Raison-Rêve
« Lorsqu’il se servait de sa raison, on eut dit un droitier contraint d’utiliser sa main gauche. »
Lichtenberg invente une attitude singulière envers la raison. Lichtenberg essaie de transmuter la raison. (Cette attitude de transmutation de la raison par Lichtenberg est parfois semblable à celle de Malevitch envers la géométrie grecque.)
Lichtenberg révèle les dimensions non-intentionnelles de la raison. Lichtenberg cherche à raisonner sans jamais utiliser son intelligence. Lichtenberg raisonne par intuition. Lichtenberg raisonne par sentiment. Lichtenberg raisonne par traits d’esprit.
C’est comme si pour Lichtenberg la raison était un sentiment avant d’être une pensée, c’est comme si pour Lichtenberg la raison était une forme de sentiment avant d’être une structure de la pensée.
Lichtenberg accomplit des expériences électromagnétiques sur le sentiment de la raison. Lichtenberg accomplit des expériences électromagnétiques sur le cœur de la raison.
Lichtenberg essaie de trouver l’aurore boréale de la raison. Lichtenberg essaie de trouver le miracle de l’aurore boréale au cœur de la raison, à l’intérieur du sentiment de la raison.
Lichtenberg éclipse la téléologie de la raison avec le télescope du cœur. Lichtenberg éclipse la téléologie de la raison avec le télescope du rêve.
Il y a un tact de la raison, un extraordinaire tact de la raison chez Lichtenberg. Le sentiment de la raison chez Lichtenberg apparait extrêmement curieux sans jamais être indiscret.
Lichtenberg tente de transmuter les circonstances en raisonnements.
Pour Lichtenberg la raison détecte les aspects erronés de la vie. Pour Lichtenberg la raison sert aussi à détecter les aspects erronés de la vie. Lichtenberg sait en effet que la vie produit autant d’erreurs que de vérités.
Lichtenberg écrit comme un hérétique de la raison, comme un hérétique apocryphe de la raison. Lichtenberg écrit comme un superstitieux de la raison, comme un superstitieux hérétique de la raison, comme un superstitieux hérétique apocryphe de la raison.
Lichtenberg raisonne sur le fil du rasoir. Lichtenberg raisonne sur le fil du rasoir du labyrinthe. Lichtenberg lobotomise le labyrinthe avec le fil du rasoir de la raison.
« La graisse n’est ni corps ni âme. »
Lichtenberg digresse comme il dégraisse. Par les digressions de l’aphorisme Lichtenberg ôte à la raison la graisse des arguments, des preuves et des justifications.
« C’est un privilège de la nature de l’homme que de rêver et de le savoir. »
« Les rêves lentement se fondent dans notre vie diurne, si bien que l’on ne peut pas dire où commence la veille. »
« Que sont nos idées et nos pensées lorsque nous sommes éveillés, sinon que des rêves ? »
Lichtenberg pense par alliance de la raison et du rêve. Lichtenberg raisonne avec ses rêves et rêve avec sa raison.
Lichtenberg effectue des distinctions rationnelles avec des coïncidences de rêves. Lichtenberg effectue des distinctions de rêves avec des coïncidences rationnelles.
Lichtenberg rêve sa raison. Lichtenberg rêve le sentiment de la raison. Lichtenberg rêve les événements de son savoir. Lichtenberg rêve parmi les événements de son savoir comme il raisonne parmi les événements de ses rêves.
