Notes à propos de Mallarmé.
« Le transparent glacier des vols qui n’ont pas
fui. »
Pour Mallarmé, le gel apparait toujours saturé d’ailes. Pour
Mallarmé, le gel apparait toujours saturé d’ailes paralysées, saturé d’ailes fixées, saturé d’ailes figées à la stupeur de leur désir, à la stupeur en effigie de leur désir. Pour Mallarmé, le gel
apparait saturé d’ailes de cristal. Pour Mallarmé, le gel apparait comme un cristal d’ailes, un cristal d’ailes figées, un cristal d’ailes figées en effigie.
Pour Mallarmé, un livre
apparait à la fois comme un éventail et comme un tombeau. Pour Mallarmé, un livre à apparait à la fois ouvert comme un éventail et fermé comme un tombeau. Pour Mallarmé, le livre apparait comme
un éventail-tombeau, à savoir à la fois comme un éventail funèbre et un tombeau volatil. Pour Mallarmé, le livre volatilise le tombeau. Le livre volatilise le tombeau en glacier de papier. Le
livre volatilise le tombeau en « transparent glacier des vols qui n’ont pas fui. »
« La décantation de l’être en miroir. » Stétié
En effet Mallarmé décante l’être parmi le miroir. Mallarmé
décante l’être parmi l’entre du miroir, parmi l’ennui du miroir, parmi l’entre d’ennui du miroir. Mallarmé décante l’être parmi le gel du miroir, parmi l’abime du miroir, par l’abime de gel du
miroir. Mallarmé décante l’être parmi l’abime d’ennui du miroir, parmi le gel d’ennui du miroir, parmi l’abime de gel ennuyé du miroir.
Mallarmé décante le néant de l’être. Mallarmé décante le néant
même de l’être parmi le gouffre de laque de miroir, parmi le lac de laque du miroir. (« Miroir, gouffre laqué. » comme l’écrit magnifiquement Laurent Albarracin.)
Le problème de Mallarmé ce serait de parvenir à faire rimer le
vide et le néant, de parvenir à faire rimer le vide de l’objet et le néant de la conscience. Le problème de Mallarmé serait de parvenir à faire rimer le vide de l’objet et le néant de la
conscience par le rimmel du miroir, par l’œil de rimmel du miroir, parmi l’œil de rime-aile du miroir.
Le miroir « Eau froide par l’ennui dans son cadre
gelée. »
Ainsi ce qui à la fois rime et mire pour Mallarmé c’est l’ennui,
c’est l’insistance de l’ennui, c’est l’insistance d’aïon de l’ennui, c’est le rimmel d’aïon de l’ennui, c’est le maquillage d’aïon de l’ennui.
« Rien n’aura eu lieu que le lieu. »
Mallarmé cependant ne dit pas le rien, Mallarmé plutôt suggère,
évoque, invoque, appelle le vide par l’intermédiaire d’objets singuliers : miroir, coquillage, éventail, bibelots divers.
Ce qui apparait superbe à l‘intérieur de l’écriture de Mallarmé
c’est précisément la relation entre le vide et l’objet. En effet pour Mallarmé à la fois l’objet apparait à l’intérieur du vide et le vide apparait à
l’intérieur de l’objet.
Mallarmé n’est pas un poète du pur néant. Mallarmé serait plutôt
un poète de la relation subtile, sibylline, équivoque entre le vide et l’objet. Poète essentiellement chinois donc. « Mallarmé est un esprit chinois : je veux dire par là que, très
tôt, dans son approche du monde et de la vie, il a fait - à la manière taoïste bien que par d’autres voies - l’expérience du vide … » Stétié. Ce que Mallarmé essaie ainsi de dire ce serait à
la fois des pensées-objet, des pensées-vide et des objets-vide.
Le bibelot du poème de Mallarmé donne à sentir à la fois une
pensée-objet et une pensée-vide, à la fois une idée-objet, une idée-vide et un objet-vide. Le bibelot de Mallarmé donne à sentir à la fois l’idée-objet du vide et l’idée-vide de
l’objet.
