Léaud, Solitude de la Voix Lactée.
L'apparence de Jean-Pierre Léaud est déclarée par le lointain, par l'extrême dehors de sa voix. Léaud apparait comme s'il était prophétisé par l'astre d'anesthésie de sa voix. La chair de Léaud est le satellite de la vitesse d'utopie de sa voix, elle est le satellite de la vitesse d'anesthésie facile, d'anesthésie excitée de sa voix.
Léaud est abstrait, abstraction qui n'est pas celle de sa pensée mais qui est celle de sa voix. Léaud c'est une abstraction surprise, une abstraction étonnée, c'est l'abstraction de tomber des nues. Léaud c'est un revenant qui n'en revient pas. Il ne revient pas de chez les morts, il revient de chez les vivants. Son abstraction est de revenir de la vie, il a traversé la vie et l'euphorie de ses gestes est de faire comme si il faisait acte de présence avec son corps alors qu'il affecte comme ça exact d'aisance avec sa voix. Léaud ne fait jamais acte de présence, la virtuose monotonie de sa voix est d'halluciner des déclarations de présence comme des gestes de disparition. C'est comme si ses paroles avaient des visions et que ses visions formaient précisément l'apparition comme la disparition, la prestidigitation à l'abandon de sa présence. Tel un candide dandy, un candide mendiant dandy, il est le puéril prestidigitateur de sa présence. C'est un prestidigitateur à l'envers, sa présence est le geste aléatoire de montrer sa disparition. Au lieu comme le prestidigitateur de dissimuler comment il fait disparaitre et d'exhiber comment il fait apparaitre, Léaud lui montre comment il disparait et dissimule comment il apparaît. Il est de ceux qui savent s'amuser à ne pas reconnaître leurs gestes. Il ne se laisse pas si spontanément convaincre que la main avec laquelle il vous montre sa main est en vérité la sienne, malgré tout ilveut bien vous laisser croire qu'elle l'est en effet. En effet à jamais et non en vérité. Il est le prestidigitateur qui fait disparaitre ses mains avec ses gestes ou ses gestes avec ses mains Il est le prestidigitateur qui fait disparaitre ses mains avec les gestes de sa voix ou sa voix avec les gestes de ses mains. Il est le prestidigitateur qui fait disparaitre ses gestes avec la voix de ses mains ou ses mains avec la voix de ses gestes.
Léaud effectue les gestes incinérés de l'aléatoire élégance. L'ironie volatile de ses attitudes est le geste de vide joui de passer à travers les actes, est le geste de vide joui comme un impeccable trait d'esprit de pulsion de passer à travers les actes comme une impeccable pulsion de trait d'esprit. L'incandescente nudité de la voix de ses gestes s'insinue à l'intérieur des actes comme une cristalline haleine d'intolérance, une invulnérable buée de cristal. Ainsi Léaud ne passe jamais à l'acte ce serait passer à l'ennemi. A l'acte Léaud dit "je passe", comme au poker ou comme on passe le Léthée et son jeu est d'être le seul à le savoir.
Léaud n'a pas traversé le miroir ni même la vitre, il a traversé la transparence de l'air. C'est l'aspect duchampien de son apparition. Léaud c'est le ready-made du jeu fait homme. Il est parmi les hommes comme un désert parmi les grains de sable. Il n'y croit pas. Quand il vient il n'en revient pas, en effet c'est à ne pas croire, un ange toujours déjà fait qui ne croit pas à sa venue. Léaud est un ange sans ailes, ses ailes sont somnolées par l'abstraction burlesque comme la tentation de sa voix. C'est comme si son absence était l'annonciation de sa présence. A l'échange des mots il substitue l'annonciation d'impensables acquittements. Quand Léaud lève le doigt ce n'est pas afin d'être sentencieux c'est seulement afin d'être solennel, c'est seulement afin d'entendre solennellement l'encens des cieux. Sa désinvolte solennité est d'acquitter le jugement par l'affectation épouvantée de l'affect, par l'insouciante terreur de l'incrédulité.
La volonté de Léaud est d'affectation naïve. Il ne retrouve pas l'enfance, il n'est pas en enfance. Son enfance, il n'en revient pas. Son enfance n'en revient pas d'être à jamais là comme l'ascèse de la facilité.
Selon Borges, la beauté est l'imminence d'une révélation qui ne se produit pas. Léaud ne désire pas la beauté, son exubérante discrétion désire le sublime, c'est-à-dire qu'il est la révélation d'une imminence qui ne s'éteint pas, l'enfantillage d'un feu d'imminence.
Que désigne l'index de Léaud ? L'index de Léaud désigne le ciel de sa voix. Il retient son souffle, sa voix le retient. Sa voix le retient comme un homme retient son sperme. Son ravissement est semblable à un enthousiasme de la retenue et son enthousiasme est d'incarner l'au revoir de l'adieu. La démence de Léaud est la minérale frivolité de disparaître comme l'adieu de l'au revoir et d'apparaitre comme l'au-revoir de l'adieu.
Ce n'est pas Léaud qui voit clair, c'est uniquement sa voix. Sa lucidité c'est l'étonnement de sa voix. Sa lucidité c'est l'étonnement éhonté de sa voix. Sa voix le surprend, le dépossède passionnément de sa vérité jusqu'à le transformer en une syncope d'évidence. Sa voix envoie sa chair comme si elle envoyait une lettre à la taciturne clarté du temps, une lettre d'invulnérable oubli, l'invulnérable oubli d'un lait dévoyé. Ses réflexes sont des réflexes de sainteté, d'ascèse futile, de sainte inauthenticité. Il joue avec le flux des sentiments comme Mc Enroe jouait avec les balles des autres, il répond toujours oui et toujours en marge, il acquiesce par l'esquive. Sa virtuosité est de se concentrer afin quoi qu'il arrive de toujours rater la cible. Son ascèse, son attention érotique est le geste de toujours passer à côté du sujet. Son extravagance est quasiment semblable à l'idiotie sacrée de sa délicatesse. A l'intérieur de ce quasi, le scalpel de sa passion somnole, le scalpel de sa passion somnole à perdre haleine. La facticité de Léaud c'est sa stupéfaction. Sa stupéfaction est son stupéfiant. Léaud est drogué par son propre étonnement, par l'élégance de sa translucide incrédulité. Quand il se pavane, Léaud est capable de rater l'autobus alors qu'il ne désire pas prendre l'autobus, il est capable de rater une marche alors qu'il est à des années-lumière de l'escalier, telle est la virtuosité de ses attentats à la pudeur. Et qui sait si ses attentats à la pudeur ne sont pas de la poudre aux yeux? Qui sait si ses attentats à la poudre ne sont pas de la pudeur aux oreilles?