« Les rêves nous mettent souvent dans des faits et situations dans lesquels, à l’état de veille, nous nous serions difficilement retrouvés, ou encore ils nous font ressentir des gênes que nous aurions tenues pour négligeables, et qui, précisément par cela auraient été mêlées, avec le temps, aux rêves. »
Pour Lichtenberg ce que la veille néglige autrement dit ne lit pas, oublie de lire resurgit dans les rêves. Et de même aussi ce que le rêve néglige autrement dit ne lit pas, oublie de lire resurgit dans la raison. C’est comme si pour Lichtenberg l’homme était à chaque instant le lieu d’un double travail de lecture inaccompli, d’un double travail de lecture distrait. Pour Lichtenberg la raison n’est pas la seule qui soit apte à lire. Pour Lichtenberg le rêve est lui aussi apte à lire. La raison et le rêve se lisent l’un l’autre cependant la raison ne lit que le rêve et le rêve ne lit que la raison. Ou encore la raison lit le monde à sa manière et ce qu’elle oublie de lire resurgit dans le rêve et de même le rêve lit le monde à sa manière et ce qu’il oublie de lire resurgit dans la raison.
Lichtenberg n’interprète pas ses rêves. Lichtenberg préfère adresser la parole à ses rêves. Lichtenberg adresse la parole de sa raison aux innombrables visages de ses rêves. Lichtenberg préfère adresser la parole à ses rêves afin de parler de la pluie et du beau temps. Lichtenberg préfère avoir avec ses rêves des brins de conversations.
« Un des usages des rêves est de présenter le résultat objectif de notre être entier sans passer par la contrainte de réflexions sophistiquées. »
Lichtenberg sait qu’il y a un usage des rêves. Lichtenberg utilise les rêves comme des outils de catalyse. Lichtenberg utilise les rêves comme des outils à catalyser les pensées. Lichtenberg utilise les rêves comme des outils à synthétiser les sentiments et à catalyser les pensées et aussi parfois à l’inverse comme des outils à catalyser les sentiments et à synthétiser les pensées.
Il y a chez Lichtenberg une sorte de pragmatisme onirique. Lichtenberg utilise ses rêves pour résoudre des problèmes de pensée.
Pour Lichtenberg les rêves composent une sorte de civilisation parallèle. Pour Lichtenberg les rêves ont leurs propres mœurs, leurs propres modes et leurs propres habitudes. Ainsi c’est comme si selon Lichtenberg l’homme était deux fois homme : homme de la veille et homme des rêves.
Selon Lichtenberg les rêves ne sont pas uniquement un espace de pulsions. Pour Lichtenberg les rêves apparaissent plutôt à la fois comme un espace de pulsions et un espace de civilité, un espace de pulsions et un espace de politesse.
C’est comme si selon Lichtenberg l’homme portait en lui une double forme de civilisation et une double forme de bestialité. C’est comme si selon Lichtenberg il y avait à la fois une civilité de la veille et une bestialité de la veille et une civilité du rêve et une bestialité du rêve.
Lichtenberg sait que l’homme se nourrit de l’utilité de ses rêves. Lichtenberg sait que l’homme se nourrit de l’usage de ses rêves.
Lichtenberg sait que les rêves sont des outils de mutation. Pour Lichtenberg par le rêve l’homme devient apte à muter c’est-à-dire à sauter d’une ligne de développement et même d’une ligne d’accomplissement à une autre. Lichtenberg sait que par le rêve l’homme devient apte à se développer de plusieurs manières et par là-même à s’accomplir de plusieurs manières à la fois.
Lichtenberg utilise le jugement des rêves. Lichtenberg utilise le jugement des rêves afin de jongler avec l’ombre de son cœur.
Lichtenberg titre ses rêves. Lichtenberg titre ses rêves avec les étincelles de son ombre.
La raison de Lichtenberg chantourne la rectitude de ses rêves. Les rêves de Lichtenberg chantournent la rectitude de sa raison.
Lichtenberg laboure ses rêves avec des antennes de télégraphe. Lichtenberg laboure la chance de ses rêves, la chance rationnelle de ses rêves avec des antennes de télégraphe.
Lichtenberg parfume son ombre. Lichtenberg parfume son ombre avec les soupirs de ses rêves. Lichtenberg parfume ses rêves. Lichtenberg parfume ses rêves avec les éternuements de son ombre.
Lichtenberg examine la démence même de la raison. Lichtenberg révèle à brûle-pourpoint la démence même de la raison.
