Dimensions
« C’est une triste chose de voir que la majeure partie des livres sont écrits par des gens qui doivent s’élever pour écrire plutôt que de descendre vers l’écriture. »
Lichtenberg donne l’impression d’exister à la même hauteur que son œuvre. Lichtenberg ne semble ni moins grand ni plus grand que ce qu’il écrit. Et cela cependant sans que son existence soit identique ni même semblable à son œuvre. L’existence de Lichtenberg a la même taille que son œuvre sans pourtant lui ressembler. Et même l’existence de Lichtenberg a à la fois la même taille et la même forme que son œuvre sans pourtant lui ressembler. Et c’est précisément par cette dissemblance, par le tact de cette dissemblance, la bizarre distinction de cette dissemblance que Lichtenberg parvient à découvrir et à inventer.
Lichtenberg ne pense jamais l’homme à hauteur d’homme. Lichtenberg médite en effet par mutation des dimensions. Lichtenberg pense ainsi l’homme à hauteur de microbe ou à hauteur d’astre.
« La majeure partie des choses lorsqu’elles deviennent perceptibles sont déjà trop grandes. »
Il y a une sorte de sagesse lilliputienne chez Lichtenberg. Lichtenberg opère en effet sur chaque perception une réduction, une réduction par l’absurde.
« Si l’acuité d’esprit est une lentille grossissante, le bel esprit est, quant à lui, une lentille rapetissant. Croyez-vous donc que seules les lentilles grossissantes font des découvertes ? Il m’est plutôt avis que bien plus de trouvailles ont été faites, dans le monde intellectuel, à l’aide de lentilles rapetissantes ou d’instruments semblables. »
Lichtenberg tente d’ôter une dimension à chaque événement qu’il examine et par ce geste d’ôter une dimension Lichtenberg ajoute alors paradoxalement une relation, une valeur, une relation de valeur à savoir une valence à cet événement.
En effet ce que Lichtenberg enlève en grandeur à l’objet qu’il étudie il l’ajoute en valeur, en valence, en valence chimique. C’est comme si pour Lichtenberg les dimensions des objets étaient des sortes de caches posés sur leurs valences. Lichtenberg tend ainsi à réduire chaque objet à un point afin d’en libérer les valences, afin d’en libérer les valences multiples, afin d’en libérer les virtualités multiples, les valences virtuelles multiples.
L’instrument d’optique mental de Lichtenberg ne cherche pas à agrandir les détails des objets. Lichtenberg ne cherche pas non plus à rapetisser les objets pour les rendre dérisoires. Lichtenberg cherche plutôt à rapetisser les choses afin de les saisir comme des détails, comme des détails d’autres choses, comme les détails d’autres choses qui restent malgré tout invisibles pace qu’elles sont trop vastes.
Lichtenberg pense comme il fait le point. Cependant il ne fait pas un point optique. Lichtenberg fait plutôt un point chimique, un point électrique, un point à la fois chimique électrique, un point électrochimique.
« Lorsque le brave homme fut mort, celui-là porta son chapeau et l’autre son épée comme il lui était coutume, un troisième se fit coiffer comme lui, un autre encore lui emprunta sa démarche, mais l’honnête homme qu’il fut, cela, nul ne voulait plus être. »
Ce qui intéresse Lichtenberg ce ne sont jamais les détails pour eux-mêmes. Ce qui intéresse Lichtenberg ce sont comment les détails coïncident, comme les détails s’assemblent, comment les détails composent un ensemble (celui de la bravoure ou de l’honnêteté) par lesquels les détails s’assemblent. C’est comme si pour Lichtenberg la vertu d’un homme était son aptitude à faire tenir les détails hasardeux de son existence ensemble, les détails virtuels de son existence ensemble. La vertu pour Lichtenberg n’est pas ce qui fait l’unité d’un homme, c’est plutôt ce qui constitue un homme comme ensemble. La vertu est un faire tenir ensemble, la force qui parvient à faire tenir ensemble des formes de hasard, des formes de virtualités, des formes de virtualités hasardeuses. Pour Lichtenberg la vertu c’est précisément l’aptitude à faire tenir ensemble ses différentes virtualités, les différentes virtualités du hasard.
Lichtenberg inverse ainsi une tendance banale de l’homme, celle d’agrandir un détail pour le changer en unité, en unité factice. L’audace de Lichtenberg c’est à l’inverse de rapetisser les objets ou les événements afin de parvenir à les considérer comme un ensemble.
Lichtenberg ne pense pas afin d’observer les détails d’un ensemble. Lichtenberg observe chaque détail de manière lointaine afin de transformer ce détail en ensemble.