C’est comme si la poésie de Mallarmé accomplissait une sorte de
redoublement de la philosophie de Hegel, une sorte de mise en abime de la philosophie de Hegel, de mise en abime objectale de la philosophie de Hegel. Ce qu’invente la poésie de Mallarmé c’est à
la fois l’anéantissement de l’objet à travers l’esprit infini et aussi l’abolition de l’esprit infini à l’intérieur de l’objet, à l’intérieur du vide de l’objet. Mallarmé invente une manière de
poser Hegel au carré, de disposer Hegel au carré, de disposer Hegel au carré des dés, au carré de selon des dés, au carré des dés de selon.
Mallarmé essaie de trouver le lieu de coïncidence entre le vide
du dehors et le néant de la conscience et aussi le lieu de coïncidence entre l’entre et le selon. Mallarmé essaie de trouver le lieu de coïncidence entre le vide du dehors et le néant de la
conscience incarcéré selon, entre le vide du dehors et le néant de la conscience incarcéré pli entre pli selon, incarcéré pli contre pli selon.
Ainsi écrire pour Mallarmé ce n’est comme pour Rimbaud
« voler selon ». Écrire pour Mallarmé ce serait plutôt poser selon. Écrire pour Mallarmé ce serait poser selon l’entre du gel, poser selon l’entre du miroir, poser selon l’entre de gel du
miroir.
Même si Mallarmé insiste très souvent sur le néant de la
conscience (Le très hégélien Igitur par exemple). Mallarmé sait aussi comment séduire et charmer le néant de la conscience par l’intermédiaire des objets. L’écriture de Mallarmé à la fois séduit
et charme les objets à travers le néant de la conscience et aussi séduit et charme le néant de la conscience avec les objets. L’écriture de Mallarmé serait ainsi celle d’une séduction réciproque,
d’un charme réciproque entre le néant de la conscience et les objets.
L’écriture de Mallarmé n’est pas à la recherche du pur néant. De
la traversée du néant il reste en effet toujours quelque chose même si ce n’est alors qu’un frisson d’atomes, d’arômes, d’atomes aromatiques.
Stetié a superbement mis en évidence la puissance de séduction
de l’écriture de Mallarmé. « De tous les poètes (…) Mallarmé est sans doute le plus mystérieusement séduisant. (Cela dit, si Mallarmé sait jouer
de sa séduction, il ne semble pas qu’il ait jamais utilisé le mot. Plus souvent, pour dire le concept en question, c’est au mot charme qu’il aura
recours. » Il y a en effet une séduction métaphysique de l’écriture de Mallarmé, séduction métaphysique semblable à celle théorisée par Baudrillard. « Le monde n’a pas été produit, le
monde a été séduit. »
Cette séduction de Mallarmé c’est d’abord celle du geste de
l’adresse ou de la dédicace. « On notera que la plupart des textes mallarméens de la séduction sont des poèmes d’adresse. » S. Stétié.
Le problème reste de savoir à quoi ressemble exactement
l’adresse de Mallarmé. A qui exactement Mallarmé adresse ce qu’il écrit, à qui exactement Mallarmé adresse son œuvre ? Mallarmé adresse
peut-être son œuvre au miroir, au gel du miroir, au feu de gel du miroir. Il y aurait ainsi un narcissisme suicidaire, une sorte de suicide narcissique de l’œuvre de Mallarmé. Ou encore Mallarmé
adresse ce qu’il écrit au pli de lumière du miroir autrement dit aussi peut-être à l’idée du hasard, à l’idée de suicide du hasard.
« Suspens
provocateur : l’esprit. » J.P Richard
Mallarmé considère ainsi la
pensée à la fois comme un suspens et une provocation. Mallarmé considère la pensée comme la provocation d’un suspens, comme la provocation d’une hypothèse.
Pour Mallarmé la politesse
serait une sorte d’hésitation de la pensée, une sorte d’hésitation stellaire de la pensée. Pour Mallarmé la politesse révèle une sorte d’oscillation du vide. Pour Mallarmé la politesse pose et
même appose l’oscillation même du vide, l’oscillation stellaire du vide.