« Puisque l’homme peut devenir fou, je ne vois pas ainsi pourquoi un système universel ne pourrait aussi le devenir. »
Lichtenberg considère la raison en tant que système universel de la démence. Lichtenberg sait que la raison est la folie de ce qui se prétend système universel, de ce qui se prétend système universel d’interprétation.
Lichtenberg enchante la raison. Lichtenberg enchante la raison avec la chance de son ombre. Lichtenberg examine la raison de ses rêves dans le miroir de son ombre.
Lichtenberg chante les louanges de démence de la raison. Lichtenberg tricote la camisole de dentelles de la raison, la camisole de dentelles démentes de la raison.
« Lorsque je voyais une tête, je prenais sa bouche pour en faire un œil et, en un clin d’œil, il en surgissait une nouvelle. »
Lichtenberg prend la bouche de son ombre pour en faire l’œil de sa raison. Lichtenberg prend la bouche de sa raison pour en faire l’œil de son ombre. Lichtenberg prend la bouche de son rêve pour en faire l’œil de sa raison. Lichtenberg prend la bouche de sa raison pour en faire l’œil de son rêve.
Lichtenberg ébruite les chances de la raison. Lichtenberg ébruite les heureux hasards de la raison.
Lichtenberg enchevêtre la raison et le non-sens. Lichtenberg enchevêtre la ligne droite de la raison et le labyrinthe du non-sens. Lichtenberg enchevêtre le labyrinthe de la raison à la ligne droite du non-sens.
Lichtenberg enchevêtre le sentiment de la raison et l’ombre du non-sens. Lichtenberg enchevêtre l’ombre de la raison et le sentiment du non-sens.
« Lorsque l’on veut donner un sens rationnel à des absurdités incompréhensibles, on se heurte souvent à de bonnes idées. »
Lichtenberg ne tente pas d’accorder un sens rationnel aux événements du monde. Lichtenberg tente plutôt de rationaliser l’absurdité même du monde. Lichtenberg tente de rationaliser le bruit d’absurdité du monde, le bruit de non-sens du monde. (Par ce désir de rationaliser le non-sens, L ressemble à Lewis Carroll.)
Lichtenberg fait décanter chacune de ses facultés intellectuelles dans le flacon de son ombre. Lichtenberg fait décanter chacune de ses facultés intellectuelles dans le flacon de discrétion tonitruante, dans le flacon de tonnerre discret de son ombre.
« Trouver l’idée qui ferait toujours mourir de rire l’homme qui l’entend. »
« Arlequin voulait se suicider, mais puisqu’il trouvait quelque chose à objecter à chaque procédé mortifère, il convint enfin de se chatouiller à mort. »
Lichtenberg chatouille la raison. Lichtenberg chatouille la raison à mort. Lichtenberg chatouille la raison afin de parvenir à faire mourir de rire l’humanité.
Lichtenberg suit le cheminement de sa raison par les sauts de sa déraison et le cheminement de sa déraison par les sauts de sa raison. Lichtenberg suit le cheminement d’ombre de sa raison par les sauts d’éclairs de sa déraison comme le cheminement d’éclairs de sa raison par les sauts d’ombre de sa déraison.
Lichtenberg souligne les absurdités de la raison avec une gomme. Lichtenberg souligne les absurdités de la raison avec une boussole de gomme, avec des éternuements de gomme, avec des éblouissements de gomme.
« Les seules logiques véritablement bonnes servent à ceux qui peuvent s’en passer, dit d’Alembert. » « Il se trouve des gens qui possèdent rien moins qu’un entendement véritable et sain, mais méditent d’excellentes manières sur les règles qu’ils doivent suivre, (…) »
Lichtenberg comprend parfaitement les structures de la raison sans cependant les utiliser. La déraison subtile de Lichtenberg n’est pas celle d’un homme inapte à la raison. La déraison subtile de Lichtenberg serait plutôt celle d’un homme virtuellement apte aux règles les plus complexes de la raison et qui préfère cependant utiliser d’autres règles, les règles par lesquelles il savoure le plaisir de contempler de loin les règles de la raison comme si elles étaient des miracles, des miracles inconséquents.
