de l’espace ce serait ce qu’il nomme l’utopie, l’utopie c’est à dire précisément là où l’immobilité et le mouvement perpétuel coïncident et s’échangent de manière réversible.
La pensée de Baudrillard survient ainsi comme utopie, comme utopie des apparences immortelles, comme utopie des apparences immortelles de l’espace, comme utopie des apparences immortelles du monde. « Il n’y a plus d’espoir pour le sens. Et sans doute est-ce bien ainsi … Mais ce sur quoi il (le sens) a imposé son règne éphémère, ce qu’il a pensé liquider pour imposer le règne des lumières, les apparences, elles sont immortelles, invulnérables au nihilisme même du sens et du non-sens, c’est là où commence la séduction. »
La pensée de Baudrillard comme forme de l’utopie essaie ainsi d’affirmer un devenir-chose de l’idée. La théorie selon Baudrillard apparait comme ce qui parvient à transformer la pensée en chose du monde ou en événement du monde. « S’il y a un secret de l’illusion, c’est de prendre le monde pour le monde et non pour son modèle. C’est de rendre au monde la puissance formelle de l’illusion, ce qui est tout un que de redevenir, de façon immanente, « chose parmi les choses ». » « Le fin du fin c’est que l’idée disparaisse en tant qu’idée pour devenir chose parmi les choses. » Le Crime Parfait
Ecrire pour Baudrillard ce n’est jamais critiquer le réel, c’est plutôt chosifier l’irréalité, chosification de l’irréalité qui est celle de la fiction. Ecrire pour Baudrillard c’est transformer l’irréalité en chose afin qu’elle devienne fiction. « La fiction n’est pas l’imaginaire c’est ce qui anticipe sur l’imaginaire en le réalisant. » Amérique
La pensée de Baudrillard n’est pas réflexive, la pensée de Baudrillard apparait plutôt sidérale. La pensée de Baudrillard survient comme une sidération, comme un réflexe de sidération. La pensée de Baudrillard survient comme réflexe de sidération du langage. « Seuls nous absorbent les signes vides, insensés, absurdes, elliptiques, sans références.» De la Séduction
Baudrillard révèle la virtualité irréelle du monde, l’irréalité virtuelle du monde. Le paradoxe de l’écriture de Baudrillard c’est de considérer que le monde apparait encore plus virtuel et irréel que notre pensée. En effet c’est comme si pour Baudrillard la pensée n’était pas ce qui irréalisait la présence du monde et que la pensée était plutôt ce qui joue avec un monde toujours déjà irréel.
Selon Baudrillard c’est comme si il y avait du temps à l’intérieur de l’espace. Pour Baudrillard, c’est comme si il y avait du temps à l’intérieur du vide entre les choses, c’est comme si l’intervalle vide entre les choses était la forme même du temps.
« La constellation du secret »
Selon Baudrillard, le secret n’est jamais caché. Le secret apparait toujours visible comme une étoile à l’intérieur du ciel, comme une forme stellaire à l’intérieur du ciel. Selon Baudrillard, le secret c’est que chaque chose ne coïncide jamais avec sa visibilité. Le secret c’est qu’entre une chose et sa visibilité, il y a un vide de temps, il y a à la fois un vide d’espace et un vide de temps. Le secret c’est qu’entre chaque chose et sa forme visible il y a le vide de la réversibilité même de l’espace et du temps.
Selon Baudrillard, la cérémonie du monde, la cérémonie symbolique du monde c’est précisément que les choses se parlent, se répondent les unes les autres sans être cependant présentes les unes aux autres. Pour Baudrillard les choses se donnent forme les unes les autres précisément parce qu’il y a du temps entre les choses, parce qu’il y a le temps comme vide de l’espace entre les choses. Les choses du monde ainsi s’inventent, se métamorphosent par le geste même de partager le temps sans partager le présent, par le geste de partager le vide du temps avant même que le présent n’ait lieu. Selon Baudrillard la cérémonie symbolique du monde, c’est que les choses se parlent et se métamorphosent les unes les autres par le temps même de leur disparition. « La physique moderne nous livre d’autres schémas que celui de notre principe de réalité. Celui-ci repose sur la distinction des choses entre elles mais sur leur corrélation dans le même espace - leur présence les unes aux autres. Celui de la physique repose au contraire sur l’inséparabilité mais sur l’absence des choses les unes aux autres (…) Les particules sont inséparables mais à des années-lumière. (…) Que tout soit secrètement inséparable mais que rien ne communique véritablement, c’est à dire ne transite par le même monde dit réel, que seuls s’échangent des effets singuliers venus de temps et d’espace, d’êtres et d’objets qui ne sont pas à proprement parler « réels » les uns pour les autres, (…) c’est là l’illusion objective du monde. » Le Crime Parfait
« Bien au-delà des mœurs à découvrir, c’est l’immoralité de l’espace à parcourir qui compte. » Amérique
La pensée de Baudrillard révèle ainsi les formes immorales de l’espace comme les formes immorales du temps. La passion d’indifférence de la pensée de Baudrillard essaie de révéler la réversibilité immorale du temps en espace comme de l’espace en temps.
La séduction sidérale de la pensée de Baudrillard révèle le devenir-temps de l’espace comme le devenir-espace du temps. Baudrillard invente ainsi une forme d’échange symbolique entre le temps et l’espace. « Dans une autre constellation mentale, peut-on imaginer que le temps devienne une sorte d’espace où l’on puisse se mouvoir dans toutes les directions, revenir au point d’origine etc ? Inversement l’espace pourrait-il devenir comme le temps : irréversible, tel qu’on puisse revenir sur ses pas ni retrouver le point d’où l’on est parti ? » Cool Memories 5
Il y a un aspect quasi-holderlinien dans l’attention de Baudrillard pour les rimes de temps, pour la répétition d’un même signe d’un instant à un autre, pour la répétition d’un même signe entre deux instants. Pour Baudrillard, cette répétition apparait comme la forme même du destin. En effet pour Baudrillard le fatal c’est quand le signe de l’apparition coïncide avec le signe de la disparition ou encore quand la forme de l’apparition rime avec la forme de la disparition, quand la forme de l’apparition rime à l’intérieur du temps avec la forme de la disparition. « Le fatal c’est lorsque le même signe préside à l’apparition et la disparition de quelque chose. » La Transparence du Mal
Baudrillard pense ainsi le destin de manière à la fois holderlinienne et nietzschéenne comme répétition du temps, comme rime des événements à l’intérieur du temps, comme rime des événements à l’intérieur du vide du temps, rime des événements par laquelle coïncide leur apparition et leur disparition.
« Aucune vie ne se conçoit sans la forme d’une échéance seconde. (...) A partir d’un certain moment, ces événements seconds forment la trame même de la vie, où donc plus rien n’a lieu au hasard. Ce qui a lieu au hasard, c’est l’événement premier, qui n’a pas de sens en lui-même er se perd dans la nuit banale du vécu. Seul son redoublement en fait un événement véritable, lui donnant le caractère d’une échéance fatale. » Les Stratégies Fatales. Le fatal selon Baudrillard révèle ainsi la coïncidence de la vie et de la mort, du commencement et de la fin, de l’apparition et de la disparition, coïncidence par laquelle commencement et fin, apparition et disparition se séduisent l’un l’autre.
Pour Baudrillard, il n’y a qu’un monde c’est celui du destin. Pour Baudrillard, la présence de la matière n’est pas le monde. Pour Baudrillard, le réel n’est pas le monde. Pour Baudrillard, le réel est un ordre, un ordre rationnel, un ordre parfaitement rationnel, cependant cet ordre du réel n’atteint jamais la gloire d’apparaitre comme monde. Pour Baudrillard, le réel, l’ordre du réel n’est qu’un ersatz de monde. « Le réel en général est la forme abolie et désenchantée du monde. » De la Séduction. Pour Baudrillard, ce n’est ni la présence de l’existence, ni l’ordre rationnel du réel qui donne forme à un monde. Pour Baudrillard, ce qui fait apparaitre le monde c’est le destin, ce qui fait apparaitre le monde c’est l’ellipse du destin. Pour Baudrillard, ce qui fait apparaitre le monde c’est la séduction du destin, c’est l’ellipse de séduction du destin.
Pour Baudrillard, ce qui fait apparaitre le monde c’est le vol du destin, c’est le vol de démesure du destin. En effet pour Baudrillard, il n’y a de monde que séduit et volé. Pour Baudrillard, il n’y a de monde que volé par l’extase même des apparences, que séduit c’est à dire volé par la métamorphose des apparences, par l’extase de métamorphose des apparences. Pour Baudrillard, il n’y a de monde que volé par l’aisance des apparences, par la métamorphose d’aisance des apparences, par l’extase de métamorphose aisée des apparences.
Pour Baudrillard, le destin n’est pas l’assujettissement de l’existence à une instance transcendante. Pour Baudrillard, le destin c’est plutôt ce qui provoque la disparition objectale de l’existence, la volatilisation objectale de l’existence, l’évanouissement objectal de l’existence par la répétition d’une seule et unique forme. Pour Baudrillard, le fatal c’est la répétition d’une forme qui abstrait l’existence de tout sens, qui abstrait un fragment d’existence en dehors du sens.
« Le signe de l’apparition des choses est aussi celui de leur disparition. L’emblème de l’élévation est celui de la chute... ça c’est le destin. Et vous pouvez toujours y aller de vos interprétations, c’est inutile. L’efficace d’un seul signe, ça ne concerne pas forcement une vie entière, ça peut n’être qu’une brève séquence mais d’un enchainement fatal, ni rationnel, ni accidentel : rien de moins accidentel qu’un même signe qui préside au début et à la fin. »
Et qui sait même pour Baudrillard non seulement le destin ne concerne pas une vie entière mais surtout et plus radicalement encore le destin survient comme ce qui esquive la vie entière, comme la forme de vide qui toujours esquive la vie entière, qui toujours esquive l’identité de la vie. Pour Baudrillard le destin survient comme l’ellipse même de l’existence. Pour Baudrillard, le destin élide, élude, esquive la totalité de la vie en tant que substance insignifiante. Pour Baudrillard, le destin survient comme ellipse de la vie, ellipse du réel et même ellipse du monde par la répétition d’une forme unique, par la répétition d’une forme vide, par la répétition d’une forme unique vide.
Baudrillard n’écrit pas afin de changer le monde, afin de révolutionner le monde. Baudrillard écrit plutôt afin d’effectuer l’ellipse du monde, l’ellipse de lucidité du monde, l’ellipse d’aveuglement du monde, l’ellipse de lucidité aveugle du monde, l’ellipse d’éclair du monde, l’ellipse d’éclair aveugle du monde. Effectuer ainsi l’ellipse du monde, ce n’est pas l’acte d’anéantir le monde, c’est plutôt le geste d’éluder le monde, le geste extatique d’éluder le monde. Pour Baudrillard, accomplir l’ellipse du monde ce n’est pas seulement réversibiliser le monde, c’est aussi surtout réversibiliser le vide du monde, c’est réversibiliser l’utopie du monde, l’utopie de vide du monde.