A quoi joue Léaud ? Il ne joue pas la scène, il ne joue pas le rôle, il ne joue pas le texte, ilne joue pas la situation, il ne se la joue pas (Léaud n'est pas spéculaire), il joue le destin des gestes de la voix. Léaud n'est pas un corps jeté au monde, c'est la disparition d'un corps jeté au monde par le lointain joué d'une voix.
Il joue sa voix. Au lieu de jouer sa vie, il joue sa voix. Léaud joue à qui perd joue, il joue à qui perd grâce. Jouer pour Léaud n'est pas exécuter quoi que ce soit, c'est grâcier, c'est le geste de grâcier l'existence par l'évocation immédiate du temps, du temps perdu, perdu par l'indécence du don éludé. Léaud est un martyr humoristique. Au jeu il tend l'autre joue. Léaud toujours tend l'autre joue avant même qu'on ne le frappe. Il tend l'autre joue afin de sauvegarder intacte, indemne, intouchable, la joue de l'un, le jeu.
Son jeu c'est de la dédicace, une dédicatesse, c'est d'être dédicacé par ses propres gestes. Il joue comme il donne son adresse, comme il donne son adresse à sa solitude, à la solitude du temps. Ce que joue Léaud, c'est la solitude du temps qui enveloppe traverse et poignarde les hommes. Il s'adonne à la solitude du temps comme ses gestes miment sa voix. Il joue la prophétie de sa voix. Ce que sa voix prophétise ce n'est pas sa venue, c'est le ravissement incrédule du ça n'en revient pas, le ravissement incrédule d'un oubli ici maintenant, d'un oubli immédiat comme ça n'en revient pas. Sa voix tombe des nues comme elle s'élève des vêtues. Léaud est le sosie de sa voix, l'évident siamois de sa voix. Son image est le sosie de sa voix. Son image mime sa voix et sa voix mime son image, elles sont soudées l'une à l'autre par une forme sans nom, par la forme illimitée du jeu.
Selon Léaud le destin est une feinte, le destin a la forme d'un baiser volé. La voix de Léaud c'est l'existence comme baiser volé, c'est un baiser volé qui parle, un baiser volé qui marche, déambule, un baiser volé qui dit "S'il-vous-plaît, j'aimerais boire une limonade", la feinte d'une balle perdue comme un baiser volé.
Que devient le monde où une existence apparait comme le baiser volé du blanc? Le monde devient alors une fable. Quand Léaud apparaît, les acteurs, la caméra et le monde deviennent une légende, la légende de la monotone vivacité. Léaud est une bactérie du fabuleux. Son génie c'est le féérique affolement qu'il provoque chez les autres acteurs, la manière qu'il a de les forcer à révéler comment ils sont possédés par le désir d'être fabuleux, par le désir d'être des elfes, des elfes énergumènes de l'extrême translucidité.
Truffaut dit de Léaud qu"'il suffit qu'il dise bonjour pour qu'on bascule dans la fiction", dans une fiction qui n'est même pas écrite, qui n'est même pas dite, étant donné qu'elle est la fiction de l'oubli, la fable de l'oubli de sa voix. Léaud parle comme un brin d'herbe oscille dans le vent. Il n'y a absolument aucun effort, aucun travail dans sa voix, sa voix est celle de l'oisiveté intégrale, une oisiveté malgré tout héroïque, audacieuse, presque suicidaire. Sa voix c'est d'être seulement touché par le vent du temps. Sa voix c'est l'ascèse de la désinvolture, la nonchalance exacte d'être seulement touché par le vent jusqu'à ce que l'immortalité s'en suive. Le jeu de Léaud est complexe comme bonjour et simple comme au-revoir. Sa courtoisie c'est la démence minérale de sa voix, une fontaine pétrifiée. Le jeu de Léaud c'est la fontaine pétrifiée des gestes totémiques de sa voix. Ce totem de temps invulnérablement perdu est complexe comme bonjour et simple comme au-revoir.
Léaud ne joue jamais un personnage de cinéma, ce serait plutôt le cinéma qui serait un personnage parmi d'autres de son jeu, un personnage de fiction. Pour lui le cinéma est une figure imaginaire, comme un animal mythologique. Ce qui est évident c'est que Léaud n'est jamais mis en scène par les cinéastes, c'est toujours lui à l'inverse qui met en jeu le film, qui met en jeu le cinéma. Truffaut est le seul cinéaste qui a paisiblement accepté que son cinéma soit mis en jeu, mis amoureusement en jeu par Léaud, mis en jeu comme mis au parfum, à la déflagration d'évidence du parfum, à la voix du parfum. Les autres cinéastes ont toujours un peu peur de Léaud, ils ont peur que Léaud s'amuse comme un enfant avec le sérieux de leur cinéma. Léaud parle avec le regard des autres. Au cinéma, il est le seul acteur qui ne parle pas avec les mots du cinéaste mais avec les plans du cinéaste. Les plans du film volent à l'intérieur de sa bouche, volent à l'intérieur de l'illusion de sa voix. La solitude d'illusion de sa voix radiographie le cinéma, radiographie la foule de phantasmes du cinéma.
Léaud vit en voix-off. Son chant est de surgir à jamais hors-champ. L'auréole de chair de Léaud apparait comme une voix-off paradoxale, une voix-off de cinéma muet. Léaud est le météore d'un acteur du cinéma muet perdu abandonné dans le cinéma parlant. Léaud apparait de vive voix comme un acteur du muet. Le cinéma muet que joue Léaud n'est pas le cinéma muet tel qu'il fut avant d'être parlant mais plutôt le silence qu'il fut avant même d'être le cinéma. Léaud joue comme un acteur de cinéma qui ne saurait pas que le cinéma existe. Telle est l'affectation intense du jeu de Léaud, il ne joue pas un personnage, un texte, son jeu c'est simplement d'apparaitre comme si le cinéma n'avait jamais existé. Ce qu'il joue, c'est la joie évoquée d'une figure qui ne saurait pas que le cinéma existe. C'est pourquoi les regards-caméra de Léaud sont inoubliables, il regarde une caméra comme s'il ne savait pas que le cinéma existe. Il est ainsi comparable à un de ces déments filmés par Depardon dans San Clemente, qui parce qu'il n'avait pas conscience d'être filmé demandait naturellement du feu au caméraman sans penser que celui-ci ne pouvait pas lui en donner précisément parce qu'il tenait une caméra dans les mains. Léaud est comparable à ce dément, malgré tout il en diffère, en effet le dément de San Clemente ne voyait pas la caméra, Léaud lui voit la caméra mais il ne la voit pas comme une caméra, il la voit comme, il la voit comme un visage, il la voit comme s'il était toujours possible de demander du feu au visage de la caméra, comme s'il était possible de lui demander le feu d'un regard. Pour Léaud, le cinéma n'existe pas, ce qui existe c'est l'incendie des regards, l'incendie cosmique et cosméthique des regards.