Lichtenberg écrit à la fois comme l’acrobate d’absurdité de la raison et l’acrobate des sentiments de la déraison.
« Chez la plus grande partie des hommes l’incrédulité est une chose qui se fonde sur la croyance aveugle en une autre. »
Selon Lichtenberg, la raison (le sentiment de la raison) est une forme d’incrédulité intégrale. C’est pourquoi Lichtenberg affirme la valeur de la raison sans y croire.
« Il y a plusieurs remarques que nous avons honte, par fausse philosophie, de faire connaitre, (…) »
Lichtenberg invente par la virtuosité même de sa honte. Lichtenberg invente par la grâce même sa honte. Lichtenberg invente grâce à la virtuosité de sa honte.
Lichtenberg dispose non loin de sa conscience d’une instance qui lui fait honte d’avoir presque négligé d’être attentif. Ainsi chez Lichtenberg, ce n’est pas la conscience (la conscience morale) qui fait honte à l’homme, c’est plutôt une sorte d’ombre, une sorte d’ombre lucide, l’ombre de la lucidité même, une sorte d’ombre médiumnique extralucide qui fait honte à la conscience morale, qui fait honte à la raison afin que cette raison retrouve une sorte d’étonnement. Pour Lichtenberg le défaut majeur de la raison c’est qu’elle ne s’étonne jamais de rien. Ainsi pour Lichtenberg, c’est comme si la seule manière d’étonner la raison c’était de lui faire honte. C’est comme si Lichtenberg essayait de restituer à la raison sa candeur, sa candeur c’est-à-dire une alliance de honte et d’étonnement. Lichtenberg affirme ainsi la valeur de la raison avec une incrédulité quasi-enfantine, avec l’incrédulité d’un enfant, avec la honte comme l’étonnement incrédules d’un enfant.
« Puis-je rougir de honte dans l’obscurité ? »
Lichtenberg essaie malgré tout aussi de rougir d’obscénité en dehors de la honte. Lichtenberg essaie de rougir de chance, de rougir de chance obscène en dehors de la honte. Lichtenberg essaie de rougir de charme, de rougir de charme obscène en dehors de la honte. Lichtenberg essaie de rougir de chance obscène à l’instant de toucher la clarté de son ombre.
« Le Français est un homme fort plaisant au moment où il commence à croire en Dieu pour la seconde fois. »
Il y a pour Lichtenberg un lien entre la croyance et le nombre. Il y a pour Lichtenberg un lien entre la foi et le nombre de fois. C’est comme si pour Lichtenberg il y avait une attitude de foi différente selon chaque nombre. (C’est par cette façon de relier les mathématiques et la croyance que Lichtenberg ressemble à Pascal.)
Lichtenberg arithmétise la croyance. Ce qui intéresse Lichtenberg ce n’est pas la foi elle-même, c’est le nombre de fois de la foi.
« Il y a une grande différence entre croire encore à quelque chose et y croire de nouveau. »
C’est pourquoi il y a aussi une grande différence entre croire une seconde fois à quelque chose et y croire plusieurs fois et y croire d’innombrables fois.
Lichtenberg ne déchiffre pas la foi. Lichtenberg dénombre la croyance. A quoi ressemble un homme qui commence à croire en Dieu pour la troisième fois, croit-il plus profondément ou plus superficiellement, est-il plus ou moins fanatique que celui qui y croit pour la première fois ?
(Et peut-être aussi pour Lichtenberg la raison serait une manière de croire en l’homme pour la seconde fois, autrement dit une manière de croire en l’homme sans l’alibi de Dieu.)