Pour Baudrillard, la déchirure de la pensée apparait comme la courbure même du monde. Pour Baudrillard, la schizophrénie du réel et du rêve n’est ni une schizophrénie psychique, ni une schizophrénie matérielle, c’est plutôt une schizophrénie objectale, une schizophrène à la fois objectale et fatale, une schizophrénie fatalement objective et objectivement fatale, la schizophrénie objectale du destin.
Baudrillard ne révèle pas la pensée en tant que courbure de l’horizon. Baudrillard indique plutôt la pensée comme courbure de l’éclair, comme courbure schizophrène de l’éclair. Pour Baudrillard, la pensée apparait comme une ellipse de foudre, une ellipse de foudre qui dissocie utopiquement le monde, qui dissocie le monde comme utopie, qui dissocie le monde comme utopie fatale.
Il y a à l’intérieur de la pensée de Baudrillard une confiance candide dans les formes du désert. « Toujours cette pensée naïve que la lumière, le feu ou la sécheresse, ne peuvent qu’entretenir chez les hommes les pensées les plus fines. » Cool Memories
Pour Baudrillard, le désert apparait comme le lieu de la transformation de la pierre en air, c’est le lieu où le minéral se volatilise. Le désert c’est ainsi l’espace de la sublimation de la pierre. Le désert c’est précisément le lieu où la présence matérielle se dématérialise. En cela ce serait l’espace par excellence de la pensée.
Pour Baudrillard, le monde mental apparait comme un monde minéral. Pour Baudrillard, le monde mental apparait comme un monde d’érosion, un monde d’érosion aux mouvements immenses et cependant presque invisibles, un monde de danse aussi, un monde de danse minérale où coïncident comme par miracle, par miracle de distinction, par miracle d’élégance, le mouvement et l’immobilité, la vitesse et la lenteur.
Il y a une extrême sensibilité géologique à l’intérieur de la pensée de Baudrillard, une sensibilité en particulier aux formes de la terre et du ciel. Pour Baudrillard, il y a d’abord une relation symbolique entre la terre et le ciel. Pour Baudrillard, la terre et le ciel se répondent l’un à l’autre. Pour Baudrillard aussi, la terre et le ciel se reflètent l’un l’autre. Pour Baudrillard la terre et le ciel apparaissent à chaque instant comme les miroirs l’un de l’autre.
La pensée de Baudrillard apparait ainsi scandée par d’innombrables rêveries géologiques. Celle-ci par exemple« Il est dommage que nous n’ayons pas, dans l’univers mental comme dans l’univers minéral, de termes aussi poétiques que stalagmites et stalactites pour désigner ce qui monte et descend à la rencontre l’un de l’autre, sans toujours se rencontrer, et qui par une lente concrétion calcaire des formes de la conscience – dropping subliminal- fait de notre cerveau un labyrinthe architectural. » Ou encore celle-là « Les cultures prises en elles-mêmes ne se rapprochent pas - ou alors avec la lenteur des plaques géologiques. Le rêve de les réconcilier un jour est une absurdité. » Cool Memories 3
« Nous reprochons aux américains de ne savoir ni analyser ni conceptualiser ; (…) non seulement eux ne s’en soucient pas, mais leur perspective est inverse. Non pas conceptualiser la réalité, mais réaliser le concept et matérialiser les idées. » Amérique
La pensée de Baudrillard apparait alors comme une tentative de matérialiser la pensée, de matérialiser l’utopie même de la pensée. Baudrillard essaie d’écrire sur la page, sur le désert de la page, sur la page du désert, sur le désert du papier exactement de la même manière que la civilisation américaine apparait à l’intérieur de l’espace.
Le désert apparait pour Baudrillard comme l’espace de la sidération, comme l’espace de la sidération du hasard. Il y a en effet pour Baudrillard une relation étrange, insensée entre le désert et le jeu, entre le désert et le jeu de hasard, comme si le désert était l’espace où l’érosion de la matière jouait à un immense jeu énigmatique. « Il y a une affinité mystérieuse entre la stérilité de l’espace et celle du jeu. » « Affinité secrète du jeu et du désert : l’intensité de jouer redoublée par la présence du désert aux confins de la ville (Las Vegas). » Amérique
Il y a ainsi à intérieur de l’écriture de Baudrillard une intuition extrêmement intense de la lenteur de l’érosion, du vertige de l’érosion, du vertige de lenteur de l’érosion. Baudrillard voit la terre à la fois comme une étoile lointaine et une planète proche, une étoile lointaine par sa visibilité même et une planète proche par son érosion, par son érosion invisible. Baudrillard a la vision de la terre comme étoile de l’érosion.
« J’ai cherché la catastrophe future et révolue du social dans la géologie, dans ce retournement de la profondeur dont témoignent les espaces striés, les reliefs de sel et de pierre, les canyons où descend la rivière fossile, l’abime immémorial de lenteur que sont l’érosion et la géologie jusque dans la verticalité des mégapoles. » Amérique
Baudrillard essaie ainsi d’inventer une théorie qui survienne comme érosion verticale, comme vertige d’une érosion verticale. La pensée comme forme de l’utopie de Baudrillard essaie d’affirmer la catastrophe du monde comme érosion verticale, comme érosion verticale de la sidération.
Pour Baudrillard, le désert révèle ainsi une catastrophe de charme, la catastrophe de charme de l’érosion, la catastrophe de charme de l’espace, la catastrophe de charme de l’érosion comme espace, la catastrophe de charme du silence de temps la catastrophe de charme du silence du temps comme érosion de l’espace.
La pensée comme forme d’utopie de Baudrillard n’essaie pas de comprendre ou de réfléchir le monde. La pensée comme forme d’utopie de Baudrillard essaie de sidérer le monde c’est à dire à la fois de défier et de fasciner le monde, à la fois de séduire et de fasciner le monde, de séduire et de fasciner le monde afin de transformer le monde en désert stellaire, en désert d’inscription stellaire, en désert d’écriture stellaire.
L’imagination géologique de Baudrillard apparait parfois aussi comme une imagination charnelle. En effet pour Baudrillard, les métamorphoses de la pierre surviennent de manière parfois comparable à celles du corps. Ainsi c’est comme si Baudrillard pensait par ellipses de géologie, par ellipses de géologie organique. « Dans les vallées indiennes de l’Altiplano, les indiens vivent comme à l’intérieur de leur propre corps transfiguré. La pierre y a la substance de la chair et les couleurs, ocre, verts, noir, pastel, oxydées sont les couleurs de l’intérieur du corps, des muqueuses, des stéréoscopies organiques. » Cool Memories 3
« Le désert est (…) une extension de la faculté d’absence (celle de l’homme), le schème idéal de sa forme disparue. » « Car le désert n’est que cela : une critique extatique de la culture, une forme extatique de la disparition. » Amérique
Pour Baudrillard, le désert révèle ainsi l’espace de la disparition. Pour Baudrillard, le désert révèle le silence de la disparition, l’espace de silence de la disparition, le silence d’espace de la disparition ou plutôt le silence du temps comme espace de la disparition. « Reliefs inverses, sculptés en profondeur par le vent, l’eau, la glace, ils nous entrainent dans le vertige du temps, dans l’étrangeté minutieuse d’une catastrophe au ralenti. » Amérique
Le désert de Baudrillard révèlerait aussi qui sait des idées semblables à celles que Deleuze évoque dans son texte de Critique et Clinique à propos de T.E Lawrence. « L’Idée ou l’Abstrait n’a pas de transcendance. L’Idée s’étend à travers l’espace, elle est comme l’ouvert… La lumière est l’ouverture qui fait l’espace, les idées sont des formes qui s’ouvrent dans l’espace suivent des directions de mouvements. »
La ligne géologique de la pensée de Baudrillard serait parfois alors semblable à la ligne de fuite de Deleuze à cette différence près que cette ligne géologique de Baudrillard ne déterritorialise pas un pays ou un extrait de territoire, cette ligne géologique de la pensée déterritorialise la globalité de la terre elle-même. Cette ligne géologique et stellaire de la pensée apparait comme celle par laquelle Baudrillard parvient à dédoubler la terre, à projeter la terre en orbite autour d’elle-même.
Il y a pour Baudrillard une transparence de la pensée. Et cette transparence de la pensée est parfois celle de la chaleur. Pour Baudrillard, la chaleur a l’aspect du rêve. La chaleur suscite l’effervescence cristalline du rêve, la vitalité irréelle du rêve. « La chaleur (…) vous enveloppe déjà comme un rêve, comme une forme voilée de l’inconscient. Rien n’y est refoulé, tout passe dans l’agitation insensée des molécules. » Cool Memories « Il faut être à la fois totalement vital et totalement irréel. » Cool Memories. Pour Baudrillard, le mirage de vapeur de la chaleur c’est l’inconscient visible, c’est l’inconscient devenu visible. Pour Baudrillard, la chaleur c’est l’inconscient qui s’évapore comme une hallucination en suspens à la surface même de la terre.
Pour Baudrillard, il y a aussi dans la chaleur une sorte excitation asexuée, une excitation chaste, une sorte de copulation ironique, de copulation ironique des atomes. « La chaleur crée une sorte d’extraversion panique de nos perceptions (…). Elle nous tient quitte de la sexualité. (…) Tout copule avec la chaleur, l’ironie grandit sous le soleil et l’ombre du corps se rétrécit. » Cool Memories. Cette copulation d’ironie de la chaleur, ce coït d’ironie de la chaleur c’est le prodige hallucinatoire de la pâmoison. « Rien de plus libérateur que la grande chaleur puisque nous rendons alors au soleil, dans une équivalence somnambulique, toute l’énergie qu’il nous dispense. Nous ne sommes plus que le miroir d’une équivalence thermique et sans mémoire. Et ceci est plus beau que l’état de désir, c’est, comme les anciens le distinguaient finement, l’état de pamoison. » Cool Memories. Ainsi parmi la chaleur, le corps devient une pure image, une pure image ironique de l’énergie solaire qu’il reçoit. Parmi la chaleur le corps devient la pure image de la pamoison, la pure image ironique de la pamoison. La réversibilité de la chaleur charme Baudrillard parce qu’elle provoque « l’extraversion totale du corps ». La chaleur change le corps en fantôme inorganique, en spectre mental, en fantôme inorganique de la pamoison, en spectre mental de la pamoison.