Il y a une très grande ambivalence à l’intérieur de l’écriture
de Mallarmé, une forme d’hésitation quasi étoilée, une forme d’hésitation métaphysique sidérante, c’est-à-dire une hésitation stellaire, une hésitation cosmique, hésitation cosmique qui est celle
du « compte stellaire en formation » S. Stétié a bien remarqué cette ambivalence. « Mallarmé profitera de toutes les ambiguïtés présentes dans la langue, dans le monde et dans l’esprit,
pour faire de l’ambiguïté le lieu unique de la certitude, et c’est à dire aussi bien de l’incertitude… »
L’hésitation de Mallarmé c’est aussi l‘hésitation de la
démarche, l’hésitation à poser les pieds à la surface du sol. Mallarmé semble marcher sur la terre comme s’il marchait à la surface d’un abime, à la surface d’un gouffre gelé. André Suarès dans
Portraits et Préférences a magnifiquement évoqué cette frilosité de la silhouette de Mallarmé, cette prudence frileuse de la démarche de Mallarmé. « A la fin de sa vie, nos pas se
croisèrent, un après-midi, sur la route de Vulaines. C’était un petit homme chétif, maigre, pâle et souffreteux ; il semblait avoir toujours froid. Il paraissait timide, modeste dans
l’orgueil d’être lui-même, orgueilleux dans la modestie. Tâtant le sol d’un pied circonspect, il marchait lentement. »
« Je dis : une fleur ! et hors de l’oubli (…) musicalement
se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets. »
Pour Mallarmé l’idée c’est d’abord la fleur dite. Pour Mallarmé
l’idée c’est la fleur dite comme élévation de la voix, comme élévation musicale de la voix, comme élévation suave de la voix et même qui sait comme érection de la voix, comme érection musicale et
suave de la voix.
Ce que le mot fleur pour Mallarmé révèle ce n’est pas l’absence
de la fleur, c’est l’absence de la fleur dans le bouquet. Pour Mallarmé, le mot fleur serait ce qui révèle l’idée de la fleur en dehors du bouquet, en dehors de l’assemblage du bouquet. Pour
Mallarmé, le mot fleur est ce qui isole la fleur, ce qui isole la fleur de l’ensemble des autres fleurs, ce qui l’isole en tant qu’absence, en tant qu’emblème de son absence, en tant qu’allégorie
de son absence. Pour Mallarmé, le mot fleur révèle l’idée à la fois vocale et musicale de la fleur par laquelle la fleur s’isole de l’ensemble des autres fleurs en tant qu’absence emblématique,
en tant qu’absence allégorique. Pour Mallarmé, dire une fleur ce n’est pas absenter la fleur, ce n’est pas absenter la fleur à elle-même, c’est absenter la fleur du bouquet, c’est absenter la
fleur de l’ensemble des autres fleurs.
« Mallarmé profondément matérialiste, ne songe pas à
rejoindre les idées, encore moins à les livrer à notre contemplation. Il sait bien qu’elles n’existent pas. » Sartre
Mallarmé essaie plutôt de contempler l’idée comme forme de la
disparition, comme forme de l’évanouissement, comme forme de ce qui s’évanouit dans la nature, comme forme de ce qui s’évanouit par lucidité lacunaire, par lacune de lucidité à l’intérieur de la
nature à savoir comme fleur.
« Gloire du long désir. Idées »
Ainsi pour Mallarmé, ce que révèle l’idée c’est la gloire du
désir. L’idée ce serait quelque chose comme le désir en gloire, désir en gloire comparable à l’apparition d’une fleur, désir en gloire de l’apparition à la fois présente et absente d’une fleur,
plus précisément de la fleur nommée l’iris.
Pour Mallarmé, l’idée c’est la gloire de désir d’une fleur, la
gloire de désir de l’iris. C’est le désir en gloire d’une fleur, le désir en gloire de l’iris. Pour Mallarmé, l’idée c’est le désir en gloire de la fleur de l’œil, le désir en gloire de la fleur
du regard (et aussi du regard de la fleur). En cela, il y aurait sans doute une relation entre Mallarmé et Chazal : l’instant de la conscience supra-lucide de Chazal à savoir celui à la fois
de regarder la fleur et de se sentir regardé par la fleur.
« De la famille des iridées. »
Pour Mallarmé, l’idée appartient ainsi à une famille, à une
famille de fleurs, à une famille de regards, à une famille de regards de fleurs. Pour Mallarmé, la fleur de l’idée n’appartient pas à une classe sociale, à une communauté sociale ou encore à un
peuple. Pour Mallarmé, la fleur de l’idée appartient plutôt à une famille botanique.
Écrire de manière idéale pour Mallarmé ce serait ainsi
transformer chaque objet en fleur, ce serait transformer chaque objet en fleur-miroir. Écrire de manière idéale pour Mallarmé ce serait changer chaque objet en fleur du gouffre, en fleur-miroir
du gouffre.
