Martha Argerich, Abime d’Insouciance du Charme
Il y a un charme extraordinaire de Martha Argerich. Le charme c’est-à-dire l’incarnation du chant, l’incarnation immédiate du chant.
Martha Argerich apparait à la fois amusée et grave, grave à l’intérieur de l’amusement et amusée à l’intérieur de la gravité.
Il y a en Martha Argerich quelque chose comme une distinction enfantine à l’intérieur de la terreur, une insouciance presque désinvolte à l’intérieur de la terreur.
Extraordinaire insouciance de Martha Argerich. Martha Argerich joue du piano comme elle imprime l’insouciance même de la terreur. Martha Argerich joue du piano à la fois elle incruste légèrement l’insouciance à l’intérieur de l’abime de la terreur et comme elle imprime profondément l’insouciance à la surface de la terreur. Pour Martha Argerich, le clavier du piano apparait ainsi comme le lieu de coïncidence de la surface de l’insouciance et de l’abime de la terreur et surtout comme le lieu de coïncidence de l’abime de l’insouciance et de la surface de la terreur. Martha Argerich donne ainsi à sentir l’abime d’insouciance du charme.
Martha Argerich c’est la Jimi Hendrix du piano. Désinvolture souveraine de Martha Argerich. Martha Argerich joue et c’est comme ça. Martha joue et aujourd’hui c’est comme ça, hier c’était un autre comme ça et demain ce sera encore un autre comme ça. Malgré tout à chaque fois c’est comme ça, c’est toujours comme ça, un comme ça exact, incroyablement exact. Comme ça c’est à dire le comme de l’instinct. Martha Argerich et en effet la maitresse absolue de ses métamorphoses animales. D’une note à l‘autre, d’une note à la suivante, elle bondit du blaireau à l’hirondelle et parfois plus étrangement encore elle s’envole de l’hirondelle au blaireau.
Si Martha Argerich parvient à jouer si prodigieusement Ravel, c’est qu’elle sait magnifiquement donner à sentir la désinvolture de sa distinction. Ses acrobaties aussi, ses acrobaties abstraites, ses acrobaties de sensualité abstraite.
Le devenir araignée de Martha Argerich. Elle touche le clavier à la manière d’une araignée aquatique, d’une araignée d’eau et pourtant aussi en même temps elle survole le piano comme un aigle. Martha Argerich invente ainsi une manière de se tenir au piano comme un aigle-araignée.
Martha Argerich aguiche avec des râles de sourire. Martha Argerich aguiche avec les râles d’herbes du sourire, avec les râles de poussière du sourire.
Martha Argerich module à chaque instant des minauderies d’austérité, des minauderies d’austérité virtuose.
« Les mains sont des épaules, des bras - et aussi des pieds et des cuisses. Les doigts viennent de la bouche. Souffle profond. Sa moue. Boudeuse. Je veux, j’envoie. »
« Elle a déjà joué ce qu’elle joue quand elle le joue. Quand elle commence, elle recommence. Elle est là, elle est loin, elle est deux fois plus loin parce qu’elle est là, à l’écoute. » P. Sollers
Les doigts de M .Argerich viennent de la bouderie de sa bouche, de la bouderie de souffle de sa bouche, de la bouderie de souffle volontaire comme de volonté soufflée de sa bouche. Les doigts de M. Argerich viennent de l’envoi de sa bouche, de la bouderie d’envoi de sa bouche, de la bouderie d’envoi volontaire soufflé de sa bouche. M. Argerich joue du piano comme elle embrasse, comme elle embrasse avec ses doigts, comme elle embrasse avec la bouche de ses doigts, comme elle embrasse avec l’herbe de ses doigts, avec la bouche d’herbe de ses doigts.
Quand M .Argerich joue au piano c’est comme si elle jardinait le clavier, c’est comme si elle jardinait l’espace, le clavier de l’espace, l’échiquier de l’espace, l’échiquier d’herborescence de l’espace. M. Argerich joue du piano comme elle herborise la présence de l’espace, la présence immédiate de l’espace, comme elle herborise le miracle de l’espace, le recommencement de l’espace, le miracle de recommencement de l’espace.
Martha Argerich joue à la fois du piano et au piano. Martha Argerich joue du au piano. Et c’est précisément à l’intérieur du vide abstrait entre le à et le de qu’elle pose ses doigts, qu’elle pose les paumes de ses doigts, qu’elle pose les épaules de ses doigts, qu’elle pose les paumes de ses phalanges comme les épaules de ses doigts, les épaules de ses phalanges comme les paumes de ses doigts. Et c’est précisément à l’intérieur du vide abstrait entre le à et le de que les cuisses de sa bouche, les cuisses de bouderie de sa bouche s’amusent à poser les épaules de ses phalanges comme les paumes de ses doigts, les paumes de ses phalanges comme les épaules de ses doigts. Et c’est précisément à l’intérieur du vide abstrait entre le à et le de que les cuisses d’amusement de sa bouche, les cuisses de bouderie amusée de sa bouche jouent à projeter ses doigts, jouent à projeter les épaules comme les paumes d’herbes de ses doigts, les épaules comme les paumes d’herborescence de ses doigts.
Martha Argerich dispose d’une fenêtre à l’intérieur de chaque main. Martha Argerich dispose d’un arbre à l’intérieur de chaque main, d’une fenêtre d’arbre à l’intérieur de chaque main.
Martha Argerich a une fenêtre d’herbes à l’intérieur de chaque main, un arbre d’herbes à l’intérieur de chaque main. Martha Argerich a une fenêtre d’allumettes à l’intérieur de chaque main, un arbre d’allumettes à l’intérieur de chaque main. Martha Argerich a un trampoline d’herbes à l’intérieur de chaque main, un trampoline d’allumettes à l’intérieur de chaque main. Martha Argerich a un toboggan d’herbes à l’intérieur de chaque main, un toboggan d’allumettes à l’intérieur de chaque main.
Martha Argerich dispose d’une bougie d’herbes à l’intérieur de chaque main. Martha Argerich a un candélabre à l’intérieur de chaque main, un candélabre d’herbes à l’intérieur de chaque main.
Une remarque de Martha Argerich dans une interview. « Ma drogue préférée ? La conversation. »
Le charme prodigieux de sa parole, le charme prodigieux de son phrasé. Quand Martha Argerich parle, elle a le clavier du piano à l’intérieur même de la voix. Quand Martha Argerich parle, c’est comme si elle parvenait à toucher à chaque instant sa voix avec ses doigts, c’est comme si elle parvenait à toucher à chaque instant sa voix à l’extrémité de ses doigts. Quand Martha Argerich parle, elle joue du piano avec sa langue sur le clavier de son palais.
Martha Argerich parle comme elle danse avec sa langue, comme elle danse à l’intérieur de sa bouche, comme elle danse avec sa langue à l’intérieur de sa bouche. Martha Argerich parle comme elle apparait droguée par la danse de sa langue à l’intérieur même de sa bouche.
Martha Argerich parle comme si elle apparaissait à chaque instant droguée par les modulations de sa voix, par la mélodie même de sa voix, par les modulations mélodiques de sa voix, par les ondulations mélodiques de sa voix, par l’élasticité mystique de sa voix. Martha Argerich parle comme si elle apparaissait à chaque instant droguée par les oscillations de silence de sa voix, par les hésitations de silence de sa voix, par l’inachèvement de silence de sa voix. C’est son aspect mallarméen. Malgré tout Martha Argerich parle comme une mallarméenne ultra-désinvolte, un mallarméenne qui sait comment jongler avec les éclipses de lune de ses ongles, avec les ellipses de lune de ses ongles.