L’écriture de Baudrillard essaie ainsi de volatiliser la terre. L’écriture de Baudrillard essaie de transformer la terre en éther. L’écriture de Baudrillard essaie de transformer la présence de la terre en disparition de l’éther.
L’écriture de Baudrillard essaie de volatiliser la terre pourtant elle ne la dématérialise pas. La pensée de Baudrillard préfère plutôt transsubstantier la terre comme abstraction, comme abstraction volatile. « L’immatérialité des signes m’est étrangère, comme à une race de paysans dont je partage la morale obsessionnelle. » Cool Memories. Ainsi la théorie de l’irréalité du monde de Baudrillard n’est pas celle de son immatérialité. Baudrillard affirme paradoxalement que l’irréalité du monde, que l’illusion du monde apparait toujours matérielle, que l’illusion du monde apparait toujours minérale, que l’illusion du monde apparait toujours comme une forme minérale. Pour Baudrillard, l’illusion du monde apparait précisément comme la pulsation de sa minéralité, comme la pulsation volatile de sa minéralité.
Suivre la ligne géologique et stellaire du destin c’est ainsi pour Baudrillard une manière d’affirmer une attitude obsessionnelle envers la terre. Suivre la ligne géologique et stellaire du destin c’est même aussi une manière d’apparaitre « paranoïaque avec le feu, obsessionnel avec la terre, schizophrène avec l’eau et hystérique avec le vent. »
Pour Baudrillard, penser c’est alors comme pour Rimbaud voler selon. Pour Baudrillard, penser c’est voler selon la volatilisation de la terre, c’est voler selon la volatilisation de la terre en éther, selon la métamorphose de la terre en éther. Et ce qui pour Baudrillard accomplit instantanément cette volatilisation de la terre en éther, c’est le désert. Pour Baudrillard, le désert c’est la terre qui devient à chaque instant ciel. Pour Baudrillard, le désert c’est la terre qui à chaque instant se transmute en ciel, c’est de la terre qui a chaque instant se sublime en ciel.
Selon Baudrillard, l’érosion révèle la forme du rêve. « L’érosion, comme la sédimentation ont la lenteur du rêve. » Cool Memories. Ainsi c’est comme si pour Baudrillard les formes géologiques et stellaires donnaient forme aux pulsions de la pensée, aux pulsions irréelles de la pensée. C’est comme si pour Baudrillard les forces à la fois telluriques et stellaires du monde provoquaient les multiples métamorphoses de la pensée. Il y a ainsi une imagination cosmologique prodigieuse à l’intérieur de l’écriture de Baudrillard, une imagination cosmologique sans aucune emphase, une imagination cosmologique extrêmement subtile et presque discrète. Cette cosmologie extrêmement subtile de Baudrillard c’est simplement une cosmologie de la séduction.
« Toute vie a deux trajectoires : l’une linéaire et irréversible, celle du vieillissement et de la mort, l’autre elliptique et réversible, celle d’une révolution des mêmes figures selon un enchainement qui ne connait ni l’enfance, ni la mort, ni l’inconscient, et ne laisse rien derrière elle. » Cool Memories
Pour Baudrillard, suivre la ligne géologique et stellaire c’est ainsi une manière d’inventer des ellipses d’érosion, une manière de métamorphoser le temps par les ellipses d’érosion du destin. En effet pour Baudrillard la ligne géologique comme stellaire du destin apparait à la fois comme la forme qui répète le temps, comme la forme qui répète l’intégralité du temps et comme celle qui la réversibilise. La ligne géologique et stellaire du destin apparait comme ce qui fait tourner le temps, comme ce qui fait tourner le temps à la fois sur lui-même et en dehors de lui-même. La ligne géologique et stellaire du destin apparait comme ce qui retourne le temps, comme ce qui réversibilise le temps comme un rêve, comme ce qui rêve le temps, comme ce qui rêve l’érosion du temps, comme ce qui rêve le temps comme réversibilité de l’espace, comme réversibilité d’érosion de l’espace, comme réversibilité de transparence de l’espace, comme réversibilité d’érosion transparente de l’espace.
Pour Baudrillard, désert et océan sont indissociables. Pour Baudrillard, désert et océan apparaissent comme l’envers l’un de l’autre. Dans la vision théorique de Baudrillard le désert apparait comme la forme inversée de l’océan, comme la forme de sa disparition surtout. Pour Baudrillard, l’apparaitre du désert indique le lieu de disparition de l’océan et à l’inverse aussi l’apparaitre de l’océan indique le lieu de disparition du désert. « Monument Valley, Dead Horse Point, Grand Canyon. Monumentalité géologique donc métaphysique. (Le secret de tout ce pays est peut-être d’avoir été un relief sous-marin et d’avoir gardé une surréalité de relief océanique à l’air libre.) » Amérique
L’idée de réversibilité est souvent pour Baudrillard en relation avec l’océan, c’est à dire avec le désert de l’eau. « L’analyse emporte les concepts jusqu’au point limite de leur réversibilité absolue, jusqu’à leur résolution dans la forme océanique d’une métaphore vertigineuse qui les absorbe. » Cool Memories. Et de même encore la dérive des continents révèle la forme de l’inversion mentale. « Rêve d’un continent à la dérive, où la règle du jeu des espèces, où la forme de l’humain et de l’inhumain seraient bouleversées. Passé l’Equateur, la conscience et l’inconscient devraient basculer comme les pôles, toutes les constellations humaines devraient s’inverser… » Cool Memories. Il y a ainsi dans la théorie de Baudrillard une sorte d’« océanographie des concepts ». Pour Baudrillard, l’océan, le désert d’eau de l’océan apparait comme le lieu d’utopie où toutes les lignes coïncident, comme le lieu d’utopie où les lignes organiques et les lignes géologiques coïncident, où elles se retrouvent et se perdent les unes à l’intérieur des autres.
Baudrillard apparait ainsi séduit par le zéro de l’érosion. Baudrillard apparait séduit par le zéro de la dérive des continents, par le zéro d’érosion de la dérive des continents. Baudrillard apparait séduit par le zéro de translucidité de l’érosion, par le zéro de translucidité de la dérive des continents, par le zéro d’érosion translucide de la dérive des continents.
« Silence intérieur à la vallée elle-même, silence de l’érosion sous-marine, en dessus de la ligne de flottaison du temps comme en dessous du niveau de la mer. »
Il y a un mysticisme de l’écriture chez Baudrillard. L’écriture de Baudrillard affirme une forme de silence absolu. L’écriture de Baudrillard affirme le silence du dehors, le silence du désert comme le silence de l’océan, silence du dehors qui évoque malgré tout aussi paradoxalement le silence intérieur du corps, le silence intérieur de la chair. « Le désert est l’extension naturelle du silence intérieur du corps. » Amérique
Baudrillard pense comme un désert. Baudrillard pense comme le désert photographie. Il y a ainsi dans le désert de Baudrillard un aspect essentiellement photographique. Pour Baudrillard, le désert photographie la terre. L’érosion du désert photographie le temps de la terre. « Le déroulement du désert est infiniment proche de l’éternité de la pellicule. »
Pour Baudrillard, le désert donne ainsi à voir l’inhumanité même de l’existence, l’énigme inhumaine de l’existence, la forme immense de l’énigme inhumaine de l’existence. Pour Baudrillard, le désert apparait comme un immense album, un immense album photographique, un immense album photographique des métamorphoses du monde. Pour Baudrillard, le désert apparait comme un album anthologique du monde, comme une anthologie minérale du monde, une anthologie minérale des métamorphoses du monde. « Ce qui engourdit les sens, l’esprit, et tout sentiment d’appartenance à l’espèce humaine, c’est d’avoir devant soi, le signe pur, inaltéré, de cent quatre-vingt millions d’années, et donc l’énigme impitoyable de votre propre existence. C’est le seul endroit où il soit possible de revivre, en même temps que le spectre physique des couleurs, le spectre des métamorphoses inhumaines qui nous ont précédés, nos devenirs successifs : minéral, végétal, désert de sel, dune de sable, roc, minerai, lumière, chaleur, tout ce que la terre a pu être, toutes les formes inhumaines par où elle est passée, réunies en une seule vision anthologique. »
Ainsi ce que le désert à la fois propose et développe c’est une forme de photographie paradoxale, une photographie sans réflexion. « Le silence du désert est aussi visuel. Il est fait de l’étendue du regard qui ne trouve nulle part où se réfléchir. » Ainsi pour Baudrillard la sidération du désert apparait précisément comme celle du silence d’une vision, du silence d’une vision irréfléchie.
Il y a donc chez Baudrillard comme chez Barthes un imaginaire photographique de la pensée. « Le regard photographique ne sonde ni n’analyse une « réalité ». Il se pose « littéralement » sur la surface des choses. » L’Echange Impossible. Ce que Baudrillard cherche à photographier ce n’est pas l’apparition du monde, c’est plutôt sa disparition. « Chaque objet photographié n’est que la trace laissée par la disparition de tout le reste. Du haut de cet objet exceptionnellement absent du reste du monde, vous avez sur le monde une vue imprenable. » Cool Memories
Cette disparition du monde que la pensée photographie c’est aussi pour Baudrillard sa littéralité, sa littéralité irréelle, son irréalité littérale. La pensée comme photographie de Baudrillard invente ainsi des images littérales, des images à la fois silencieuses et littérales. « « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire » - mais on peut le taire avec des images. » L’Echange Impossible. « Trouver une littéralité de l’objet, contre le sens et l’esthétique du sens, telle est donc la fonction subversive de l’image devenue elle-même littérale. » L’Echange Impossible
La pensée comme photographie de Baudrillard essaie ainsi de révéler le silence de la vision, la lettre de la vision, le silence littéral de la vision. La pensée comme photographie de Baudrillard essaie de révéler le silence littéral de la vision c’est-à-dire le silence de la sidération. Les images que cette pensée-photographie provoque restent en effet en dehors du sens. Cette image littérale de la pensée-photographie selon Baudrillard apparait alors comme « la consécration de tout ce qui doit un jour où l’autre se métamorphoser pour se taire. »
La pensée de Baudrillard apparait ainsi à la fois comme un geste photographique et comme un geste rituel. Baudrillard essaie de penser comme s’il accomplissait un rituel de photographie, comme s’il accomplissait une cérémonie de photographie.