Parce que sa voix est un baiser volé, Léaud est le seul acteur à pouvoir faire rougir d'obscène bonheur l'œil objectif de la caméra. Quand la caméra filme Léaud, elle rougit d'être un œil impassible, un œil indifférent, et de rougir ainsi elle se transforme en bouche, en bouche aveugle, en une bouche aveugle qui désirerait avoir une conversation avec lui, en bouche aveugle de la foudroyante charité. Léaud est peut-être le seul acteur apte à transformer le masque de la caméra, le visage-œil absolu de la caméra objective en visage-bouche comme cataracte subjectile.
Léaud est un baiser volé absolu parce que pour lui chaque fragment du monde est un visage. La caméra est un visage, l'autre acteur est un visage, la main de l'autre acteur est un visage, le lit sur lequel il est assis est un visage. Sa voix envisage chaque fragment du monde comme elle dévisage sa totalité.
Le paradoxe de Léaud est que sa voix est la forme présente du cinéma muet comme souvenir d'un secret perdu. Sa voix est la forme du silence d'avant le cinéma, du silence-image, du cosmétique silence totem d'avant le cinéma. La voix de Léaud est le silence des apparences avant le cinéma. Sa voix est un tableau, un tableau vivant. Sa voix tient la pause comme un tableau vivant. Sa voix est un tableau vivant d'une musique, d'une note. Léaud parle comme un muet cosmétique. Sa parole est l'affectation, la subtilité d'un mutisme éludé, d'un mutisme perdu par étonnement d'illusion. Le jeu fatal de la voix de Léaud est de faire comme si le cinéma n'existait pas. Pour Léaud, le cinéma c'est la terre qui tourne pas la caméra. Le ça tourne pour Léaud est celui du mouvement de la terre, du mouvement révolutionnaire, inexorable, elliptique, syncopé, de l'enthousiasme de la terre. Léaud n'a pas besoin du cinéma, parce qu'il a à chaque instant la sensation d'être filmé par le ça tourne de la Terre. On entend le bruissement de la Terre qui tourne dans l'étonnement clairvoyant de sa voix.
L'apparence de Léaud est filmée par sa voix avant d'être filmée par le cinéma, c'est pourquoi il est impossible de filmer Léaud. La caméra n'enregistre pas réellement ses gestes, les gestes de Léaud ne sont pas réellement imprimés sur la pellicule, mais c'est à l'inverse la pulsation de la pellicule qui est imprimée sur le corps, sur la disparition incarnée de Léaud. Ainsi le jour où Léaud mourra, les images de Léaud elles aussi mourront. Quand Léaud mourra, son image dans les films où il a joué elle aussi disparaitra. Ce qui apparaitra alors sera l'immortelle blancheur de sa voix. Parce que la voix de Léaud est immortelle, l'image de Léaud disparaitra avec sa chair. C'est à la mort de Léaud que deviendra paradoxalement ultra visible son charme de cinéaste qui ne croit pas au cinéma. A la mort de Léaud, chacun des films où sa voix aura joué sera à jamais transformé. Son image se métamorphosera en disparition de son image à l'intérieur de l'extase taciturne de sa voix. Ainsi les films où Léaud a joué seront à jamais mutilés, stigmatisés par un vol en éclats, le vol en éclats de sa voix; ainsi dans les films où il a joué, son image qui était une image vivante, uniquement vivante, sera transformée en une voix blanche, en un blanc de voix semblable à une forme unicellulaire d'utopie immédiate. Dans La Maman et la Putain de Eustache, Léaud parle d'une vision qu'il a eue. Il a vu une autoroute comme elle était il y a des milliers d'années ou comme elle sera dans des milliers d'années. C'est une autoroute en ruine, envahie par les herbes. Il dit qu'il voit l'autoroute comme on voit aujourd'hui le Parthénon ou les pyramides, comme les indices, les vestiges d'une civilisation disparue. De la même manière, ce que la voix de Léaud déclare, ce que la voix de Léaud voit, c'est la ruine du cinéma, c'est la ruine du lieu-cinéma, c'est le cinéma envahi par les herbes cosmétiques de l'oubli. La voix de Léaud apparait comme la ruine du cinéma antérieure au cinéma. Ce que la voix de Léaud voit c'est le temps où le cinéma n'existait pas encore, comme le temps où il n'existera plus. La voix de Léaud voit non pas le temps de l'inexistence du cinéma, non pas le temps de sa disparition, elle voit le temps de son inexistence comme de sa disparition La voix de Léaud voit le temps où coïncident, ou comparaissent, où apparaissent en s'embrassant l'inexistence et la disparition herborescentes du cinéma. Dans La Maman et la Putain Léaud dit ensuite qu'il existera un jour des vieillards qui parleront aux jeunes hommes d'une chose qui était le cinéma, des images qui parlent, et que ces jeunes hommes ne comprendront pas de quoi parlent ces vieillards. La voix de Léaud ne ressemble pas à ces vieillards, la virtuosité de sa sagesse est différente. La voix de Léaud déclare à chaque instant qu'il y eut un temps où le cinéma n'existait pas comme un temps où il n'existera plus, un temps qui n'était pas celui des images qui parlent mais celui des paroles qui imaginent l'utopie de l'instinct d'apparaitre. Ce temps où le cinéma est une forme d'anesthésie du souffle, d'illusoire anesthésie du souffle, la voix de Léaud le déclare au cœur même du cinéma. La voix de Léaud c'est le souffle au cœur du cinéma. La voix de Léaud c'est l'asthme de cristalline monotonie du cinéma.
