Eloge d’Eloïse Decazes
Eloïse regarde au loin. Eloïse regarde au loin dedans. Eloïse
regarde à la fois au loin et à l’intérieur. Eloïse regarde au lointain intérieur. Eloïse regarde au lointain intérieur du vide.
Eloïse évoque le lointain. Eloïse évoque le lointain intérieur.
Eloïse évoque le lointain intérieur avec les doigts du chant. Eloïse évoque le lointain intérieur du vide avec les doigts du chant.
Les yeux ultra-fixes et les gestes de silhouette sainte à la
Giotto d’Eloïse quand elle chante. Et son air de religieuse allumée, celui de porter presque à chaque instant le cierge d’elle-même. Son espièglerie
gelée aussi.
Eloïse tient à bout de bras le cierge d’elle-même, le cierge de
givre d’elle-même, le cierge de poussière d’elle-même, le cierge de poussière givrée d’elle-même.
Eloïse essaie de s’allonger les bras afin de s’éloigner de soi.
Eloïse s’allonge les bras avec les doigts du chant. Eloïse s’allonge les bras afin de s’éloigner de soi avec les doigts du chant.
Il y a chez Eloïse un étrange irrespect des codes spatiaux, un
superbe dédain envers les emplacements stéréotypés, envers la stéréotypie des emplacements.
Il y a une extraordinaire stylisation spatiale d’Eloïse. Eloïse
ne se tient jamais à une distance normale de l’autre, jamais à une distance attendue.
Quand elle s’éloigne, quand elle se tient à l’écart, elle
s’éloigne toujours un peu trop, elle s’éloigne très légèrement trop. Et à l’inverse quand elle se tient à proximité, elle se tient très légèrement trop près.
Eloïse se tient à chaque instant dans l’encoignure du vide, dans
l’angle mort-vivant, dans l’angle zombi.
Un sourire de petite fille, de petite fille
éperdue.
Une sorte de sauvagerie anglaise, de faroucherie
anglicane.
Un aspect presque giacomettien, une sorte de faroucherie
giacomettienne.
Des phalanges de kleptomane, des phalanges de sainte kleptomane,
des phalanges de religieuse kleptomane.
Un aspect bressonien. Et aussi un petit air d’Olive, la femme de
Popeye, une sorte d’Olive bressonienne, d’Olive kleptomane, d’Olive kleptomane des fantômes, d’Olive kleptomane des spectres, d’Olive kleptomane des zombis, d’Olive kleptomane bressonienne des
zombis.
Une allure à la Emily Dickinson, une allure d’Emily Dickinson
pop. Une allure d’Emily Dickinson bressonienne, d’Emily Dickinson bressonienne pop.
Eloïse chante comme un indienne, une indienne anglicane, ou
encore comme une Emily Dickinson apache.
Toujours un peu l’air de sortir d’un œuf de foudre, d’un œuf de
givre, d’un œuf de foudre givrée. Toujours un peu l’air de sortir de l’œuf d’un autre planète, de l’œuf de foudre d’une autre planète, de l’œuf de givre d’une autre planète, de l’œuf de foudre
givrée d’une autre planète.
Une sorte d’aisance à l’intérieur même de la maladresse, une
sorte d’aisance astrale de la maladresse, d’aisance stellaire de la maladresse, d’aisance armillaire de la maladresse.
Une attitude de martienne monacale, une martienne qui chante
comme un thérémine. Une attitude de martienne qui chante comme un thérérime de poussière, un thérémine de givre, un thérémine de poussière givrée, un thérémine de menthe, un thérémine de
poussière mentholée, un thérémine de poussière givrée mentholée.
Une dégaine de madone martienne, ou plutôt de madone
plutonienne, une madone plutonienne dotée des bras de Dingo et même des pattes de Pluto.
Une dégaine de sainte dingue. A chaque instant digne et dingue.
Eloïse insinue une sorte de dignité dingue, de dinguerie digne. Eloïse insinue la dinguerie de la dignité, la dinguerie élusive de la dignité, la dinguerie quasi hallucinatoire de la
dignité.
Eloïse apparait élégante comme une bicyclette, comme une
bicyclette bressonnienne. Eloïse survient élégante comme la bicyclette de sa voix, comme la bicyclette bressonienne de sa voix. Eloïse survient par son éloignement même. Eloïse survient par la
bicyclette d’éloignement de sa voix, par la bicyclette d’éloignement bressonnien de sa voix.
Eloïse chante comme une bicyclette. Eloïse chante comme une
bicyclette de poussière. Eloïse chante comme une bicyclette de gel, comme une bicyclette de poussière gelée. Eloïse chante comme une bicyclette de menthe, comme une bicyclette de poussière
mentholée, comme une bicyclette de poussière gelée mentholée.