La pensée comme photographie de Baudrillard est ainsi une forme de pensée mystique. Baudrillard essaie de révéler le silence de l’image, à savoir le silence de ce qui apparait à la fois en dehors du réel et en dehors du sens. « Le silence de la photo … silence de l’image qui se passe de tout commentaire… silence de l’objet aussi qu’elle arrache au contexte tonitruant du monde réel. Quels que soient, la violence, la vitesse, le bruit qui l’entourent, la photo rend l’objet à l’immortalité et au silence. En pleine turbulence, elle recrée l’équivalent du désert, de l’immobilité phénoménale. »
Il y a une mystique de la photographie chez Baudrillard cependant cette mystique n’est pas celle de la révélation d’un visage. En effet pour Baudrillard la photographie révèle plutôt un profil qu’une face. Pour Baudrillard photographier c’est révéler le profil du monde. « Silence du monde et immobilité du monde autour de soi. On peut rêver de donner à la vie ce profil. » Cool Memories 3
Pour Baudrillard, la pensée photographie l’utopie. Pour Baudrillard, la pensée photographie l’utopie de l’événement comme l’événement de l’utopie. Pour Baudrillard, la forme désertique de la pensée photographie l’utopie de l’événement comme l’événement de l’utopie.
Penser pour Baudrillard c’est métamorphoser l’horizon en cristal. Penser pour Baudrillard c’est métamorphoser la courbure de l’horizon en cristal, en dérive de continent du cristal.
Baudrillard affirme la clarté du brouillard. La pensée de Baudrillard invente une extrême clarté qui voyage à dos de brouillard. Baudrillard affirme la pensée comme brouillard de cristal.
Baudrillard méprise la vérité des concepts. Baudrillard préfère en effet toujours la clarté de la pensée à la vérité des concepts. Le style de Baudrillard apparait ainsi comme celui d’un poignard de clarté, d’un poignard de clarté qui vogue parmi le brouillard, d’un poignard de clarté qui vogue à l’intérieur d’un brouillard d’abstraction.
Pour Baudrillard la force de la pensée n’est pas celle de l’énergie de la lumière. Pour Baudrillard la force de séduction de la pensée, c’est plutôt de métamorphoser la vitesse de la lumière, c’est plutôt de métamorphoser la vitesse de la lumière en vitesse relative. La séduction de la pensée de Baudrillard c’est de parvenir à la fois à détourner et à ralentir la lumière. Le jeu fatal de la pensée de Baudrillard c’est de parvenir à séduire la lumière, de parvenir à chosifier la lumière afin de séduire la lumière, afin de séduire la lumière à l’intérieur d’un brouillard de cristal, afin de séduire la lumière à l’intérieur d’un brouillard de lenteur, à l’intérieur du brouillard de cristal de la lenteur.
Savoir comment ralentir la lumière c’est ainsi l’utopie sublime de la pensée de Baudrillard.
« Et si la lumière ralentissait jusqu’à descendre à des vitesses « humaines » ? Si elle nous baignait d’un flux d’images ralenti, jusqu’à se faire plus lente que notre propre démarche ? (…) Ou bien les corps pourraient se rapprocher de nous, si la lumière est supposée très lente, plus vite que leur image, et qu’adviendrait-il ? Ils nous heurteraient sans que nous les ayons vus venir. On peut imaginer d’ailleurs, à l’inverse de notre univers, où des corps lents se meuvent tous à des vitesses très inférieures à celles de la lumière, un univers où les corps se déplaceraient a des vitesses prodigieuses, sauf la lumière qui, elle, serait très lente. Un chaos total, qui ne serait plus réglé par l’instantanéité des messages lumineux.
(…) Ou encore la lumière se déplaçant avec la lenteur des continents, des plaques continentales, glissant l’un sur l’autre et provoquant ainsi des séismes qui distordraient toutes nos images et notre vision de l’espace. » Les Stratégies Fatales.
(Les plus beaux instants de la pensée de Baudrillard sont ainsi ceux où il reprend une théorie scientifique et où il l’intensifie de manière poétique.)
Pour Baudrillard la tentation de l’écriture n’est pas de penser à la vitesse de la lumière. Pour Baudrillard, la tentation de l’écriture, c’est de séduire la lumière, c’est de séduire la lumière par la forme même de sa disparition, c’est de séduire la lumière par l’extase de sa disparition, par la forme extatique de sa disparition.
Pour Baudrillard, la lumière ne révèle pas la vérité. Pour Baudrillard, la lumière serait plutôt ce qui reste de l’écriture. Pour Baudrillard, la lumière serait ce qui reste de la mystification de l’écriture, ce qui reste de la mystification fatale de l’écriture. Pour Baudrillard, la lumière serait ce qui reste de l’écriture du monde, de la mystification fatale de l’écriture du monde.
« Comme les étoiles mortes, leur lumière ne nous parvient que lorsqu’elles n’existent déjà plus. »
La théorie de Baudrillard c’est ainsi de considérer l’intégralité du monde visible comme celle d’une étoile morte. Pour Baudrillard l’existence elle-même apparait comme une étoile morte. Penser pour Baudrillard c’est ainsi considérer l’étoile morte de l’existence. En effet c’est comme si pour Baudrillard un événement visible était toujours celui d’une disparition, était toujours celui d’un monde disparu.
« Il faudrait alors généraliser le cas où la lumière nous provient d’étoiles qui ont depuis longtemps disparu - leur image traverse les années-lumière pour nous parvenir encore. Si la lumière était infiniment plus lente, une foule de choses et des plus proches, aurait déjà subi le destin de ces étoiles : nous les verrions, elles seraient là, mais elles n’y seraient déjà plus. Le réel ne serait-il pas lui-même dans ce cas : quelque chose dont l’image nous parvient encore mais il n’y est déjà plus. » Les Stratégies Fatales
Selon Baudrillard, le monde apparait comme une étoile lointaine et aussi surtout c’est chaque fragment du monde qui apparait à destination des autres fragments du monde à la manière d’un astre disparu. Selon Baudrillard, chaque fragment du monde apparait visible aux autres fragments du monde sans que cette apparition ne certifie jamais une présence. Les événements du monde apparaissent ainsi visibles les uns aux autres, les uns par les autres de telle manière que leur présence reste pourtant indéterminée. « L’illusion objective, c’est le fait physique que, dans cet univers, nulles choses ne coexistent en temps réel, ni les sexes, ni les étoiles, ni ce verre, ni cette table, ni moi-même et tout ce qui m’entoure. Du fait de la dispersion et de la vitesse relative de la lumière, toutes choses n’existent qu’en différé, dans un désordre inexprimable de temporalités, à distance inéluctable l’une de l’autre (…) Le fait de cette distance irrémédiable et de cette simultanéité impossible, le fait que lorsque je perçois cette étoile, elle a peut-être déjà disparu - relation qui peut être étendue, toutes proportions gardées à n’importe quel objet physique ou être vivant - ceci est le fondement indépassable, la définition pour ainsi dire matérielle de l’illusion. » Le Crime Parfait
Il y a ainsi dans la pensée de Baudrillard une étrange réversibilité du géologique et du stellaire. En effet pour Baudrillard le désert apparait comme le « Lieu (…) où descend directement des constellations, tant l’air est pur, l’influence sidérale. » La théorie de Baudrillard révèle ainsi à chaque instant l’apparition et la disparition de la terre comme une étoile, l’apparition et la disparition de la terre à la manière d’une étoile. « Le véritable désert, donc le véritable enchantement est à 10000 mètres d’altitude, là où la terre apparait dans sa lumière bleue et géologique, comme un essence inhumaine sans autre repère que la sinuosité des fleuves ou les ondulations minérales, et où la fixité du temps est parfaite si vous avez la chance de voler dans le même sens que le soleil. » Cool Memories. Pour la théorie de l’irréalité du monde de Baudrillard, la terre devient alors une image, une image intégrale parce qu’elle est vue par un corps en orbite, par un corps en apesanteur. La théorie de l’irréalité du monde de Baudrillard provient ainsi d’une vision orbitale. C’est comme si selon Baudrillard, la révélation de l’irréalité du monde était aussi celle de sa courbure. « Que notre monde soit une sphère semble sans incidence directe sur notre mode de vie, sur nos représentations, où nous corrigeons tout en termes linéaires, mais ce n’est certainement pas sans conséquence sur la courbure de nos pensées (…) Si l’infrastructure est courbe, ça change tout : il faut penser courbe pour épuiser la sphéricité de la terre et du ciel. » Cool Memories
La pensée de Baudrillard apparait provoquée par un intense sentiment séismique. Si Baudrillard considère le monde comme irréel c’est parce qu’il a à chaque instant la sensation de l’extrême fragilité de la surface terrestre. C’est comme si pour Baudrillard le monde était le reste d’une catastrophe, le reste d’une catastrophe en suspens ou plutôt le reste d’une catastrophe à la fois passé et future, à chaque instant de manière indécidable à la fois passée et future. « L’ère de la simulation : la forme sismique, celle où le sol manque, celle de la faille et de la défaillance, de la déhiscence et des objets fractals, celle ou d’immenses plaques, des pans entiers glissent les uns sur les autres et produisent d’intenses frissons superficiels. »
Par cet aspect séismique la pensée de Baudrillard a quelque chose de japonais, d’autant que pour Baudrillard ce qui prolifère à l’intérieur des failles du séisme ce sont des signes. Par cette intuition de l’oscillation sismique du signe, Baudrillard et Barthes sont très proches. Amérique de Baudrillard serait alors l’équivalent de l’Empire des Signes de Barthes. Ainsi c’est comme si Baudrillard avait paradoxalement transposé l’imaginaire ultra-civilisé du signe japonais à l’intérieur de la barbarie des grands espaces de l’Amérique.
« Car, au fond (!), le sol n’a jamais existé, mais seul un épiderme craquelé, ni la profondeur dont on sait qu’elle est en fusion … Nous rêvons de capter cette énergie là aussi, mais c’est de la folie pure. » Les Stratégies Fatales
La pensée de Baudrillard apparait ainsi comme une métaphysique sans sol c’est-à-dire une métaphysique sans fondement. La pensée de Baudrillard apparait comme une métaphysique de la catastrophe imminente, une métaphysique de la catastrophe à la fois imminente et incessante.
Si Baudrillard considère le monde comme irréel c’est parce qu’il n’a jamais la sensation de se tenir en équilibre debout sur la terre, c’est parce qu’il a plutôt la sensation d’apparaitre à chaque instant parmi l’onde de vertige de la catastrophe. « Si même on n’arrive pas à capter l’énergie sismique, l’onde symbolique du tremblement de terre, elle, n’est pas près de s’apaiser, l’énergie symbolique (…) c’est à dire la puissance de fascination et de dérision que dispense un tel événement est sans commune mesure avec la destruction matérielle. » Les Stratégies Fatales
Il y a une sorte d’hypothèse de Pompéi à l’intérieur de la théorie de Baudrillard. Pour Baudrillard, le monde n’apparait que comme une image, une image qui reste de la catastrophe. Pour Baudrillard, les objets et les événements ne sont que des images, comme s’ils avaient été photographiés par l’onde de feu d’une catastrophe, par l’onde de feu d’un crime parfait, par l’onde de feu de la mort. « Pompéi. Tout est métaphysique dans cette ville. (…) L’illusion d’être ici et maintenant, à la veille de l’éruption, et le même ressuscité deux mille ans plus tard, par un miracle de nostalgie, dans l’immanence d’une vie antérieure... Nulle histoire ne s’interpose entre les choses et nous (…) elles se matérialisent ici, tout de suite, dans la chaleur même où la mort les a prises... (…) L’intimité fatale des choses et la fascination de leur instantanéité comme du simulacre parfait de notre propre mort. » Les Stratégies Fatales
« Pompéi : c’est à la catastrophe que nous devons d’avoir conservé le patrimoine antique le plus extraordinaire. » Cool Memories
C’est aussi comme si pour Baudrillard la catastrophe, l’imminence de la catastrophe était la forme parfaite de la mémoire, la forme parfaite de la civilisation, la forme parfaite de la mémoire de la civilisation. C’est comme si pour Baudrillard c’était uniquement par la catastrophe que le monde était apte à sauvegarder ses apparences.