Léaud n'est pas entre la présence et l'absence entre l'ici et l'ailleurs, il n'est pas dans un intervalle, il tonitrue sa présence par son absence. Sa présence est le tonnerre de son absence. L'illusion de sa présence est le tonnerre de son absence, un tonnerre blanc, le tonnerre atonal de l'humour, d'un humour crucial.
Pour Léaud ce qui sépare la présence de l'absence n'est justement pas un intervalle, n'est pas une distance c'est un rythme du temps, c'est le tempo. La démence subtile du jeu de Léaud c'est que son absence et sa présence ne sont pas séparées, elles s'amusent à se croiser et quand elles se croisent, elles ne font jamais semblant de ne pas se voir, elles se saluent solennellement comme si c'était la première de la dernière fois. Cela recommence à chaque instant mais c'est pour elles toujours et à jamais la première de la dernière fois Léaud est au croisement, au carrefour de son absence et de sa présence, il est la croix de leur connivence, la connivence c'est-à-dire en botanique (Léaud est un végétal vagabond, une plante qui marche avec une infidèle emphase) l'acte par lequel des organes se touchent à leur sommet. L'absence et la présence sont des organes pour Léaud, les organes de son jeu. Cette connivence de sa présence et de son absence est le battement de cœur de Léaud. Léaud n'a pas d'autre cœur que ce croisement. Cette croix il ne la porte pas, c'est elle qui le porte, le transporte, l'exalte amoureusement. Léaud n'a pas de cœur réel, son cœur est un jeu, le battement de son cœur est l'oscillation, l'inintelligible pulsation de sa présence et de son absence.
Jamais Léaud ne personnifie l'absence, plutôt il dérobe, il déshabille son absence en la saluant. Sa virtuosité n'est pas d'avoir des absences c'est d'halluciner des absences. Léaud hallucine des absences dans le regard des autres, il hallucine des absences grâce auxquelles il embrasse, il étreint le regard des autres. La subtilité de Léaud est de faire voir aux autres qu'il voit le vide à l'instant où il touche à l'intérieur de la clarté une chose, et ce qui montrerait aux autres qu'il voit le vide, c'est sa voix. Sa voix montre qu'il ne voit pas ce qu'il touche à l'intérieur de la clarté.
C'est comme si Léaud parvenait au prodige de jouer au ping-pong tout seul. Léaud est un personnage de bande dessinée vivant qui frappe le coup d'un côté de la table et se déplace si vite qu'il parvient à recevoir la balle de l'autre côté. Ou bien Léaud est joué au ping-pong, il est la balle de ping-pong que s'adressent, se renvoient sa présence et son absence, en un point d'une durée infinie, un point de la durée d'une vie; miracle d'une balle en perpétuel mouvement et qui malgré tout ne tomberait jamais de la table, ne sortirait jamaisdu jeu.
Ce qu'indique Léaud c'est la solitude du jeu. L'habitude des acteurs est de faire comme si. L'étincelante habitude de Léaud est de faire comme ça, comme ça qui est la solitude du jeu. Léaud n'est jamais seul avec lui-même. Il est seul avec le jeu. Il est seul comme le jeu. Il est seul comme la joie du jeu, il est seul comme la joie tragique, la joie terrible, la joie désespérée du jeu. C'est une solitude sosie de l'illusion. La solitude du jeu de Léaud est d'être le sosie de sa voix. La solitude du jeu de Léaud est d'être le sosie de la vitesse d'anesthésie de sa voix.
Le détachement entre le jeu et le geste n'existe pas pour Léaud, il n'y a pas d'autres gestes que ceux du jeu. Le geste est à chaque instant la déclaration du jeu. Son jeu n'est pas distancié, la chair de ses gestes n'est pas à distance du personnage. Léaud apparaît dans un monde où il n'y a pas de distances, où chaque distance est transformée à l'instant en illimité, en illimité du destin. Si détachement il y a chez Léaud ce n'est donc pas celui du jeu envers le geste, c'est le détachement du jeu envers le monde qui parfois cesse de jouer alors que Léaud lui ne sait pas ce qu'est cesser de jouer. II ne le sait pas, telle est sa naïveté, telle est sa solitude. Naïveté au sens où Léaud connait le jeu mais n'en n'a pas conscience, ne le conçoit pas, connaissance du jeu sans conscience, Léaud co-nait le jeu, il est né à un instant de jeu.
Léaud est différent des acteurs qui jouent de la présence de leur corps comme d'un instrument, l'instrument de Léaud c'est l'abstraction de son apparaître, l'abstraction de son existence à disparaître par la translucidité de sa voix. Léaud joue de l'abstraction de son destin comme d'un instrument. Léaud mime son destin, il mime l'abstraction de l'affect, il mime le destin d'être donné par l'abstraction de l'affect. Il n'y a aucune neutralité dans le jeu de Léaud, il y a plutôt l'étrangeté d'une incisive dérobade, d'une brutale dérobade, d'une dérobade d’aube. Le détachement de la voix de Léaud est le détachement paradoxal de celui qui ne quitte jamais personne, de celui qui acquitte au lieu de quitter. Alexandre dans La Maman et la Putain affirme "Je ne quitte jamais personne. Je ne fais jamais rien. Je laisse le temps le faire. Je laisse le temps faire son travail. Vous ne voudriez pas que je fasse le travail d'un autre ?" Ainsi la voix de Léaud est une forme sacrée de désœuvrement, un désœuvrement excité, la paresse de laisser parler le temps à l'intérieur de son souffle, le geste sans rien faire de laisser parler le temps à l'intérieur de son souffle.
Sa voix semble ventriloquer le discours. Le sens de la vie de Léaud est ventriloqué par sa voix. Les gestes de son destin sont ventriloqués par l'extase tacite de sa voix. C'est comme si sa voix ventriloquait les gestes de sa respiration comme de son destin.
La voix de Léaud ventriloque la transparence de l'air. Sa voix n'est pas ici et ailleurs, elle est ici à présent, ici au passé, ici au futur. Son ubiquité n'est pas une ubiquité dans l'espace mais dans le temps, c'est pourquoi elle n'est pas totalitaire mais fabuleusement désinvolte. La voix de Léaud n'a ni le premier ni le dernier mot, elle dispose uniquement du mot au centre du temps, elle ravit le mot du centre de la conversation.