Un problème important ce serait alors de savoir qu’elle est le
sens du mot « idée » pour Mallarmé. Le mot idée j’insiste. Se souvenir à ce propos de la plaisanterie de Mallarmé adressée à Degas. « Un
poète n’écrit pas avec des idées, il écrit avec des mots. » Ainsi Mallarmé n’écrit pas avec des idées, il écrit plutôt avec des mots qui évoquent des idées.
L’idée selon Mallarmé, n’est ainsi ni une idée platonicienne, ni
une idée kantienne, ni une idée hégélienne. L’étrangeté de Mallarmé c‘est qu’il atteint l’idée par la sensation, c’est qu’il révèle l’idée par la sensation, c’est qu’il révèle l’idée par la
sensation du vide. « Et vous serez terrifié d’apprendre que je suis arrivé à l’Idée de l’Univers par la seule sensation et que, par exemple, pour garder une notion ineffaçable du Néant
pur, j’ai dû imposer à mon cerveau la sensation du vide absolu. » Mallarmé, lettre à Villiers de
L’Isle-Adam
L’idée pour Mallarmé n’est ni l’idée du vrai, ni l’idée du bien
ni même l’idée du beau. L’idée pour Mallarmé ce serait d’abord l’idée de l’objet. Mallarmé a l’intuition essentielle que c’est par l’idée de l’objet (et aussi l’objet de l’idée) que la beauté
apparait, que la beauté apparait évoquée, que la beauté survient évoquée. Cette idée de l’objet ce serait plus précisément l’idée du bibelot.
Ce qui pour Mallarmé suggère la puissance de l’abolition, c’est
en effet essentiellement le bibelot, le célèbre « aboli bibelot d’inanité sonore. »
La démence de Mallarmé c’est de considérer le bibelot comme
une bombe, c’est de considérer le bibelot comme une bombe virtuelle, comme une bombe virtuelle posée au milieu du salon. La démence de Mallarmé c’est de considérer le bibelot comme si c’était une
bombe quasi stellaire.
(La métaphore selon Mallarmé n’est pas en effet une
intensification du comme, c’est plutôt une intensification du comme si, du comme quasi. Ainsi pour Mallarmé la comparaison est toujours d’abord une hypothèse.)
La démence de Mallarmé est de faire l’expérience, l’expérience
hypothétique des bibelots de l’intérieur bourgeois comme s’ils étaient des bombes, comme s’ils étaient des bombes d’anarchistes, des bombes d’anarchistes qui désirent détruire ces salons
bourgeois. « Un terroriste pur et dur, un séducteur-né. L’un a besoin de l’autre : ils ne peuvent aller qu’ensemble, si l’un veut vraiment
tout faire sauter et si l’autre veut gagner du temps et protéger autant qu’il peut le confort du premier. » Stétié. En cela pour reprendre une formule superbe de Sartre, Mallarmé écrit comme
un terroriste de la politesse. « Non il ne fera pas sauter le monde : il le mettra entre parenthèses. Il choisit le terrorisme de la politesse ; avec les choses, avec les hommes, avec
lui-même, il conserve toujours une imperceptible distance. »
L’ambivalence de l’écriture de Mallarmé est d’inventer ainsi une
sorte d’aristocratisme mental, d’aristocratisme métaphysique par anarchisme bourgeois. « Etrange illusion des poètes : ce qu’ils nomme aristocratie de l’esprit, c’est la sublimation des
vertus bourgeoises. » Sartre
Mallarmé essaie de transformer la vitre en bombe. Mallarmé
essaie de transformer la vitre de la mysticité « Que la vitre soit l’Art soit la Mysticité » en bombe de l’anarchie. Pour Mallarmé, un poème ce n’est pas une bombe qui fait éclater les
vitres, un poème c’est plutôt une vitre qui fait éclater les bombes, une vitre qui explose comme une bombe, une vitre intacte qui explose malgré tout comme une bombe.
Le problème de Mallarmé c’est d’essayer de transformer la
distinction en déflagration, ou plutôt d’affirmer la déflagration de la distinction même. Mallarmé essaie de transformer la distinction de l’œil, la distinction métaphysique de l’œil en
déflagration de l’anarchie, en déflagration tactile de l’anarchie.
Cette déflagration tactile de l’anarchie c’est celle du dé.