Cette imagination théorique de la catastrophe c’est aussi une imagination de l’une seule fois, une imagination de l’immédiat, une imagination de l’une seule fois immédiate. Selon Baudrillard, le monde apparait ainsi séduit par sa catastrophe même, par l’une seule fois de sa catastrophe. Selon Baudrillard, le monde n’apparait jamais à l’intérieur du temps et de l’espace, le monde apparait plutôt par la catastrophe de la réversibilité du temps comme espace et de l’espace comme temps, catastrophe qui surgit en une seule fois, catastrophe en une seule fois de l’illusion. « L’illusion du monde, son énigme vient aussi au fait que, pour l’imagination poétique, celle des apparences, il apparait d’un seul coup, il est là tout entier d’une seule fois alors que pour la pensée analytique il y a une origine et une histoire. Or tout ce qui apparait d’un seul coup, sans continuité historique, est inintelligible. » Le Crime Parfait
Pour Baudrillard, ce qui séduit c’est toujours une forme de vide, une forme de vide provoquée par la catastrophe. « D’ailleurs le réel n’a jamais intéressé personne. Il est le lieu du désenchantement. (…) Ce qui parfois le rend fascinant (…) c’est la catastrophe imaginaire qu’il y a derrière. » « Tout retourne au vide, y compris nos paroles et nos gestes, mais certains avant de disparaitre, ont eu le temps, en anticipant sur leur fin, d’exercer une séduction que les autres ne connaitront jamais. » De la Séduction
Baudrillard essaie de donner à la pensée la forme d‘une catastrophe météorologique, la forme d’une précipitation minérale. Baudrillard essaie ainsi d’inventer des formes de pensée qui apparaissent et disparaissent littéralement comme des météores. « Penser devient une précipitation météorologique de particules cérébrales. » Cool Memories 2
Il y a ainsi chez Baudrillard une extraordinaire sensibilité météorologique, celle des mouvements de l’eau à la surface de la terre « Quelque part dans le Colorado, il y a une ligne de démarcation où les eaux se séparent - Continental Divide - Les unes allant vers l’Atlantique les autres vers le Pacifique. Une ligne presque aussi imaginaire que celle qui sépare le passé et le futur, et que nous appelons le présent, les deux dimensions du temps allant se perdre elles aussi dans d’autres profondeurs océaniques. » L’Echange Impossible, et aussi des mouvements de l’eau à l’intérieur du ciel. La pensée de Baudrillard apparait ainsi comme une métaphysique des nuages, comme une forme de métaphysique des nuages. « Les nuages flottent sur la ville comme des hémisphères cérébraux, chassés par le vent. (…) Solitude sexuelle des nuages dans le ciel, solitude linguistique des hommes sur la terre. » Amérique
Baudrillard aime l’instant où le mouvement soudain s’immobilise. Ce geste symbolise en effet pour lui l’instinct même de la cérémonie, c’est le geste de la parade animale, de la parade rituelle animale, celui aussi des danseurs dans les rues de New-York ou encore des danseurs de sabres du théâtre chinois. « La gymnastique du rap est une sorte de prouesse acrobatique, où on ne s’aperçoit qu’à la fin que c’est une danse, lorsqu’elle se fige dans une opposition indolente, indifférente (le coude au sol, la tête nonchalamment appuyée au creux de la main, comme on le voit dans les tombeaux étrusques) le rappeur s’immobilise au creux de son mouvement dans un geste dérisoire (...) la pose ironique et paresseuse de la mort. » Amérique Baudrillard rêve alors d’une forme de pensée qui parviendrait à faire coïncider la vivacité animale et la paralysie minérale. Penser ainsi comme un serpent sous le soleil du désert (de la vallée de la mort) ou comme une panthère sous la neige de Berlin, tel est le rêve de Baudrillard. « Il faut être un parfait danseur pour danser l’immobilité. (…) Cette immobilité n’est pas une inertie, c’est un paroxysme qui résume le mouvement en son contraire. » Cool Memories 2 « Zoo de Berlin. Beauté des animaux en exil sous la neige qui marchent (...) avec une lenteur de rêve. (…) La neige exalte les ténèbres naturelles de l’animalité. La blancheur convient aux fauves. » Cool Memories
Baudrillard accomplit une distinction essentielle entre la disparition et la mort, entre la disparition et l’anéantissement. « Mourir n’est rien, il faut savoir disparaitre. Mourir relève du hasard biologique. Disparaitre relève d’une plus haute nécessité. Il ne faut pas laisser à la biologie la maitrise de la disparition. Disparaitre c’est passer dans un état énigmatique qui n’est ni la vie ni la mort. » Cool Memories. Selon Baudrillard, la disparition a en effet une forme stellaire. La disparition c’est la forme stellaire du destin. « Quand on a réussi non pas à détruire quelque chose, mais à effacer son origine et sa fin, elle disparait. (…) Elle n’est pas cependant physiquement morte. Elle resplendit dans une sorte de grâce qui est celui de la disparition. Elle inaugure une forme seconde, pure et vide, de l’événement ou de la personne, qui est la forme du destin. (…) Ce qui disparait passe à l’état de constellation. » Cool Memories. Pour Baudrillard, savoir disparaitre c’est métamorphoser ainsi son corps en désert. Savoir disparaitre c’est respirer comme la pierre, c’est respirer comme un minerai d’illusion, comme minerai de catastrophe de l’illusion.
Non seulement Baudrillard écrit comme il efface ses traces afin de disparaitre et aussi surtout Baudrillard écrit afin d’effacer les traces mêmes de sa disparition. Baudrillard essaie d’exister afin de disparaitre et d’écrire afin de suivre sa disparition, afin de suivre sa disparition, comme une ombre, comme une ombre de cristal Baudrillard écrit afin de répéter sa disparition comme une ombre de cristal et d’indiquer seulement la disparition comme une forme, comme une forme intacte, comme une forme à la fois intacte et insensée.
Ecrire pour Baudrillard c’est essayer de devenir l’ombre à blanc de sa disparition même, l’ombre de translucidité à blanc de sa disparition même. Ecrire pour Baudrillard c’est suivre sa disparition pas à pas, geste à geste, lettre à lettre afin d’affirmer sa disparition comme forme de séduction absolue, comme indice de séduction absolue.
Ou même qui sait écrire pour Baudrillard c’est répéter sa disparition afin de faire disparaitre sa disparition, c’est devenir le prestidigitateur dément qui fait disparaitre la disparition même. Ainsi pour Baudrillard l’extase de l’écriture c’est de parvenir à provoquer la disparition de la disparition même et cela non pas selon son désir ou sa volonté, cela plutôt par son destin ou plutôt par le zéro de son destin, par le vide de son destin.
Ecrire pour Baudrillard c’est répéter sa disparition afin que sa disparition devienne un indice vide, afin que sa disparition devienne une forme vide. Ecrire pour Baudrillard c’est répéter sa disparition afin que sa disparition devienne l’indice vide du destin, la forme vide du destin.
L’écriture de Baudrillard affirme ainsi une ascèse de la séduction. L’écriture de Baudrillard affirme l’ascèse de séduction de faire disparaitre la disparition elle-même, de faire disparaitre la disparition elle-même à l’intérieur du zéro du destin, à l’intérieur de l’érosion du destin, à l’intérieur du zéro d’érosion du destin, à l’intérieur du vide d’érosion du destin.
Pour Baudrillard, l’écriture apparait comme une forme d’auto-séduction, une forme d’auto-séduction en dehors de tout narcissisme. Pour Baudrillard, la passion elliptique de l’écriture révèle l’extase d’une auto-séduction, l’extase d’une auto-séduction à la fois lucide et aveugle.
Baudrillard n’écrit pas sur le miroir de sa disparition. Baudrillard écrit avec le miroir de sa disparition. Baudrillard n’écrit pas sur le miroir de sa disparition comme à la surface d’une page. Baudrillard écrit avec le miroir de sa disparition comme avec un stylographe.
Baudrillard n’écrit pas sur la page comme si elle était un miroir. Baudrillard écrit sur la page de sa disparition avec un miroir. Baudrillard écrit sur la page de la disparition de son existence avec un miroir-stylographe. Ecrire pour Baudrillard ce n’est pas faire miroiter sa disparition. Ecrire pour Baudrillard c’est utiliser le profil du miroir et même le profil de la traversée du miroir comme outil d’inscription, comme outil d’inscription à la surface même de la disparition de l’existence.
La notion de continuité est un des axes de la pensée de Baudrillard. Dans L’Echange Symbolique et la Mort Baudrillard reprend par exemple le concept de continuité de Bataille. « Cette conjonction luxueuse du sexe et de la mort figure sous le signe de la continuité par opposition avec l’économie discontinue des existences individuelles. » Dans L’Autre par Lui-Même Baudrillard indique avec netteté le défi théorique de L’Echange Symbolique et la Mort. « C’est la mort qui devient la figure même de la réversibilité (c’est à dire d’un renversement de tous les codes et opérations distinctives qui fondent les systèmes dominants). » Ainsi c’est comme si selon Baudrillard c‘était la réversibilité même des formes qui provoquait la continuité, c’est comme la réversibilité était identique à la continuité. Pour Baudrillard, la réversibilité et la continuité sont indissociables, il n’y a d’autre continuité que celle de la réversibilité.
Dans Le Crime Parfait Baudrillard prolonge ensuite sa réflexion à propos de la continuité en s’inspirant cette fois de M. Fernandez et de son idée de « continuité du rien ». Pour Baudrillard, il n’y a pas de continuité du monde. Pour Baudrillard, il y a seulement une continuité du vide qui dédouble à chaque instant le monde, une continuité du vide qui provoque à chaque instant un dédoublement du monde.