La raison de Lichtenberg met ensemble plutôt qu’elle ne met en ordre. La raison de Lichtenberg cherche comment plusieurs formes différentes sont attirées par une seule et même force comme la limaille de fer par l’aimant, ou plutôt comme la limaille de différents métaux par un aimant unique.
Selon Lichtenberg l’âme de l’homme (et aussi celle de chaque chose) apparait comme un aimant, un aimant par lequel des formes multiples s’assemblent, des formes multiples coïncident, un aimant qui à la fois amasse et amalgame des singularités.
Il y a une sorte cubisme mental de Lichtenberg. Lichtenberg utilise des lunettes rapetissantes afin de voir et surtout toucher chaque chose (chaque forme du monde) de tous les côtés à la fois.
« Prises de tous les côtés, les choses sont obscures à notre esprit, mais cette obscurité vaut parfois mieux que la vision claire d’un seul côté. »
Lichtenberg prismatise l’obscur. La raison de Lichtenberg n’est pas une façon d’illuminer les formes du monde. La raison de Lichtenberg est plutôt une manière de montrer la face de chaque chose en touchant les aspects multiples de son obscurité à la fois. Ou encore c’est une manière de toucher une face obscure de chaque chose en illuminant les multiples aspects de cette chose à la fois.
Il y a quelque chose de somnambulique et de lunaire dans l’œuvre de Lichtenberg. La raison de Lichtenberg n’est pas une raison solaire, c’est une raison lunaire, une raison lunatique même.
La pensée de Lichtenberg éclaire les formes du monde à la manière d’une lune. La pensée de Lichtenberg éclaire les formes du monde à la manière d’un thermomètre lunaire, d’un baromètre lunaire, d’une boussole lunaire. La pensée de Lichtenberg révèle ainsi les multiples valences chimiques de l’obscurité, les multiples valences chimiques de la nuit.
Pour Lichtenberg se tenir sur le fil de l’horizon c’est savoir que le cerveau est une bobine de distances, c’est savoir que le cerveau est une bobine de dimensions.
Pour Lichtenberg se tenir sur le fil de l’horizon c’est savoir qu’il y a des distances à l’intérieur de la tête. Lichtenberg révèle ainsi qu’il y a non seulement des distances entre les choses extérieures mais qu’il y a aussi des distances entre les choses mentales. Lichtenberg révèle qu’il y a non seulement du temps entre les pensées mais qu’il y a aussi surtout de l’espace. Pour Lichtenberg celui qui écrit est ainsi l’aventurier qui roule sa bosse parmi l’espace d’une pensée à une autre.
Il y a ainsi deux manières pour Lichtenberg de faire se rencontrer les pensées isolées les unes des autres à l’intérieur de sa tête. Soit parcourir l’espace avec le reste de son corps pour aller de l’une à l’autre, soit faire rouler sa tête comme une boule (ou comme une bille) pour que les distances entre les pensées se mélangent et même s’amalgament.
Lichtenberg utilise le petit bout de la lorgnette. Lichtenberg détaille la théorie des ensembles avec le petit bout de la lorgnette.
Lichtenberg utilise le petit bout de la lorgnette de sa bosse. Lichtenberg utilise le petit bout de la lorgnette de sa bosse comme soutire de son ombre, comme sourire d’étincelles de son ombre.
« D’une pensée le philosophe se place au-dessus du monde et le grand homme lui le remplit. »
Si Lichtenberg utilise des lentilles rapetissantes afin d’observer le monde, si Lichtenberg observe le monde avec des lentilles rapetissantes ce n’est pas pour pouvoir surplomber le monde, c’est afin de parvenir à méditer à la même hauteur que le monde, à la même hauteur qu’un monde miniature.
Lichtenberg ne pense pas le monde à hauteur d’homme. C’est pourquoi le silence des espaces infinis ne l’effraie pas. Lichtenberg pense plutôt l’homme selon les dimensions réduites du monde. Lichtenberg pense l’homme en miniaturisant le monde, en miniaturisant le monde de telle manière qu’homme et monde se tiennent fictivement à la même hauteur, de telle manière que l’homme et le monde se tiennent à une même hauteur fictive. (Par ce geste de miniaturiser le monde, la pensée de Lichtenberg ressemble une fois encore à celle de Chesterton.) Ainsi le grand homme ne peut remplir le monde avec sa pensée que s’il a auparavant par un geste de prestidigitation rationnelle réduit le monde à une dimension utile, à une dimension utilisable.
« Il faut contempler de loin les miracles pour y croire, »
Lichtenberg appelle les choses par leur petit nom. La taquinerie métaphysique de Lichtenberg est d’appeler les choses par leurs diminutifs. Lichtenberg appelle chaque chose par son diminutif afin de transformer ainsi cette chose en miracle, en miracle lointain.