Il parle comme les autres épellent leur nom, comme les autres épellent leur nom à un étranger, il parle comme un enfant pèle un fruit, il parle comme il transforme l'horizon du temps en la magnifique et puérile spirale d'un orange, il parle comme un dément subtil dont l'unique désir serait de peler l'odeur d'un fruit, il parle comme il peaufine le dépeçage d'un fruit, comme s'il peaufinait le dépeçage d'une incomparable mandarine. Il parle comme il fait joujou avec l'odeur de la joue spiraloïdale d'une orange, d'une orange déchue. Il parle comme si sa voix épelait la peau du fruit toujours déjà perdu de la connaissance. Comme d'autres épellent leur nom, il épelle sa voix avec des phrases, avec des mots, des silences. Ses paroles semblent épeler l'intégrité invulnérable, le nom inouï comme l'apostrophe de cristal facétieux de sa voix. Quand il parle on a l'impression qu'il prononce les mots comme des signes de ponctuation, des signes de ponctuation inconnus, innommables.
L’ahurissement de Léaud est botticellien. Sa voix est comme typographiée sur la page de l'air. L'ahurissement de la voix de Léaud serait celui d'un animal face à une coquille typographique, coquille typographique d'où émergerait la nudité de Vénus douée d'un sexe d'homme. L'ahurissement de la voix de Léaud est un ahurissement hermaphrodite, c'est l'ahurissement de Vénus face à l'infidèle turgescence de son incroyable phallus. La voix de Léaud c'est le naufrage facile de Vénus qui malgré tout revient sous la forme d'un efficace phallus. C'est le mythe de Vénus joué à l'envers, pour le plaisir de révéler que le temps est réversible comme l'illusion de l'éveil. Léaud est le miraculé de la solitude de sa voix, sa voix c'est l'océan dans le ghetto d'une goutte d'eau. Le gag gracieux de son destin est d'être le naufragé facile, intact de cette goutte de sommeil d'excitation, d'une goutte d'excitation de sommeil comme une aisance éhontée. Léaud flotte dans sa voix comme dans un vêtement trop grand ou comme dans le ventre de sa mère. Léaud est un fœtus qui flotte dans le ventre hermaphrodite de sa propre voix. Et sa bizarrerie c'est que ce flottement n'est pas flou, il est définitif, incisif. Léaud flotte en érection dans le ventre hermaphrodite de sa propre voix. Son destin est la feinte d'être l'orphelin de sa solitude.
Sa voix tient la pause, sa voix tient la pause comme un tableau vivant. Sa voix tient la pause face au nonchalant regard des nuages. Léaud parle comme si sa voix était contemplée par l'aveugle désinvolture des nuages Sa voix tient la pause et il semble parfois qu'elle touche du genou le regard des nuages comme le faisait Matisse lorsqu'il peignait ses modèles. L'étrangeté de cette voix c'est qu'elle ne tient la pause qu'à l'intérieur du temps, elle tient la pause à l'intérieur du temps comme elle désire être regardée par le passage nuageux de l'espace, par la métamorphose de nuée invulnérable de l'espace.
"Je pense au roman naïf de l'écrivain nigérien Amos
Tutuola : le héros est le fils de Dieu, mais il l'oublie tout le temps ... il ne cesse de dire "ah, j'oublie encore que je suis le fils de Dieu"." R. Ruiz. Léaud est semblable à ce héros, sauf
que la phrase "ah j'oublie encore que je suis le fils de Dieu", il ne la dit pas, c'est sa voix qui la dit à sa place, c'est sa voix qui la dit en silence. Le silence de sa voix, le silence à
l'instant à jamais de sa voix est la phrase "ah j'oublie encore que je suis le fils de Dieu". Sa voix est le jeu de son oubli comme son oubli est le jeu de sa voix. Sa voix prophétise son oubli.
La folâtre prophétie du jeu de sa voix est d'oublier une fois, une fois encore, une fois encore et à jamais qu'il est le fils de Dieu.
En dehors du jeu, Léaud semble ne se souvenir de rien. C'est soit la vérité de l'amnésie, soit la mémoire ravie du jeu, la forme où elles coïncident est la pellicule cinématographique de sa voix. Si Léaud ne sait pas que le cinéma existe, c'est parce qu'il calligraphie, c'est parce qu'il imprime à chaque instant les apparences sur la peau immortelle de sa voix. Léaud est un Christ amnésique, un Christ qui ne croit pas à la vérité de ce qu'il dit mais seulement à la miraculeuse illusion de sa voix, ce que sa voix déclare tacitement c'est "le ciel et la terre passeront, mes paroles passeront, malgré tout la voix qui invente ces paroles, la voix qui jette comme elle retient la transparence de ces paroles, cette voix elle qui est le jeu de l'oubli, cette voix elle est immortelle. "
"Nous sommes tous immortels grâce à notre passé." Ainsi pensait Windham Lewis, voilà une idée qui ne traversa jamais le squelette ailé de Léaud. Ce que Léaud sent c'est qu'il est immortel grâce à sa voix. Il sent que sa voix est immortelle et que lui ne l'est pas et que c'est ce jeu entre l'immortalité de sa voix et la mortalité de sa chair, qui est son âme, c'est cela qui l'amuse, qui l'âme use.
La voix de Léaud est sa divinité. L'énigme diaphane de Léaud c'est qu'il est un être dont le dieu est sa propre voix. Quand il parle, il prie sa voix. A chaque instant Léaud prie la transcendante neutralité de sa voix. Léaud ne parle jamais à l'autre et il ne se parle jamais à lui-même, il parle comme il a une conversation de prière avec la répétition de vide de sa voix. L'énigme de Léaud c'est qu'il croit malgré lui avant qu'il ait le temps de vouloir ou de désirer à la divinité neutre de sa voix. Léaud est l'envoyé de sa voix. Le jeu de Léaud est d'être le messie malgré lui de sa voix. Comment vivre quand à chaque instant sa chair est inventée par les acrobaties, les crucifixions frivoles de sa voix ? Alors l'idée même de vitalité devient superflue. La vitalité n'est plus qu'un détail du souffle. Léaud ne respire pas pour vivre. Il inspire et expire à tour de rôle. Sa voix joue à la vie à la mort. Ce que déclare la voix de Léaud c'est qu'il n'y a pas que la vie dans l'existence, dans l'extase d'illusion de l'existence, il y a le martyr amusement d'avoir une âme. La voix de Léaud est son dieu, dieu auquel il croit malgré lui, dieu auquel sa vie n'a pas même besoin de croire parce que c'est un dieu au-delà de la mort et de la vie. L’existence de Léaud ne croit pas en sa voix, elle ne croit pas même à sa voix, elle n'est pas crue par sa voix, l'existence de Léaud est crue à sa voix. Léaud semble enseveli vivant à l'intérieur de sa voix, non pas à l'intérieur de la tombe de sa voix, mais à l'intérieur de la résurrection tacite de sa voix, à l'intérieur du lapsus de rusérection de sa voix. Le jeu de Léaud est d'apparaitre comme s'il était enseveli vivant à l'intérieur de la résurrection tacite de sa voix.