Ce que Baudrillard dédaigne alors d’un livre à l’autre, de la continuité selon Bataille à la continuité selon Fernandez, c’est l’échange symbolique. En effet, lorsque Baudrillard accompagne Bataille dans L’Echange Symbolique et la Mort, il pense la vie et la mort comme une structure d’échange, une structure d’échange non-économique, une structure d’échange symbolique insensée, luxueuse. « Au lieu d’instituer la mort comme régulation des tensions et fonction d’équilibre, comme économie de pulsion, Bataille l’introduit à l’inverse comme paroxysme des échanges surabondance et excès. » « La mort et la sexualité au lieu de s’affronter comme principes antagonistes, s’échangent dans le même système, dans la même révolution cyclique de la continuité. » « La vie et la mort s’échangent... La vie s’échange à son plus haut prix dans la mort. »
Entre L’Echange Symbolique et la Mort et Le Crime Parfait la théorie de Baudrillard donc se modifie. La théorie de Baudrillard passe de l’idée selon laquelle c’est toujours la mort qui symbolise, c’est par la mort que le partage symbolique s’accomplit, à l’idée de la transparence du mal, idée selon laquelle cette fois le principe du mal est l’analogue du rien. « Le mal n’est pas du tout l’opposé du bien. (…) Seul le bien se pose comme tel, le mal lui, ne se pose pas. Comme le Rien dont il est l’analogon, il est parfait parce qu’il ne s’oppose à rien. » L’Echange Impossible. La pensée de Baudrillard évolue donc de l’idée selon laquelle la mort est l’image même de l’échange à l’idée selon laquelle le mal transparait en tant que rien, en tant qu’image impossible du rien, en tant qu’échange impossible du rien. Ce que Baudrillard entre-temps dédaigne c’est le symbole. En effet ce que la transparence du mal échange ce ne sont plus des formes symboliques, ce sont des signes ou des simulacres. Ce que tente alors Baudrillard c’est de parvenir malgré tout à donner une forme, une forme fatale à ces signes, à ces simulacres. Tentative grandiose cependant impossible à accomplir.
Baudrillard cherche ainsi à théoriser un principe du mal qui serait similaire au rien, ou plutôt qui serait similaire à ce que Macedonio Fernandez nomme « la continuité du rien ». La pensée de Baudrillard serait ainsi une tentative de subversion du nihilisme. Baudrillard essaie de subvertir le rien en l’appelant d’un autre nom, en l’appelant le mal. Baudrillard essaie de subvertir le rien à travers le pseudonyme du mal. En effet Baudrillard ne pense pas le mal en tant que principe d’action. « Superstition désespérée que celle de Sade ou de toutes les entreprises qui font du mal un principe d’action. Il y a comme une impossibilité de faire le mal pour lui-même. » En effet selon Baudrillard le mal est plutôt un principe de passion. Pour Baudrillard, le mal est le principe de la pensée comme passion, le principe de passion de la pensée.
Ce que tente ainsi Baudrillard en passant de la continuité selon Bataille à la continuité selon Fernandez c’est de révéler une forme de dépense en dehors de l’échange ou encore une forme de dépense comme échange impossible. Dès lors Baudrillard préserve la notion d’échange mais il revendique l’échange en tant qu’impossible, comme s’il pensait l’échange à la façon de Lacan. En effet, l’hyperréalité de Baudrillard est finalement parfois semblable au réel impossible de Lacan.
Lorsqu’à l’époque du Crime Parfait Baudrillard essaie d’inventer cette forme de dépense en dehors de la structure de l’échange. Baudrillard doit cependant pour accomplir cette mutation théorique assimiler « la continuité du rien » à un « crime parfait », le crime parfait d’un principe du mal. « L’accomplissement de ce crime, son déroulement implacable, la continuité du mal, la continuation du rien. » Baudrillard revendique donc la pensée en tant que crime et retrouve un autre thème de Bataille. C’est comme si Baudrillard avait alors préféré se revendiquer en tant que penseur criminel plutôt que de s’affirmer comme penseur poète. Dans ce livre Baudrillard se rêve désormais tant qu’aristocrate criminel de la théorie. « Tout ce qui est inintelligible est criminel en substance, et toute pensée qui alimente cette machination énigmatique est la perpétuation de ce crime. » Le Crime Parfait
A ce propos même si Baudrillard prétend que le principe du mal est celui de la séduction « L’esthétique du séducteur (…) n’est pas divine et transcendante, elle est ironique et diabolique. » il subsiste cependant en ce principe une sorte de religiosité transcendante et même une sorte de bigoterie diabolique qui était déjà aussi celle de la théorie de Bataille. Baudrillard a alors tendance à idéaliser le diable en tant que puissance spirituelle de séduction. Cette revendication d’un principe transcendant du mal a ainsi un aspect consolateur et confortable. Elle n’est finalement rien d’autre qu’une croyance religieuse inversée, qu’un espoir religieux inversé. Parfois très rarement, Baudrillard l’admet. « Il y a un principe autonome du Mal et dans ce cas l’évidence du Mal est au moins aussi rassurante pour l’esprit que celle de Dieu. » Cool Memories 3
Par cette croyance en un principe spirituel du mal, Baudrillard appartient donc à une lignée manichéenne gnostique de la littérature du 19 ème siècle : celle à la fois d’Hugo, de Baudelaire, de Bloy ou de Lautréamont. « Il faut avoir vendu son âme au diable pour pouvoir parler du diable (et sans doute aussi pour pouvoir parler de l’âme). » Fragments
La ruse théorique de Baudrillard ce serait peut-être cependant d’inventer une pensée aconceptuelle du mal. C’est comme si la théorie de Baudrillard subtilisait la frayeur inscrite dans le mot de mal pour l’utiliser ensuite comme principe d’indifférence. Le mal selon Baudrillard n’est pas en effet celui de la destruction et de la cruauté, le mal selon Baudrillard est plutôt celui de l’indifférence. Le jeu théorique de Baudrillard est alors de faire comme si l’indifférence était le principe essentiel du mal.
Dans son article Les Sorties du Texte dans le Bruissement de la Langue, Barthes explique comment Bataille subvertit les oppositions paradigmatiques stéréotypées en y ajoutant un troisième terme. Baudrillard reprendrait alors ce procédé rhétorique subversif de Bataille en le modifiant. De même que Bataille Baudrillard déjoue l’opposition paradigmatique en ajoutant un troisième terme cependant ce troisième terme reste un des deux termes du paradigme, autrement dit Baudrillard subvertit l’opposition paradigmatique en changeant subrepticement le sens d’un des deux termes du paradigme. Baudrillard procède de cette façon à propos de ce qu’il appelle le principe du mal. En effet dans la théorie de Baudrillard, le principe du mal est paradoxalement ce qui tente de subvertir l’opposition du bien et du mal. Pour Baudrillard, le mal est à la fois ce qui subvertit le bien en tant qu’il s’oppose au mal et ce qui subvertit le mal en tant qu’il s’oppose au bien. Le pari nietzschéen de Baudrillard c’est de prétendre que l’au-delà du bien et du mal, c’est le mal, c’est la transparence du mal, c’est le mal en tant que transparence. Le pari de la pensée de Baudrillard est ainsi une sorte de lecture pataphysique de Nietzsche. Baudrillard métamorphose la pensée de Nietzsche à travers le prisme mental de Jarry.
L’élégance de Baudrillard ce serait d’essayer de réversibiliser le principe du mal, de réversibiliser le principe diabolique lui-même. En effet si la ruse du diable est de faire passer le mal sous l’aspect du bien, la ruse de Baudrillard est plutôt de designer en tant que mal ce qui est indifférent au bien et au mal, c’est de designer en tant que mal ce qui est pourtant au-delà du bien et du mal. La ruse de Baudrillard est alors de faire comme si il était un suppôt du principe du mal alors qu’il apparait plutôt comme un séduit de l’indifférence, comme un passionné de l’indifférence, un séduit de l’indifférence entre le bien et le mal, un passionné de l’indifférence entre le bien et le mal.
C’est pourquoi dans Le Pacte de Lucidité, Baudrillard ne pense plus la relation entre la vie et la mort en termes d’échange. « La mort, ni la vie ne s’échangent contre rien. Il n’y a pas d’équivalence sous le signe de quoi elles pourraient s’échanger. Elles alternent, un point c’est tout - comme les saisons, comme les éléments qui se métamorphosent l’un dans l’autre, le feu, l’air, la terre... c’est un duel entre elles : la mort joue avec la vie, la vie joue avec la mort.» Le Pacte de Lucidité
La pensée de Baudrillard insiste à chaque instant sur l’intuition métaphysique selon laquelle la mort est toujours antérieure à la vie, et le vide est toujours antérieur à l’existence.
« L’ombre nous a toujours précédée et elle nous survivra. Nous avons été morts avant d’être vivants, et nous le redeviendrons. » Cool Memories
Pour Baudrillard, la mort n’est pas ce qui anéantit la vie. Pour Baudrillard, la mort serait plutôt ce qui redouble la vie, ce qui redouble la vie en tant qu’ombre. Pour Baudrillard, la mort hante en tant que double de la vie, en tant que double d’ombre de la vie. Plus précisément pour Baudrillard, la mort est à la fois un double d’ombre qui précède la vie, un double d’ombre qui accompagne la vie et un double d’ombre qui subsiste au-delà de la vie même.
Il y a une hantise du double dans la théorie de Baudrillard, du double non-né, du double en tant que jumeau mort. « C‘est sans doute là pour tout le monde, le vrai problème … se libérer de son double virtuel, de cet alter-ego ombilical qui est pour chaque individu comme une figure congénitale de la mort. C’est sans doute avec ce jumeau hanté, ce jumeau virtuel que nous portons tous à la naissance que nous avons le plus de mal à rompre. » Cool Memories 3. Baudrillard retrouve alors une des obsessions de l’occultisme à propos du placenta en tant que double spirituel. Il y a dans cette idée de Baudrillard d’un aspect spectral du placenta, du placenta en tant que jumeau, du placenta en tant que sosie spirituel qui redouble à jamais notre vie une sorte de croyance occulte (croyance que Muray a superbement étudiée dans Le XIXème Siècle à travers les Ages).
Le jumeau mort qui parasite sans cesse Baudrillard c’est peut-être aussi le spectre de l’ennui. « Aux fines particules d’ennui, comme des neutrinos, strient la durée sans laisser de traces -il n’y a guère de mémoire vivante de l’ennui. Ce pour quoi il peut se superposer à toutes sortes d’activités même passionnantes puisqu’il est dans les interstices. » Cool Memories 3. Pour Baudrillard, le jumeau mort serait une sorte de fantôme neutre de l’ennui qui transsubstantie la pluralité des mondes en interstices de la mort, en interstices de la mort non-née.