Ordre-Désordre
« Là où il aperçoit un peu d’ordre, l’homme en suppose déjà trop. »
Lichtenberg sait que le hasard provoque l’ordre. Lichtenberg sait que le hasard provoque l’ordre et que la rencontre de deux ordres provoque l’aberration de la liberté, la forme aberrante de la liberté.
« L’ordre conduit à toutes les vertus ! Mais qu’est ce qui conduit à l’ordre ? »
Lichtenberg embaume le hasard avec les rebonds de l’ordre. Lichtenberg encense le hasard avec le sourire de son ombre. Lichtenberg bénit le hasard avec le sourire de son ombre. Lichtenberg bénit les rebonds du hasard avec le sourire de son ombre.
« On ne peut que respecter et craindre les meilleurs lois mais point les aimer. »
Lichtenberg préfère aimer les règles que respecter les lois. Lichtenberg préfère aimer les règles du hasard plutôt que respecter les lois de la vérité.
« Dans la nature, bien des choses irrégulières naissent de l’union d’autres qui ont davantage de régularité. »
Ce qui intéresse Lichtenberg c’est l’instant où la rencontre de deux règles provoque une irrégularité, où la coïncidence de deux ordres provoque un désordre. En cela Lichtenberg imagine les formes et les événements du charme, les formes et les événements de la séduction.
Le rêve de raison de Lichtenberg ne cherche pas la cause des événements. Lichtenberg essaie plutôt de toucher les effets des événements, les effets des événements qui par inquiétude et désinvolture à la fois dédaignent les causes.
« Je dois absolument écrire pour apprendre à estimer l’ampleur du chaos qui m’habite. »
Lichtenberg allège le chaos. Lichtenberg allège les arguments du chaos. Lichtenberg allège les arguments théoriques du chaos.
Lichtenberg taquine l’imbroglio. Lichtenberg taquine la clarté. Lichtenberg taquine l’imbroglio de la clarté. Lichtenberg taquine le chaos de la clarté.
Hasard-Chance
« Près des joueurs de dés était assise une femme longue et grêle qui tricotait. Je lui demandais ce qu’on pouvait gagner à ce jeu : Rien dit-elle. Et quand je lui demandais si l’on pouvait y perdre quelque chose, elle répondit : Non ! Je retins cela pour un jeu important. »
Lichtenberg sait que l’existence est un jeu, un jeu de dés. Lichtenberg sait que l’existence est un jeu de dés où il n’y a rien à gagner ni à perdre, ni la vie, ni la mort, ni la vie à gagner ni la mort à perdre, ni la vie à perdre ni la mort à gagner.
« Qu’un dé possède six côtés, on l’apprend fort vite, je l’ai même su avant d’apprendre que la terre est ronde. »
Lichtenberg indique ainsi que les dés révèlent une connaissance géométrique du hasard. Lichtenberg indique que grâce aux dés l’homme dispose d’un savoir géométrique à propos du hasard. Lichtenberg sait ainsi que la connaissance géométrique du hasard est pour l’homme antérieure à la connaissance géométrique de la terre. Selon la candeur démente de sa raison l’homme connait la forme du hasard, la forme des outils du hasard avant de connaitre la forme de la terre. Selon la candeur de démente de sa lucidité Lichtenberg sait les formes géométriques du hasard avant de connaitre la forme physique de la terre.
« Il vaudrait vraiment la peine de rechercher sérieusement, pour son propre compte, pourquoi la plupart des découvertes surviennent par hasard. » « C’est comme si l’on observait d’une cheminée. »
Lichtenberg observe l’harmonie du hasard. Lichtenberg observe l’harmonie du hasard depuis la cheminée de son ombre. Lichtenberg observe l’harmonie du hasard depuis la cheminée d’étincelles de son ombre.
Lichtenberg décapite le hasard comme il tend l’autre joue au rasoir du hasard. Lichtenberg décapite l’orgueil du hasard comme il tend l’autre joue au rasoir de la pensée.
Lichtenberg joue le rêve au hasard. Lichtenberg joue le hasard au rêve. Lichtenberg joue la lucidité du hasard au rêve comme le rêve au hasard de la lucidité.
Lichtenberg joue aux dés avec la gravitation de ses rêves. Lichtenberg joue aux dés avec la gravitation de son sourire.
« Lichtenberg jouait à l’éternité comme il jouait aux cartes. » G. Perros
Lichtenberg joue aux échecs avec le hasard et à la belotte avec l’éternité.
Lichtenberg agrandit sa chance avec sa pensée. Lichtenberg exacerbe sa chance avec sa pensée. Lichtenberg exacerbe le regard de sa chance avec l’âge de sa pensée.
Lichtenberg n’écrit pas en son nom. Lichtenberg écrit au nom du signe de l’infini. Lichtenberg révèle la vérité de la chance comme signe de l’infini du hasard.