Cette déflagration tactile de l’anarchie c’est celle du coup de dé. L’expression coup de dé indique qu’il y a donc un coup du hasard, une violence
du hasard et même une sorte de combat du hasard. Ce serait l’aspect presque héraclitéen de Mallarmé. Le poème de Mallarmé vitrifie Héraclite. L’écriture de Mallarmé vitrifie le hasard polémique
d’Héraclite.
Pour Mallarmé, le dé éclate comme une bombe. Pour Mallarmé, le
dé éclate comme un « calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur. » Pour Mallarmé, le dé dédicace le calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur.
Pour Mallarmé, le dé dédicace le désastre. Le dé dédicace le
désastre au vide du lieu. Le dé dédicace le désastre à l’aura de vide du lieu. Le dé dédicace le désastre à l’aura de vide de l’avoir lieu.
Pour Mallarmé, le dé dédicace le désastre comme diadème. Le dé
dédicace le désastre comme diadème du hasard, comme diadème du vide, comme diadème de hasard du vide. Le dé dédicace le désastre comme diadème du gel, comme diadème de hasard du gel, comme
diadème de gel du vide.
Ou encore pour Mallarmé, le dé dédicace le hasard même. Le dé
dédicace le hasard au désastre. Le dé dédicace le hasard au diadème du désastre, au diadème de gel du désastre, au diadème de désastre du vide.
L’idée pour Mallarmé c’est le suicide. L’idée pour Mallarmé
c’est la fleur du suicide. Ce que cherche à révéler ou plutôt à évoquer Mallarmé, c’est une sorte d’idée-suicide, une sorte de suicIdée. Ce que cherche à évoquer Mallarmé, c’est l’idée de suicide
du hasard, c’est la suicIdée du hasard.
Ainsi Mallarmé n’écrit finalement ni avec des mots ni avec des
idées, Mallarmé écrit plutôt avec des suicIdées. Chaque vers, chaque phrase de Mallarmé essaie d’évoquer une idée-suicide, chaque phrase de Mallarmé essaie de suggérer une
idée-suicide.
La séduction essentielle de Mallarmé c’est celle du suicide. La
séduction et le suicide sont d’ailleurs des quasi anagrammes. La séduction essentielle de Mallarmé c’est celle de l’idée de suicide.
Pour Mallarmé, la fleur de l’idée, la fleur de lucidité de
l’idée, la fleur lacunaire de l’idée, la fleur de lucidité lacunaire de l’idée, c’est le calice, le calice silicé de la coïncidence de la séduction et du suicide, de l’alliance de la séduction et
du suicide.
« Ces poèmes inouïs qui sont à la fois des paroles
silencieuses et des objets truqués. » Stétié
Le truc de Mallarmé, le truc de structure de Mallarmé, c’est de
construire un miroir à coups de dés. Le truc de structure de Mallarmé c’est de construire un miroir d’océan à coups de dés.
« Dans un acte où le hasard est en jeu, c’est toujours le
hasard qui accomplit sa propre Idée en s’affirmant ou se niant. »
Le dé truqué de Mallarmé se situe alors dans le ou du « en
s’affirmant ou se niant. » Mallarmé fait en effet semblant de croire qu’à l’intérieur du poème le hasard s’affirme ou se nie alors qu’il sait que le poème est plutôt de faire comme si le
hasard à la fois s’affirmait et se niait. Le truc de Mallarmé ce serait ainsi de dissimuler le et avec le ou. L’humour de Mallarmé, le truc humoristique de Mallarmé ce serait d’escamoter le et
avec le ou, d’escamoter le et entre l’affirmation et la négation avec le ou.
Mallarmé écrit avec des dés truqués. Mallarmé écrit avec les dés
truqués du suicide, avec les dés truqués de la séduction du suicide. Mallarmé écrit avec les dés truqués du narcissisme, avec les dés truqués du suicide narcissique. Mallarmé écrit avec les dés
de séduction du suicide, avec les dés de séduction du suicide narcissique.
L’écriture de Mallarmé révèle une manière d’intérioriser la
rature. Mallarmé rature à l’intérieur du vide. Ou plutôt Mallarmé rature à blanc. Mallarmé rature à l’intérieur du vide à blanc. Ou plutôt Mallarmé rature à la fois à l’intérieur du néant de la
conscience et à l’intérieur du vide du dehors.