Léaud est le sosie de la divinité de sa voix. Léaud est le siamois de la divinité de sa voix, il est soudé à l'envol illimité de sa voix, il est soudé à la déhiscente confidence de lointain de sa voix.
Sans y croire, sa voix commence le silence. Sa voix est l'étonnement inchoatif du silence. Sa voix explétive le silence d'étonnement. Sa voix est un silence dévoyé. Sa voix est l'ascèse frivole du silence. Sa voix est un jeu de mots de silence, un jeu de monotonie, le jeu de monotonie de la prière. Sa parole épelle sa voix. Sa parole psalmodie sa voix. L'anesthésie saoule de sa parole psalmodie sa voix. Quand Léaud répète les mots ou les phrases par écholalie du neutre, par charme du ni l'un ni l'autre, c'est afin de prier la répétition avant tout, la répétition antérieure à sa vie, la répétition de vide antérieure à sa vie qu'est sa voix. Quand Léaud parle, il prie sa voix et cette prière est une puérile tentation. La voix de Léaud n'est pas une prière, elle est la tentation de concupiscente anesthésie de la prière.
Lichtenberg rêve d'un homme qui "écrit de telle sorte que l'esprit des anges lui-même s'arrête". Pour Léaud c'est l'inverse, il parle comme un ange passe. Quand il parle, l'esprit des anges joue à marcher, à marcher avec la chute libre de leurs ailes. Léaud parle comme un ange qui s’appellerait Harpo Marx. Léaud c'est le Harpo Marx de la voix. Léaud parle exactement comme Harpo reste immobile et se tait. La voix de Léaud est un masque de mutisme, un masque utopique et transparent. Sa voix n'est pas désincarnée, elle est naïvement utopique. Sa voix évide sa chair sans la désincarner, elle l'évide comme le flagrant délit d'une évidence. Sa voix abstrait sa chair de sa bestialité, de sa bêtise, en sauvegardant malgré tout son excitation sexuelle. L'étrangeté de Léaud c'est une forme d'excitation sexuelle angélique, abstraite de toute bestialité, une excitation sexuelle comme une forme d'ascèse de l'illusion, une forme d'ascèse du jeu. Sa voix est la révélation d'une forme d'obscénité angélique, obscénité au sens où grâce à la non-temporalité de sa voix, il esquive toute mise en scène. Léaud est un orphelin paradoxal, l'angélique concupiscence de sa chair est abandonnée à sa voix. Orphelin paradoxal, l'auréole de bandaison de son allure est abandonnée à sa voix .Sa voix est un trait d'esprit inintelligible, le jeu de violer l'invisibilité des mots, le jeu de violer le sens invisible des mots. Le sens des phrases que Léaud poste est violé par l'envol éludé de sa voix. Sa voix viole courtoisement le sens des mots qu'il déclare si bien que les mots perdent leur sens et semblent rester en suspens dans l'invisibilité de l'air, semblent rester en suspens dans l'air jusqu'à le rendre visible. Léaud viole le sens des mots et les mots semblent subsister autour de lui et auréoler sa chair en devenant la visibilité de l'air. Au lieu que les mots se perdent dans l'espace de l'air et que l'interlocuteur n'en sauvegarde que le sens à l'intérieur de son esprit, la voix de Léaud fait que à l'inverse le sens de ses mots se perd quasi instantanément dans notre esprit mais que les mots eux subsistent insensés autour de Léaud comme s'ils devenaient la forme visible de l'air. Les mots alors ne se perdent plus dans l'air de l'espace, c'est comme si ils perdaient pour le plaisir l'air de l'espace en le faisant subtilement devenir transparence visible. Quand Léaud parle, les paroles deviennent la transparence visible de l'air comme une drogue, une drogue de lait cristallin. Ce que la voix de Léaud révèle comme transparence visible du temps de l'air, c'est que quand bien même les mots ont un sens, le geste de parler lui n'en a aucun. La voix de Léaud révèle l'insensé du geste de la parole. Gag insensé de parler semblable à celui d'un funambule qui tenterait désespérément de faire des nœuds à son fil afin de ne pas oublier de marcher dessus. Léaud est un funambule qui marche à chaque instant sur le fil de sa voix.
Léaud c'est Alice au Pays des Merveilles de sa voix. C'est une voix qui ne croit pas aux dimensions du temps et de l'espace. "Ici ...ilfaut courir de toute la vitesse de ses jambes pour simplement rester là où l'on est" Lewis Carroll. La voix de Léaud est semblable à cette vitesse, c'est la vitesse absolue par laquelle ilesquive l'espace comme le temps. Cette vitesse absolue de la voix n'est ni celle de la lumière, ni celle du son, c'est la vitesse de la translucidité du jeu, de la translucidité de l'illusion. La voix de Léaud a traversé le mur du son et même le mur de la lumière. Léaud a traversé le mur de la lumière en le retournant comme une veste. Léaud est le travesti de sa voix. Léaud est le sosie travesti de sa voix. Léaud est travesti par la vitesse retournée de sa voix. Léaud c'est Alice au Pays des Merveilles de sa voix. Il vagabonde, se promène à l'intérieur de sa voix comme Alice a peur et s'amuse au Pays des Merveilles.