« Le ciel a bien peu foi en notre raison. »
Selon Lichtenberg la raison est une forme de la foi de l’homme en Dieu, un aspect de la foi de l’homme en Dieu, cependant la raison n’est pas la forme de la foi de Dieu en l’homme. Lichtenberg sait en effet que Dieu croit lui aussi en quelque chose et que ce à quoi Dieu croit n’est pas la raison de l’homme. Pour Lichtenberg Dieu croirait plutôt aux rêves de l’homme plutôt qu’en sa raison. Dieu croirait plutôt à la multiplicité des rêves de l’homme à savoir à la fois aux rêves de sa déraison et aux rêves de sa raison. Dieu n’a pas foi en la raison de l’homme, Dieu a foi en les rêves de l’homme y compris en les rêves de sa raison.
« L’un des arts les plus difficiles pour l’homme est certainement celui de se donner du courage. (…) La religion est, en fait, l’art d’acquérir pour soi-même de la confiance, du courage dans la détresse et la force de la combattre en adressant ses pensées à Dieu, sans plus. »
Le problème de Lichtenberg serait ainsi de parvenir à se donner du courage sans avoir cependant la foi. Le problème de Lichtenberg est de trouver comment se donner du courage de manière athée. Lichtenberg se donne ainsi de la confiance et du courage par le geste de multiplier les caprices de la raison, par le geste de considérer la raison à la manière d’une règle de conte de fées, à la manière d’un veto absurde de conte de fées.
« Notre monde sera un jour si raffiné, qu’il deviendra aussi ridicule de croire à un Dieu que de croire aujourd’hui aux fantômes. »
Selon Lichtenberg Dieu est un fantôme. Cependant Dieu n’est pas un fantôme de notre ignorance, Dieu est un fantôme engendré à travers notre raison même.
Lichtenberg est un athée du dimanche. Lichtenberg croit en Dieu les jours de la semaine et reste athée le dimanche.
Je
Lichtenberg essaye de dissocier la subjectivité de la raison. Lichtenberg essaie de raisonner sans utiliser le je. Lichtenberg invente une forme asubjective de la raison.
Lichtenberg n’utilise pas le je afin de penser. Lichtenberg utilise le je afin d’élaborer l’usage de son cœur, afin d’élaborer les usages de son cœur.
L’étrange ton de Lichtenberg est celui du délire objectif, celui de la démence bonhomme. Aucune subjectivité tonitruante, aucun désir d’originalité chez Lichtenberg, seulement un forme de singularité bizarre, celle de l’extravagance objective.
Lichtenberg suggère que l’essence n’est qu’une plaisanterie. Lichtenberg sourit des prétentions de l’essence. Lichtenberg sourit de la vérité de l’essence par le savoir de l’existence. Lichtenberg sourit de la vérité de l’essence par le simple savoir d’exister.
« L’homme n’est point une plus sophistiquée créature que les autres, seulement il sait qu’il existe et cela éclaire tout. Nous faisons bien de mettre cette qualité au-delà de toutes celles de l’esprit (…) »
Pour Lichtenberg c’est l’existence elle-même qui est l’instance du savoir. L’homme sait qu’il existe et aussi il existe ce qu’il sait. Chez Lichtenberg le savoir de l’existence sourit à chaque instant de l’essence de la vérité, de l’essence de l’éternité, de l’essence de la vérité éternelle.
Homme
Lichtenberg remplace parfois l’homme par un astérisque ou des guillemets ou bien parfois encore par un astérisque entre guillemets.
« Que sont donc les hommes sinon de vieux vêtements, le vent les doit parcourir. »
Lichtenberg choisit parfois d’entailler ou encore de déchirer l’homme comme un vêtement afin de faire respirer ce vêtement, afin de provoquer la chance d’une respiration de ce vêtement.
« La nature humaine est-elle donc une chose qui a sa tête en paradis, sa queue à l’autre bout de l’éternité et dont les membres sont les homonymes du tout ? »
Pour Lichtenberg la nature humaine ressemble à un dragon, un dragon d’inquiétude, un dragon de timidité, un dragon d’indulgence comme de distraction, un dragon d’indulgence distraite, un dragon de hasard comme de raison, un dragon de raison hasardée.