Par l’idée d’une mort en tant que double de la vie, d’une mort qui redouble la vie de façon incessante, Baudrillard est proche de Blanchot. Et par l’idée d’une mort antérieure à la vie, Baudrillard ressemble à la fois à Lichtenberg et à S. Butler (ce que Butler appelle le non-né).
Pour Baudrillard, ce qui révèle aussi le corps du double, la substance du jumeau mort c’est le théâtre Buto. « Le corps est une gangue, la mort précède la naissance, le sang ne circule pas (…) C’est l’hallucination pure des corps, le masque forceps, le spectre de la naissance. » Cool Memories. Ce corps du double, cette substance du jumeau mort n’a pas de visage. « Les mains se portent constamment vers le visage comme pour l’arracher. » Le corps du double mort de la naissance n’apparait pas à l’intérieur de l’espace c’est à l’inverse l’espace qui se condense et se révulse au-dedans de ce corps spectral. « Les corps (…) attirent l‘espace à eux au lieu de s’y déployer élégamment. (…) Il faut rapatrier tout l’espace dans le corps au prix d’une nudité insensée, suppliciée, jamais voluptueuse. (…) Il faut que l’espace se révulse, c’est pour cela que les corps ont la blancheur des yeux révulsés. » Cool Memories. Ainsi c’est comme si Baudrillard essayait de penser avec un corps révulsé, avec le corps révulsé du rêve, le corps révulsé d’un rêve de naissance, le corps révulsé d’une naissance rêvée.
« On est mort de son vivant-même, de multiples morts nous accompagnent, fantômes par forcement hostiles. »
Il y ainsi dans l’œuvre de Baudrillard une thématique essentielle du spectral de même que dans les œuvres de Blanchot et de Derrida. L’attitude et le timbre de Baudrillard envers le spectral est cependant très différent. Alors que Blanchot et Derrida décortiquent le spectral de façon prudente, maniaque et endeuillée. Baudrillard préfère plutôt affirmer l’irréalité du spectral de manière désinvolte, violente et gaie. « Il vaut mieux une analyse désespérante dans une langue heureuse qu’une analyse optimiste dans une langue désespérante d’ennui et démoralisante de platitude. » Et il est flagrant que la pensée de Baudrillard apparait selon une telle forme heureuse. Son nihilisme utopique n’a jamais un aspect neutre et cynique, son nihilisme utopique a toujours un style jubilatoire et élégant.
« Si c’est être nihiliste que d’être obsédé par le mode de disparition, et non par le mode de production, alors je suis nihiliste. » Simulacres et Simulation
Il reste cependant difficile de savoir si la pensée de Baudrillard est profondément nihiliste ou si elle est plutôt un jeu avec le nihilisme, un jeu de séduction avec le nihilisme, une manière d’essayer de détourner le nihilisme de son chemin funèbre. Pourtant lorsque Muray dit que la pensée de Baudrillard est la plus libre et la moins nihiliste qui soit, il me semble manquer de discernement. La pensée de Baudrillard apparait en effet précisément comme une forme de nihilisme en dehors de la liberté, ou bien comme une forme de nihilisme semblable à un délire de la liberté, à un délire fatal de la liberté, à une démence fatale de la liberté. Le pari et le défi de Baudrillard c’est de tenter d’inventer une forme de nihilisme fatal, un nihilisme comme forme de la fatalité, comme forme paradoxale de la fatalité.
Baudrillard affirme le vide. Baudrillard affirme le vide entre les choses. Pour Baudrillard, ce vide entre les choses c’est l’espace même de la cérémonie, l’espace même du jeu. L’attitude théorique de Baudrillard envers le vide est cependant parfois ambivalente. Dans Les Stratégies Fatales par exemple, Baudrillard met en relation le vide avec le hasard et en opposition avec la règle, la séduction et la cérémonie. « Pour qu’il y ait du hasard, il faut qu’il y ait du vide. C’est-à-dire des points d’effondrement de toute substance et de toute forme, des intervalles où il n’y ait littéralement rien. » « Dans la séduction rien n’est au hasard, rien n’est isolé (…) les formes s’impliquent les unes les autres ou plutôt elles s’impliquent nécessairement les unes les autres, il n’y a pas de vide. » Ensuite dans L’Echange Impossible ou Le Pacte de Lucidité, Baudrillard considère plutôt le vide comme ce à l’intérieur de quoi et surtout ce par quoi les choses apparaissent et se métamorphosent. Le vide n’est plus en relation avec le hasard, le vide est en relation avec la nécessité, avec la fatalité, avec le destin. C’est ainsi à la fois par le vide entre les choses et par le vide à l’intérieur des choses que les apparences et la métamorphose des apparences s’accomplissent. « Le secret du monde est dans le détail, dans le fragment, dans l’aphorisme - au sens littéral- aphorizein... faire le vide. C’est par le détail que passe l’anamorphose, la métamorphose des formes. » Le Pacte de Lucidité
« Jean Baudrillard avait toujours soupçonné que la mort de Dieu préfigurait celle de la réalité. » F. Gaillard
Baudrillard est donc le plus radical des nietzschéens, au-delà de l’idée de Foucault selon laquelle la mort de Dieu est identique à la mort de l’homme, et au-delà même de l’idée de Deleuze selon laquelle la mort de Dieu est identique à la fois à la mort du cosmos et à la mort du moi. Par cette idée de la disparition du réel Baudrillard accomplit ainsi une lecture paroxystique de Nietzsche.
« L’interrogation qui traverse microscopiquement l’écriture de Baudrillard est posée en opposition à celle-là : « Pourquoi y’a-t-il Rien plutôt que quelque Chose ? » or, la question qui pourrait être aussi décelée dans son œuvre élimine la connotation alternative du « plutôt » : « Pourquoi y’a-t-il Rien dans l’apparition même de toute chose ? » Enrique Valiente Noailles.
Le problème de Baudrillard ce n’est ni pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien, ni même pourquoi y-a-t-il rien plutôt que quelque chose. Le problème de Baudrillard serait pourquoi y-a-t-il à la fois quelque chose à l’intérieur de rien et rien à l’intérieur de quelque chose.
L’œuvre de Baudrillard apparait ainsi comme une manière d’esquiver avec une élégance grandiose, avec un dédain grandiose la présence même de l’existence. Il y a au centre de la pensée de Baudrillard une passion essentielle de nier l’existence, de nier la valeur même de l’existence. Pour Baudrillard, exister est en effet une sorte de bassesse ou de vulgarité. Ainsi pour Baudrillard le monde apparait, le monde apparait comme une composition de formes, malgré tout le monde n’existe pas. Et c’est précisément ce mépris gigantesque de Baudrillard envers l’existence qui provoque le charme de sa pensée, le charme unique de sa pensée, la séduction unique de sa pensée.
« Le signe du ravissement, c’est le stigmate. Celui des mystiques qui se mettent spontanément à saigner. » Cool Memories
Il y a un désir d’hémophilie à l’intérieur de la théorie de Baudrillard. Pour Baudrillard, la violence de la pensée apparait comme ce qui provoque une forme d’hémophilie du monde. La violence de la pensée n’est pas ce qui fait couler le sang, ce qui provoque l’écoulement du sang, c’est plutôt surtout ce qui s’oppose à sa coagulation. Pour Baudrillard, la violence de la pensée c’est de parvenir à faire couler le sang de telle manière qu’il ne coagule pas. Pour Baudrillard, la violence de la pensée c’est de faire couler le sang de telle manière qu’aucun événement du monde ne parvienne ensuite à le faire coaguler. Selon Baudrillard, la violence de la pensée ne provoque pas seulement une blessure ou une mort, elle provoque surtout un flux de sang transfini, un flux de sang transfini quasi cristallin. La violence de la pensée selon Baudrillard affirme ainsi une hémophilie du réel même. L’hyperréalité de Baudrillard c’est l’hémophilie du réel, c’est le réel hémophile. Selon Baudrillard, la violence de la pensée c’est le geste qui vide infiniment le réel de son sang, qui vide infiniment le monde de son sang. C’est pourquoi aussi pour Baudrillard la pensée n’est ni une force vitale, ni une force funèbre. Pour Baudrillard la pensée apparait plutôt comme une force qui joue à chaque instant avec la différence vie-mort, comme une force qui séduit la différence vie-mort. Selon Baudrillard, la pensée apparait comme un flux abstrait, un flux hémophile abstrait, une pulsation abstraite, une pulsation hémophile abstraite à la fois en dehors de la vie et de la mort. Pour Baudrillard, la pensée détruit la coagulation du sang. Selon Baudrillard, la pensée affirme ainsi la pulsation de la dissociation, la pulsation hémophile de la dissociation.
Il y a un dédain de Baudrillard envers le hasard. « Le hasard est né comme résidu d’un ordre logique de la détermination. (…) figure spéculaire du principe de causalité. » Ce qui plait à Baudrillard ce n’est pas le hasard, ce qui plait à Baudrillard c’est plutôt le jeu, le jeu avec le hasard, à savoir le jeu comme « entreprise de séduction du hasard ».
L’attitude théorique de Baudrillard envers le hasard est donc ambivalente. Dans les Stratégies Fatales Baudrillard dédaigne le hasard. Il a tendance à penser le hasard en tant que masque neutre de la rationalité. « Le concept de hasard suppose qu’il n’est pas d’autre enchainement possible que celui de la causalité. » Ce qui plait à Baudrillard ce n’est jamais le hasard lui-même, c’est le jeu du hasard, le jeu avec le hasard, le jeu qui défie le hasard par la règle et qui l’incite ainsi à disparaitre et à devenir chance. « Le jeu de hasard illustre paradoxalement cette absence de hasard, sa dénégation radicale dans l’esprit même du joueur (…) Le joueur cherche la chance, et non pas comme effet de hasard ponctuel et contingent,- la chance comme signe d’élection, comme processus de séduction généralisée, que cherche justement à capter la règle du jeu… » Les Stratégies Fatales
De même qu’il y a une hésitation conceptuelle face au hasard, il y a aussi dans la pensée de Baudrillard une hésitation conceptuelle face à la nudité. En effet ce que Baudrillard dit de la nudité est souvent contradictoire. « Seul le corps humain est nu, les animaux ne le sont jamais, ils ne peuvent donc servir que de masques ou de métaphores au corps humain. » Cool Memories. « Nous, les vivants, ne sommes jamais nus - le regard, la voix sont déjà des parures. Nous ne le sommes que dans la honte quand le langage fait défaut. » Cool Memories. Pour Baudrillard, la nudité, le hasard de la nudité reste toujours paradoxal, paradoxal comme le sommeil, comme si la nudité apparaissait toujours déjà comme le sommeil paradoxal de la pensée, comme le sommeil paradoxal de la pensée à la surface du corps.