Eloïse chante comme un paratonnerre. Eloïse chante comme un
paratonnerre de poussière. Eloïse chante comme un paratonnerre de gel. Eloïse chante comme un paratonnerre de poussière gelée. Eloïse chante comme un paratonnerre de menthe, comme un paratonnerre
de poussière mentholée, comme un paratonnerre de poussière gelée mentholée.
Eloïse chante infusée d’alcool. Eloïse chante comme un thérémine
infusé d’alcool. Eloïse chante comme le thérémine de tisane de l’alcool, le thérémine de poussière de l’alcool, le thérémine de menthe de l’alcool, le thérémine de poussière mentholée de
l’alcool. Eloïse chante comme le thérémine de tentation de l’alcool, le thérémine de tentation givrée de l’alcool, le thérémine de tentation mentholée de l’alcool, le thérémine de tentation
givrée mentholée de l’alcool.
Eloïse Decazes joue à la marelle. Eloïse Decazes joue à la
marelle du miracle.
Eloïse Decazes décale les cases du chant. Eloïse sait comment
s’éloigner de rien. Eloïse sait comme s’éloigner de rien par le geste de jouer à la marelle avec les cases du chant, avec le décalage des cases du chant.
Eloïse appose le chant. Eloïse appose l’échiquier du chant.
Eloïse évolue à chaque instant sur l’échiquier du chant, sur l’échiquier du chant astral, sur l’échiquier du chant stellaire.
Eloïse élude l’espace. Eloïse élude l’espace avec son
éloignement. Eloïse élude sa sidération même. Eloïse élude la sidération de l’espace avec son éloignement. Eloïse élude la sidération même de l’espace avec les gestes de son éloignement, avec les
phalanges de son éloignement.
Eloïse élude l’espace avec les phalanges du chant. Eloïse élude
le ready-made de l’espace avec les phalanges du chant, avec les phalanges de poussière du chant, avec les phalanges de givre du chant, avec les phalanges de poussière givrée du
chant.
Eloïse bague des élisions. Eloïse bague des élisions avec ses
doigts. Eloïse bague des élisions de vide avec le chant de ses doigts. Eloïse bague des élisions de vide avec les doigts du chant.
Eloïse transporte partout avec elle le clou de peluche dont
parle Emily Dickinson. « Novembre à son Clou de Peluche Accroche son Chapeau de Granit. » Quand Eloïse lève le bras, elle essaie ainsi de décrocher ou d’accrocher avec distinction, avec
espièglerie, avec une distinction espiègle le clou de peluche de son éloignement.
Eloïse chante à cloche-pied. Eloïse chante à cloche-pied à
l’extrémité des doigts. Eloïse chante à cloche-pied à l’extrémité des lèvres, à l’extrémité des lèvres des doigts. Eloïse chante à cloche-pied à l’extrémité de la bouche des doigts, à l’extrémité
de la bouche astrale des doigts, à l’extrémité de la bouche stellaire des doigts.
Eloïse distingue l’acrobate à l’intérieur du grain de poussière.
Eloïse distingue l’acrobate des sons à l’intérieur même du grain de poussière.
Eloïse chante en équilibre sur le trapèze de la poussière.
Eloïse chante en équilibre sur le trapèze du silence, sur le trapèze de poussière du silence. Eloïse chante en équilibre sur le trapèze clownesque du silence, sur le trapèze de poussière
clownesque du silence.
Eloïse chante comme un clown blanc. Eloïse chante comme le clown
blanc de la poussière. Eloïse chante comme le clown blanc du silence, le clown blanc de poussière du silence. Eloïse chante comme Harpo Marx. Eloïse chante comme Harpo Marx se tait. Eloïse chante
comme le Harpo Marx de la poussière, le Harpo Marx du gel, le Harpo Marx de la menthe, le Harpo Marx de la poussière gelée, le Harpo Marx de la poussière mentholée, le Harpo Marx de la poussière
gelée mentholée.
Eloïse transforme le clown blanc en balance. Eloïse transforme
le clown blanc en balance d’épicier, en balance de la poussière, en balance d’épicier de la poussière, en balance de poussière de l’épicier.
Eloïse épice le chant avec la poussière. Eloïse épice le chant
avec l’espièglerie de la poussière. Eloïse épice le chant avec l’espièglerie de gel de la poussière. Eloïse épice l’élision du chant. Eloïse épice l’élision du chant avec le givre de la
poussière, avec l’espièglerie de givre de la poussière.