Léaud c'est Aliceet sa voix c'est l'œuvre de Lewis Carroll excarnée vivante. Léaud n'est pas un personnage de Lewis Carroll perdu dans le monde réel. Il est l'œuvre de Lewis Carroll excarnée comme voix trouvée dans le monde. Car l'hésitation cristalline de Léaud jamais ne cherche, elle trouve, ou plutôt elle retrouve. L'amnésie matisséenne de Léaud à chaque instant retrouve non pas le chemin mais plutôt la disparition charmante du chemin. L'existence de Léaud apparait à l'intérieur du monde utopique, du monde absolument fictif, à l'intérieur de la fable sans morale de sa voix. Léaud n'habite pas sa voix, ily erre avec une impeccable paranoïa. La voix de Léaud n'est pas sa maison, c'est l'aisance sacrée de son monde.
La voix de Léaud est celle d'une carte à jouer vivante. C'est comme si l'univers entier était passé à travers le tain du miroir de la voix de Léaud mais pas à travers son corps, et qu'il ne pouvait plus ainsi qu'être une carte à jouer vivante, la carte à jouer vivante de sa voix.
"Imaginez ce que peut être la révérence d'une personne qui tombe dans le vide ! Croyez-vous que vous pourriez faire une révérence si vous étiez dans ce cas ?" L.Carroll. Léaud lui le croit, cette révérence dans le vide c'est le jeu inexorable de sa voix. Le jeu de Léaud c'est le sourire lucide de sa voix, comme le sourire du chat sans le chat de Lewis Carroll sauf que le sourire de la voix de Léaud c'est le sourire sans le monde. Le monde a traversé le miroir du sourire de la voix de Léaud abandonnant ainsi Léaud à la solitude du jeu. Léaud a perdu son ombre, sa voix s'amuse à avoir lieu à l'intérieur de l'espace vide que son ombre a abandonnée ou que son ombre a laissé croire qu'elle abandonnait.
Léaud a perdu son ombre et il l'a remplacée par sa voix. Son ombre est jouée à l'intérieur de sa bouche. L'étrangeté de Léaud c'est que son corps a perdu son ombre mais qu'il l'a perdue à l'intérieur de lui-même. Son ombre s'est glissée à l'intérieur de sa bouche, à l'intérieur de ses paroles, s'est immiscée par transparence à l'intérieur de la bouche de ses paroles et est ainsi devenu le jeu de solitude de sa voix.
Léaud ne dit jamais ce qu'il pense, il dit ce que la révérence de sa voix joue. Sa voix est la désagrégation, la décomposition désinvolte de l'âme qui déclare l'oubli de la pensée. Léaud ne pense jamais ce qu'il dit, il évoque ce qu'il dit, il évoque la joie de ce qu'il dit. Léaud ne pense à rien. Sa voix pense au lieu de son cerveau. Le vice de Léaud c'est qu'il a substitué sa voix à son cerveau. Il a soufflé son cerveau avec sa voix et ce souffler là est un jeu. Léaud est le virus paradisiaque de sa propre voix. L'existence de Léaud se nourrit sans cesse de la constellation, du lait sacré de sa voix, de la galaxie laxiste, ultra nonchalante de sa voix. La voix de Léaud n'est pas celle du Père ou du Fils, c'est la voix de la nonchalance excitée du vide, ce n'est pas la voix du Saint-Esprit, c'est la voix du Sans-Esprit, c'est la voix enjouée de l'Esprit-Sans. Sa voix, c'est l'âme comme vice. Une voix comme un messie par omission qui donne à voir que l'âme est un vice. Le jeu de la voix de Léaud est de sublimer la stupeur de sa vertu par la lucidité de son vice. Sa voix vole le lait du viol. Sa voix vole le lait du viol comme si de rien n'était. Sa voix vole l'ainsi soit-il comme si de rien n'était. Sa voix vole l'ainsi soit-il du lait du viol comme si de rien n'était. Le jeu de la voix de Léaud c'est l'instinct grâce auquel il vouvoie sa solitude, il vouvoie le tu de sa solitude, il vouvoie le tu à viol de sa solitude. Le lait du miroir, Léaud ne le boit pas, toute honte vue, il métamorphose le lait du miroir en vérité éludée de sa voix. C'est pourquoi on ne boit pas les paroles de Léaud c'est sa voix qui boit notre regard comme notre aveuglement.
Le visage de Léaud est un visage d'hirondelle, un visage à vol d'oiseau. Son visage est un poignard de gel à vol d'oiseau, est la provocation d'un poignard d'érosion gelée à vol d'oiseau. Son visage est l'ellipse d'un masque ahuri d'hirondelle fasciné par la funambulle acéphale de sa voix. C'est un visage comme une gifle avec des yeux, une gifle figée en suspens par le feu des yeux. Un visage comme le vol gelé d'une hirondelle avec des yeux de bourreau bouffon, des yeux d'éléphant lubrique, de rhinocéros obsédé sexuel, de squale maniaque. Son visage est un visage d'hirondelle futilement crucifiée par l'instinct de son propre vol, une hirondelle qui aurait substitué à son vol la signature en équilibre d'une voix, l'équilibre calligraphié d’une voix. La voix de Léaud aromatise ses pertes malgré tout elle ne le sait pas. La voix de Léaud aromatise ses pertes jusqu'à ce qu'elle devienne le visage de son imminence, de son impardonnable imminence. Sa voix mime le visage de ses gestes. Ses gestes miment le visage de sa voix. Sa voix mime les gestes de son visage à l'intérieur de l'excentrique coma du temps.
Les acteurs qui ignorent qu'il y a dans le monde des bulles de savon à l'intérieur desquelles dorment et roucoulent des crucifixions, ponctuent ce qu'ils disent avec des gestes de la main, Léaud lui ne ponctue pas ses paroles avec des gestes, il ponctue, il scande le geste du jeu avec l'étoile d'imminence de sa main, avec l'étoile d’imminence tacite de sa main. Léaud ne se promène jamais main dans la main avec sa voix, il préfère se démener main dans la voix avec sa main. Dans la main de la voix de Léaud, le temps ne voit que du feu, le feu du jeu qui a faim. Le temps a faim dans la main de Léaud, dans la main que Léaud comme un paradoxal don jouant lui offre sans jamais la lui promettre.
Léaud parle comme il respire et il respire comme il ment. Il respire comme le trou du souffleur. Il retient son souffle à l'intérieur de sa voix. Il retient le souffler n'est pas jouer à l'intérieur de sa voix. Sa voix joue avec le feu du souffle, elle joue avec l'affectation de silence du feu. Le feu de l'action pour Léaud n'est rien d'autre que l'affectation de silence du souffle ainsi le feu de l'action s'évanouit à l'intérieur des nuages de viol de sa voix.