L’écriture de Mallarmé rature à blanc. L’écriture de Mallarmé
rature à blanc par le gel de la phrase, par le gel d’extase de la phrase, par le gel de politesse de la phrase, par le gel de politesse extatique de la phrase. L’écriture de Mallarmé rature à
blanc par le gel de frivolité de la phrase, par le gel de frivolité extatique de la phrase. L’écriture de Mallarmé rature à blanc par le gel d’ennui de la phrase, par le gel d’extase comme
d’ennui de la phrase, par le gel d’extase comme d’ennui frivole de la phrase.
L’écriture de Mallarmé révèle une forme de rature à blanc.
L’écriture de Mallarmé révèle une forme de rature réciproque à blanc de l’objet à travers le néant de la conscience et du néant de la conscience par l’objet, rature réciproque à blanc de l’objet
à travers le néant infini de la conscience et du néant de la conscience par le vide de l’objet, par l’avoir lieu de vide de l’objet.
Mallarmé essaie ainsi de dire l’objet du vide. Mallarmé essaie
de dire l’objet même du vide par le chant du blanc, par le chant de ratures du blanc. Mallarmé essaie de dire l’objet même du vide par le chant de dés du blanc, par le chant d’étoiles du blanc,
par le chant de dés-étoiles du blanc. Mallarmé essaie de dire l’objet même du vide par le chant de ratures stellaires du blanc, par le chant de ratures comme coups de dés stellaires du
blanc.
Cette rature réciproque à blanc de l’écriture de Mallarmé serait
aussi une sorte de double suicide, une sorte de suicide redoublé, une sorte de suicide en miroir et même de suicide en abyme. A l’intérieur du poème de Mallarmé, à la fois l’objet se suicide à
l’intérieur de l’idée et l’idée se suicide à l’intérieur de l’objet. Le poème compose ainsi une sorte d’idée de suicide de l’objet, une sorte de suicIdée objectale. Cette suicIdée objectale c’est
le bibelot, le bibelot aboli, le bibelot de l’abolition.
Le poème de Mallarmé ressemble ainsi à un suicide de porcelaine,
un sacrifice de faïence ou un attentat réflexif en éventail. Ecrire pour Mallarmé c’est se tuer à coups d’éventail, c’est s’assassiner à l’intérieur d’une tasse de thé, c’est s’assassiner avec
une délicatesse sidérante, avec une délicatesse astrale à l’intérieur d’une tasse de thé.
Il y a aussi quelque chose de presque duchampien à l’intérieur
de la poésie de Mallarmé. Pour Mallarmé, un poème c’est déjà une sorte de ready-made, une sorte de ready-made de l’âme, un ready-made de l’âme qui résulte du suicide réciproque de l’objet à
l’intérieur de l’idée et de l’idée à l’intérieur de l’objet. Ou encore le poème serait le ready-made même du langage, le ready-made même du langage qui résulte du suicide réciproque de la
conscience et de l’objet.
« Dans cette expérience à blanc de la mort volontaire,
Mallarmé découvre tout à coup sa doctrine. » Sartre
Pour Mallarmé, l’écriture survient comme un suicide à blanc.
Pour Mallarmé, l’écriture révèle une manière de se suicider à blanc, une manière de se suicider comme si, une manière d’hasarder le comme si du suicide. La séduction selon Mallarmé c’est aussi le
comme si du suicide, le comme si essentiel du suicide, le comme si idéal du suicide.
Pour Mallarmé, écrire c’est se suicider parmi le miroir du
blanc, parmi le luxe du blanc, parmi le miroir de luxe du blanc. Pour Mallarmé, écrire c’est se suicider parmi le luxe inouï du blanc, parmi les allusions du blanc, parmi les allusions inouïes du
blanc, par le luxe d’allusions du blanc, parmi le luxe d’allusions inouïes du blanc.
Pour Mallarmé, écrire c’est se suicider parmi un
miroir-ready-made, parmi le miroir-ready- made du blanc, parmi le ready-made luxueux du blanc, parmi le miroir-ready-made luxueux du blanc, parmi le miroir-ready-made d’allusions du blanc, parmi
le miroir-ready-made d’allusions luxueuses du blanc.
Par la séduction d’ennui du suicide, par la séduction d’ennui
narcissique du suicide, Mallarmé essaie ainsi de transformer l’idée en ready-made du hasard et le hasard en ready-made de l’idée.
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