Lichtenberg détecte l’indulgence du dragon. Par l’inattention même de sa lucidité Lichtenberg détecte l’indulgence du dragon.
Parole
« Le langage de Lichtenberg est exemplaire dans la mesure où il est intact de toute compromission avec l’interlocuteur possible, voire rêvé. Aucune contamination. » G. Perros
Le langage de Lichtenberg n’est jamais troublé par un interlocuteur auquel il s’adresserait et cela précisément parce qu’il ne parle pas à un interlocuteur et encore moins à un public. Cependant Lichtenberg ne parle pas tout seul. Lichtenberg parle à la raison. Lichtenberg parle à la raison comme si c’était quelqu’un ou plutôt Lichtenberg parle à la raison comme si c’était presque quelqu’un. Lichtenberg parle à la raison comme à quelqu’un qu’il préfère. « Il est presque impossible d’écrire quelque chose qui vaille si l’on ne songe aussi à quelqu’un ou à un certain choix de personnes à qui l’on s’adresse. »
« On parle en rêve d’un tiers et, à l’éveil, on trouve que ce supposé tiers était précisément l’homme avec lequel on devisait. »
« Que l’on rêve si souvent de parler d’un mort (du moins pour moi) avec ce mort lui-même, provient peut-être des deux hémisphères semblables du cerveau, un peu comme on voit double quand on ferme un œil. »
Le rêve de raison de Lichtenberg est le rêve d’une raison sans tiers. Le rêve de raison de Lichtenberg est le rêve d’une raison asubjective parce que sans tiers, le rêve d’une raison ou le tu et le il deviennent alors indistincts. Ainsi parce que le tu et le il sont indistincts, le je devient double, celui qui parle est (automatiquement) double. La parole vient en effet à la fois de son corps et de son ombre. Ainsi parfois le corps parle de tu à il. Parfois l’ombre parle de il à tu.
Dans le rêve de raison de Lichtenberg le je parle toujours à celui dont il parle. Dans le rêve de raison de Lichtenberg le je adresse la parole uniquement à celui à propos duquel il parle. Ainsi le je ne parle jamais d’un absent, le je ne parle jamais à une absence. Ainsi l’instance de l’absence disparait du langage, l’instance de l’absence disparait de la parole. Cependant cette disparition de l’absence à l’intérieur de la parole ne s’accomplit que parce que s’ajoute au langage une instance d’ombre. Ainsi c’est comme si le rêve de la raison faisait disparaitre l’instance d’absence de l’autre en dédoublant le je, en ajoutant alors malgré tout une instance d’ombre au je. Selon le rêve de raison de Lichtenberg c’est comme si ce n’était plus le corps qui avait une ombre, c’est comme si c’était la parole qui avait une ombre, ou plutôt c’est comme si la parole avait une ombre avant le corps, avant que le corps en ait une.
« On devrait dire ça pense, comme on dit ça éclaire. Dire cogito est déjà trop dire sitôt qu’on le traduit par : je pense. »
Selon le rêve de raison de Lichtenberg ce qui pense (et aussi ce qui parle) n’est pas le je, c’est le ça et le ça qui pense (le ça qui parle) ne fait pas la distinction entre tu et il. Cependant pour Lichtenberg le ça qui pense (le ça qui parle) se dédouble en un ça de clarté et un ça d’obscurité, en un ça qui éclaire et un ça qui obscurcit.
Lichtenberg écoute comme Adam et parle comme le dernier homme. Lichtenberg soit écoute comme Adam et parle comme le dernier homme soit écoute comme le dernier homme et parle comme Adam.
Lichtenberg soit écoute pour la dernière fois comme Adam et parle pour la première fois comme le dernier homme, soit écoute pour la première fois comme le dernier homme et parle pour la dernière fois comme Adam.