Le feu impassible de l'apparition de Léaud est de se téléphoner à lui-même en présence des autres. Il se téléphone à lui-même face aux autres et cela sans jamais utiliser l'appareil du téléphone. Il téléphone à l'abstraction de son destin en utilisant la transparence de l'air ou l'obscurité de l'autre comme appareil de téléphone. Il téléphone à sa fiction exultée. Par la manière qu'à Léaud de téléphoner sans cesse à son apparence, il est une forme de suspens à lui tout seul, le suspens d'un crime qui est parfait, le crime parfait d'apparaitre sans laisser de trace puisque c'est le lointain d'une voix qui provoque nonchalamment cette apparition. Le suspens de Léaud c'est d'être l'innocent de ce crime parfait, innocent parce que orphelin du crime parfait qu'il effectue.
"S'il n'y avait pas les apparences, le monde serait un crime parfait." écrit Baudrillard. Léaud est ce ravissement miraculeux d'un homme qui parvient à transformer son apparence en crime parfait de l'innocence parce que son apparence n'est rien d'autre que l'extase tacite, jouée de sa voix. Léaud est un assassaint, c'est-à-dire un mendiant qui peut s'offrir le luxe d'esquiver par les outrecuidantes hallucinations de son haleine, la liberté. Il parle comme un criminel efface ses empreintes digitales, comme un criminel efface le tact d'un crime qu'il n'a jamais réellement accompli qu'il a seulement joué.
A chaque instant Léaud est mis en joue par le pelotage d'exécution, par le peloton d'excitation du jeu. Ainsi Léaud est celui qui pour rire dit "feu" à la place de l'invisible commandant qui dirige son exécution et cela afin que l'oubli pense, que l'oubli du temps pense que c'est une plaisanterie. Léaud n'a pas peur de dire "feu", en effet sa voix est la force désinvolte qui lui offre l'indécente aptitude de dormir immédiatement, de faire immédiatement semblant de dormir, si par accident, par hasard ou par bêtise quelqu'un un jour décidait de le condamner à mort.
Léaud parle comme Saint-Just mais il sait à l'évidence que le peuple n'est pas derrière lui, qu'il parle seul, qu'il est le révolutionnaire de sa solitude en l'absence du peuple, et cela afin que justice soit défaite comme les jeux sont faits. Comme Saint-Just Léaud "méprise la poussière qui le compose" mais ce mépris, ce dédain n'est pas agressif, c'est une nonchalance, un alanguissement, une pâmoison, la pâmoison subrepticement monotone du jeu. Léaud c'est Saint-Jeu.
Le narcissisme de Léaud n'est pas un narcissisme de l'image. Léaud se mire dans l'évidence sacrée de sa voix. Il ne s'écoute pas parler, il ne s'écoute pas, il écoute sa prononciation, il ne s'écoute pas prononcer les mots, prononcer le sens des mots, il écoute prononcer l'insensé puéril du langage, l'insensé puéril de la parole à l'intérieur de sa voix. Quand Léaud parle face à un miroir, alors son image se reflète dans le miroir, ses paroles elles-mêmes se reflètent comme des images dans le miroir mais sa voix elle ne se reflète pas. Sa voix elle est un jeu en marge de toute réflexivité. Quand Léaud parle face au miroir alors le miroir est miné par l'imminence, non pas parce qu'il se refléterait lui-même à l'intérieur de la voix de Léaud mais parce qu'il s'y noie, parce que le miroir se noie comme image dans la voix de Léaud sans s'y refléter. Quand Léaud parle au miroir, c'est le miroir qui devient narcisse et qui se noie, se suicide par noyade dans la voix de Léaud. Quand Léaud parle au miroir, son apparence se reflète dans le miroir et le miroir de cette apparence se noie à l'intérieur de l'excitation de vide de sa voix. Quand Léaud parle au miroir le simulacre fait naufrage, il s'abîme de nonchalante rage à l'intérieur de sa voix, à l'intérieur du viol d'excitation de sa voix. Quand Léaud parle au miroir les apparences du miroir tombent en pâmoison à l'intérieur de sa voix. Dans Baisers Volés Léaud ne demande rien au miroir, il ne lui dit rien. Il ne lui parle pas, il lui fait simplement une déclaration de noms, il lui fait une déclaration de liste de noms (la liste des femmes qu'il aime où il a malgré tout immiscé son propre nom). A cet instant, Léaud ne fait pas réellement une déclaration au miroir, il tente d'utiliser le miroir, l'indifférence du miroir pour faire une déclaration à sa propre voix, au firmament d'indifférence de sa propre voix. Si Léaud est alors épouvanté ce n'est pas par l'indifférence du miroir, c'est plutôt parce que l'indifférence de sa voix est plus intense encore que l'indifférence du miroir.
Léaud vouvoie le tutoiement. Sa voix vouvoie à jamais comme son regard tutoie à l'instant. Sa voix est un alcool de lait, un lait d'illusions qui vouvoie le tutoiement. Un vouvoiement dévoyé, un tact dévoyé. Le tact dévoyé d'un tutoiement vouvoyé. La voix lactée d'un tutoiement vouvoyé. La voix de Léaud vouvoie à jamais notre illusion comme son regard tutoie à l'instant le désir de croire à la vérité de notre vie. La voix de Léaud a du tact, un tact innommable, inconcevable, un tact inouï, mais Léaud lui ignore le tact. La féérique trivialité de Léaud est celle d'un être qui n'aurait d'autre tact que le destin de sa voix. Sa voix viole par vouvoiement, elle est le viol lacté de l'il1usion comme l'anesthésie du temps dévoyé. Léaud n'est pas de ceux qui croient que l'illusion reste l'illusion quand on lui enlève sa voix. L'ascèse du dévoiement. L'évidence du dévoiement. La candide ascèse du dévoiement. La voix lactée du dévoiement. La solitude de la voix lactée. Sa voix est le cristal dévoyé du lait entre le vous et la vérité, entre le tu et l'inventé. Entre le tu et l'inventé, sa voix est l'alcool de lait d'une exaltation d'amnésie. Entre le tu et l'inventé, sa voix est un alcool de lait comme un baiser volé qui anesthésie le temps à vol d'oiseau. Entre le tu et l'inventé, sa voix est un alcool de lait comme un baiser volé qui totemise le temps d'une solitude d'anesthésie à vol d'oiseau.