Eloïse a des gestes d’écureuil aussi parfois, un écureuil qui
aurait gobé un pingouin, un écureuil qui aurait gobé pour rire un pingouin. Eloïse a des gestes de coccinelle aussi parfois, une coccinelle qui aurait gobé pour rire un aigle.
Eloïse pose des coccinelles. Eloïse pose des coccinelles sur la
banquise. Eloïse pose des coccinelles au sommet de l’Himalaya. Eloïse pose des coccinelles de heureux hasard au sommet de l’Himalaya. Eloïse pose des coccinelles à l’intérieur de déserts de
givre.
Eloïse pose des coccinelles au cœur du zéro. Eloïse pose des
coccinelles de malédiction au cœur du zéro. Eloïse pose des coccinelles de coïncidences, des coccinelles de coïncidences maudites au cœur du zéro. Eloïse pose des coccinelles de malédiction
heureuse au cœur du zéro, au cœur du sourire du zéro.
Eloïse extrait des lapins du chapeau de ses ongles. Eloïse
extrait des lapins de la lunule de ses ongles. Eloïse extrait des chapeaux de lapins de la lunule de ses ongles. Eloïse extrait des lapins de sidération, des lapins de sidération éberluée de la
lunule de ses ongles.
Eloïse regarde les papillons bondir comme des écureuils et les
écureuils voler comme des papillons. Eloïse regarde les papillons bondir comme des écureuils d’ailes, des écureuils d’arc en ailes et les écureuils voler comme des papillons de fourrure, comme
des papillons de poils, comme des papillons de poils incohérents, comme des papillons de poils inconséquents, comme des papillons de poils incohérents inconséquents.
Eloïse s’approche comme un héron-écureuil et s’éloigne comme un
écureuil-héron.
Eloïse cueille la fleur du vide. Eloïse cueille la fleur du vide
à la fois comme un héron et un écureuil. Eloïse cueille la fleur du vide comme le héron de la poussière et l’écureuil du givre comme le héron du
givre et l’écureuil de la poussière.
Eloïse cueille le cercueil du vide comme un écureuil-héron.
Eloïse cueille la fleur de cercueil du vide. Eloïse cueille la fleur de cercueil du vide comme un écureuil-héron.
Eloïse esquisse l’éther. Eloïse esquisse l’éther avec les doigts
du chant. Eloïse esquisse le paratonnerre de l’éther. Eloïse esquisse le paratonnerre de l’éther avec les doigts du chant.
Eloïse esquisse le paratonnerre du givre. Eloïse esquisse le
paratonnerre de givre de l’éther. Eloïse esquisse le paratonnerre de givre de l’éther avec les doigts du chant.
Eloïse cueille la bicyclette de l’éther. Eloïse cueille la
bicyclette de givre de l’éther. Eloïse cueille la bicyclette de givre de l’éther avec les doigts du chant.
Eloïse attend l’autobus des fantômes. Eloïse attend l’autobus
des fantômes comme un héron bagué, comme un héron bagué de hurlements discrets.
Eloïse attend l’autobus des fantômes à bout de bras, à tout bout
de chant, à bout de bras du chant. Eloïse attend l’autobus des fantômes à bout de bras en ébullition du chant.
La première fois qu’Eloïse me rencontre, après m’avoir
spontanément embrassé sur les joues pour me saluer, elle marche sur des livres posés par terre. Je lui dis « Oui, marchons ainsi sur les livres pour composer des escaliers. » Et je n’ai pas
le temps de dire les escaliers du chant.
Ensuite peu après Eloïse fait une erreur de déplacement et fait
tomber des livres sur une étagère. Elle s’exclame alors « Ce n’est pas moi. » Je lui dis en riant. « Tu sais, ce n’est pas parce que tu as fait une erreur que ce n’est pas toi qui l’a faite.
» Et avec une sorte d’humilité magnanime, elle rit aussi.
En société, Eloïse ne parle presque pas. En société, Eloïse dit
une phrase par siècle.
A la fin de la soirée, à l’instant où elle s’en va, Eloïse me
touche l’épaule très vite. Et ce geste apparait ainsi comme une rime à une phrase de la conversation auparavant. (J’avais dit quelque chose comme : A l’intérieur des films de Dumont, la
femme ne parvient à contempler le paysage qu’à l’instant où elle touche l’épaule de l’homme qui contemple déjà ce paysage.)
Il y a à l’intérieur de la voix d’Eloïse une manière d’appeler à
l’existence, une manière d’invoquer à l’existence, une manière d’évoquer à l’existence. C’est comme si la voix d’Eloïse parvenait à faire exister les choses, à faire apparaitre et disparaitre les
choses ou plutôt à faire apparaitre et disparaitre les figures des choses, les figures des choses antérieures aux choses même.
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