L’œuvre de Baudrillard affirme la forme rêvée et irréelle du monde - pensée de l’irréalité du monde qui était déjà celle du baroque ou encore celle de Schopenhauer. Baudrillard cherche à porter cette intuition de l’irréalité du monde à son paroxysme.
Baudrillard comme Canetti essaie ainsi de sauvegarder intacte la forme du rêve. Pour Baudrillard, le rêve n’est pas à expliquer, à interpréter, le rêve apparait plutôt comme l’indice d’une autre vie, d’une double vie, l’indice d’une vie parallèle. « Deux lignes de vie, l’une d’une jeunesse immémoriale, non biologique, que nous éprouvons dans les rêves et l’autre, une ligne organique de vie et de mort. » Cool Memories. Selon Baudrillard, l’homme a ainsi deux lignes de vie, une ligne géologique, celle du rêve et une ligne organique, celle de la vie quotidienne. Lorsque Baudrillard affirme ne pas croire à l’existence, cela veut simplement dire que la ligne organique de sa vie n’est pas celle qu’il préfère suivre. Penser selon Baudrillard c’est précisément préférer suivre la ligne à la fois géologique et stellaire du rêve plutôt que la ligne organique de la vie même.
Il serait ainsi passionnant de simplement juxtaposer les rêves évoqués de temps à autre par Baudrillard. Et cela non pas afin d’interpréter ces rêves, et cela non pas afin de mettre en ordre ces rêves, simplement plutôt afin de poser intacts ces rêves les uns à proximité des autres.
Pour Baudrillard, le rêve n’est pas interprétable et le rêve n’est pas non plus ce qui interprète. Pour Baudrillard, le rêve apparait comme la dissociation du vide, comme la dissociation de la continuité du vide, comme la dissociation paradoxale de la continuité du vide.
En effet pour Baudrillard, s’il y une continuité du vide ce n’est jamais celle du réel c’est d’abord celle du rêve, c’est d’abord celle de la cérémonie des apparences, celle de la cérémonie des apparences du rêve, c’est d’abord celle de la ritualité du rêve, celle des formes rituelles du rêve. Pour Baudrillard, la métamorphose rituelle des apparences invente la continuité d’une réversibilité qui sauve le monde par le geste même de le séduire. Ainsi pour Baudrillard, la séduction réversible du vide sauve le monde de la stupidité du sens.
Ce qui plait à Baudrillard dans le rêve ce n’est pas son sens, c’est plutôt son événement, l’événement de son apparition, l’événement de son apparition comme de sa disparition. « Une vague sous-marine de dix mètres de haut déferle sur nous… Aucune vague, aucune houle n’est aussi belle que cette muraille océanique noire et liquide qui va m’ensevelir. Sa crête est souvent lumineuse et sa signification est nulle. On peut me raconter quoi que ce soit sur ce qu’elle signifie, c’est son occurrence qui est merveilleuse. » Cool Memories
Il y a ainsi chez Baudrillard une croyance en une forme de pensée magique. Baudrillard écrit en effet comme un magicien du concept. Baudrillard est ainsi à la recherche d’une pensée divinatoire, d’une pensée semblable à un rêve qui devine, d’un rêve qui devine les formes du monde plutôt qu’il ne les explique. Il y a un irrationalisme intense de Baudrillard. Baudrillard a en effet l’intuition que le rêve est à la fois plus subtil et plus vif que la raison. C’est pourquoi il estime inutile d’interpréter le rêve à travers la raison et essaie à l’inverse d’insinuer les ellipses du rêve, les ellipses minérales du rêve à l’intérieur de la pensée.
La pensée de Baudrillard essaie d’inventer une réversibilité de formes, une réversibilité transfinie des formes comme un langage qui rêve. Penser pour Baudrillard c’est provoquer l’apparition d’un langage qui rêve, l’apparition d’un rêve de langage. « Nous pensons naïvement (…) que là où il y a langage il y a sens, alors que quand le langage advient, le sens n’est plus là véritablement. » Les Exilés du Dialogue. « Privilégier tout ce qui relève de la non-linéarité, de la forme du witz ou de l’anagramme, de la réversibilité qui est celle du palindrome dans le langage. Tout ce qui relève non d’un déroulement ou d’une évolution mais d’un enroulement et d’une réversion, dans l’un ou l’autre sens du temps. (…) Peut-être n’y a-t-il jamais eu de déroulement linéaire du langage ? Tout se passe en boucles, en tropes, en inversion de sens… » Cool Memories
Baudrillard ne cherche pas à l’intérieur du rêve des pulsions ou des désirs inconscients, Baudrillard cherche plutôt à l’intérieur du rêve des formes de savoir, des formes de savoir subtil. « La puissance que nous avons de nous identifier à l’autre en rêve, de nous substituer à lui, de lui faire tenir des discours plus subtils que les nôtres, de savoir en rêve ce que nous ne savons pas de lui dans la réalité. » Cool Memories
Baudrillard ne considère pas le rêve en tant que structure de l’inconscient. Baudrillard considère plutôt le rêve comme lieu d’un jeu, comme lieu d’un jeu de formes, comme lieu de vertige, comme lieu de vertige de formes, comme jeu de vertige, comme jeu de vertige de formes. Baudrillard pense à ce propos que la psychanalyse a tendance à nier cette passion de jeu du rêve. Baudrillard pense en effet qu’il y a un antagonisme inconciliable entre la loi du désir et le règle du jeu, entre la loi du désir de l’inconscient et la règle du jeu du rêve. « La théorie de l’inconscient suppose que certains affects, scènes ou signifiants ne peuvent définitivement plus être mis en jeu - forclos, hors-jeu. Le jeu, lui, repose sur l’hypothèse que tout peut être mis en jeu. » De la Séduction
Baudrillard cherche ainsi à l’intérieur du rêve une forme de lucidité paradoxale, une lucidité qui serait dissociée de la conscience (recherche d’une lucidité sans conscience parfois semblable à celle de R. Barthes). « A partir d’un fragment de savoir ou de mémoire littérale, le rêve est capable d’engendrer une perspicacité psychologique, une divination des autres et de leur mode de pensée bien supérieur au savoir que nous en avons dans la réalité. (…) L’être humain débranché de lui-même et de sa conscience vigile peut-il produire des effets plus intelligents que lui-même ? » Cool Memories « De quel lieu intervient-on ainsi sur son propre rêve, de l’intérieur, sans se réveiller ? » Cool Memories 3 Ainsi quand Baudrillard pense par le jeu de suivre sa ligne géologique et stellaire c’est comme s’il parvenait à intervenir avec précision sur son propre rêve de manière lucide, de manière paradoxalement lucide.
L’écriture de Baudrillard révèle un génie de l’hybridation mentale. Par son œuvre Baudrillard a élaboré un espace de coïncidences elliptiques entre des penseurs dont il est le seul à avoir détecté les ressemblances. Baudrillard a par exemple accompli l’hybridation de Mc Luhan et de Canetti ou encore celle de Bataille et de M. Fernandez.
Par la coïncidence entre Mc Luhan et Canetti Baudrillard a ainsi indiqué que le problème de l’électricité n’est pas seulement celui de la vitesse, qu’il est aussi celui de la masse, intuition que Mc Luhan avait eu sans cependant parvenir à la développer (parce qu’il réduisait en effet le plus souvent l’idée de masse à celle de tribu ou de village global). Baudrillard reprend alors le problème de la masse tel que Canetti l’a découvert et il met en relation ce problème de la masse avec la technologie électrique. Baudrillard révèle ainsi que ce qui est désormais décisif dans nos sociétés modernes, ce ne sont plus les classes ce sont les masses, ce ne sont plus les classes sociales, ce sont les masses de communication, les masses d’informations, les masses d’informations électriques. Et de même encore que Canetti Baudrillard sait aussi que les masses sont toujours potentiellement des masses de morts. « C’est l’état de masse où il n’y a plus que des morts-vivants. » « Si on élimine les morts, alors les vivants deviennent étrangers les uns aux autres à force de promiscuité. C’est ce qui se produit dans notre état de surpopulation urbaine, de surinformation, de surcommunication. »
Par l’hybridation de Bataille et de M. Fernandez, Baudrillard a inventé une forme de dépense une forme de potlatch qui n’était plus exclusivement économique ou même symbolique, Baudrillard a inventé une forme de potlatch métaphysique. Et pour Baudrillard, la pataphysique de Jarry était par excellence un tel potlatch métaphysique. En effet comme Benjamin, Baudrillard essaie de métamorphoser la critique marxiste du capitalisme. A la différence de Benjamin cependant qui utilise des intuitions de la mystique juive pour transmuter le marxisme, Baudrillard préfère accomplir cette transmutation du marxisme par la pataphysique de Jarry ou par des hypothèses proches de Lichtenberg.
Une remarque de Canetti a aussi indiscutablement influencé la pensée de Baudrillard. « Une idée pénible : qu’au-delà d’un certain point précis du temps, l’histoire n’a plus été réelle. Sans s’en rendre compte, la totalité du genre humain aurait soudain quitté la réalité. Tout ce qui se serait passé depuis lors ne serait plus du tout vrai, mais nous ne pourrions pas nous en rendre compte. Notre tâche et notre devoir seraient à présent de découvrir ce point, et tant que nous ne le tiendrons pas, il nous faudra persévérer dans la destruction actuelle. » La grande différence cependant entre Canetti et Baudrillard c’est que pour Canetti la révélation de ce point d’irréalité de l’histoire est douloureuse et qu’elle incite à un devoir. Pour Baudrillard, cette révélation serait plutôt indifférente et elle provoquerait alors une disparition de la responsabilité. En effet pour Baudrillard ce que ce point d’irréalité de l’histoire provoque c’est l’irresponsabilité indifférente (ou l’indifférence irresponsable) de la théorie même.
Le jeu de la pensée de Baudrillard est enfin aussi surtout celui d’effectuer un pacte de séduction, un pacte de séduction paradoxal entre l’œuvre de Nietzsche et l’œuvre de Canetti. La théorie de Baudrillard essaie en effet d’abolir le dégoût profond de Canetti envers Nietzsche. La bizarrerie de la pensée de Baudrillard c’est d’inventer alors un nihilisme de la métamorphose. La bizarrerie de la pensée de Baudrillard c’est d’utiliser la métamorphose afin d’affirmer le nihilisme, c’est d’utiliser le principe de métamorphose de Canetti afin d’affirmer un nihilisme fatal, afin d’affirmer un nihilisme de la fatalité. La beauté étrange du nihilisme de Baudrillard c’est d’être ainsi deux fois paradoxal, d’abord parce qu’il est un nihilisme affirmatif c’est-à-dire nihilisme sans culpabilité et sans ressentiment et ensuite parce que c’est un nihilisme fatal. En effet, pour Baudrillard le vide est l’indice du destin comme le destin affirme la métamorphose du vide.