Lichtenberg dissocie l’intuition en sentiment de la pensée. Lichtenberg révèle la vérité de la chance comme sentiment de la pensée.
Lichtenberg trahit son intelligence. Lichtenberg trahit son intelligence avec la chance de son intuition. Lichtenberg trahit son intelligence avec la loterie de son intuition, avec la loterie d’âges de son intuition, avec la loterie d’anges de son intuition, avec la loterie d’âges angéliques de son intuition, avec la loterie de lutineries de son intuition, avec la loterie de lutineries angéliques de son intuition, avec la loterie de lutineries lunaires de son intuition. Lichtenberg trahit son intelligence avec une loterie de têtes, avec une loterie de têtes lunaires, avec la loterie de têtes lunaires de son intuition.
Pour Lichtenberg le monde est le fil de sa pensée. Ou plutôt le monde est la bobine de fil de sa manière de penser. Ou encore le monde est le sablier de fil de la vérité de sa chance, le sablier de fil du sentiment de vérité de sa chance.
Lichtenberg se délecte de la chance de son ombre. Lichtenberg se délecte de la chance vertueuse de son ombre.
Pour Lichtenberg la chance est le point de contact (la lentille de contact) de la gentillesse et du cynisme. Pour Lichtenberg la chance est le microscope de contact de la gentillesse et du cynisme.
Lichtenberg réverbère l’ombre de sa chance uniquement les jours fériés. Lichtenberg cannibalise l’ombre de sa chance exclusivement les jours fériés.
A l’inverse de Pascal, Lichtenberg ne joue pas son existence en misant sur l’infini. Lichtenberg affirme plutôt que c’est le signe de l’infini qui joue. Le signe de l’infini du hasard joue le cosmos. Le signe de l’infini du hasard joue le cosmos aux dés et ce jeu est sans gain et sans perte. Le signe de l’infini du hasard (c’est à dire la ligne de l’horizon devenue centre de la terre) improvise un jeu où il n’y a rien à gagner rien à perdre, un jeu qui existe seulement afin d’inventer sa règle, afin d’inventer sa règle à chaque coup joué.
Pour Lichtenberg la règle du jeu est l’enjeu même du jeu. Pour Lichtenberg l’enjeu du jeu est de découvrir sa règle ou plutôt l’enjeu du jeu est d’inventer la transformation de sa règle. Pour Lichtenberg le jeu de l’âme apparait à chaque instant à la recherche de sa règle.
Lichtenberg distribue les cartes de la vérité comme chance. Selon Lichtenberg il n’y a pas de règle du jeu antérieure à la distribution des cartes. Cependant le jeu de cartes n’est pas sans règle. Selon Lichtenberg la distribution des cartes est la règle même du jeu. Selon Lichtenberg la règle du jeu est immanente à la distribution même des cartes. Ainsi chaque carte transmute la règle du jeu. Cependant la carte n’est pas en elle-même métamorphose de la règle du jeu, la carte ne devient métamorphose de la règle du jeu qu’à l’instant où elle est distribuée, adressée, jetée sur la table.
Et encore selon Lichtenberg c’est non seulement chaque carte qui change la règle du jeu, c’est aussi le blanc entre chaque carte, l’espace de l’instant entre chaque carte. Ecrire pour Lichtenberg c’est ainsi toujours jouer à un seul jeu avec deux jeux de cartes, le jeu de cartes du langage et le jeu de cartes du blanc.
« Devant moi, un jeune homme bien mis était assis, un homme à l’allure un peu échevelée et qui, sans porter attention à la compagnie debout et assise l’entourant, mangeait sa soupe en prenant toujours soin, à la deuxième ou troisième cuillerée pleine, de la lancer dans les airs, de la rattraper puis de continuer à manger. »
Pour Lichtenberg la règle du jeu apparait comestible. Pour Lichtenberg c’est toujours celui qui mange qui joue.
Lichtenberg essaie de savoir à la fois comment jouer à manger et comment manger le jeu. Pour Lichtenberg cette règle du jeu comestible est la forme même de l’éthique. Pour Lichtenberg l’éthique est de savoir comment manger la règle du jeu.
Ecrire selon Lichtenberg c’est jouer aux cartes comme manger sa soupe. Ecrire pour Lichtenberg c’est mélanger la soupe du jeu de cartes du langage. Ainsi celui qui jette une carte différente à chaque instant sur la table est aussi celui qui jette à chaque instant sa soupe en l’air et la ressaisit aussitôt avec une seule et unique petite cuillère.
Civilisation
« J’ai toujours considéré le fait de se ronger les ongles comme un acte instinctif et civilisateur. »
Lichtenberg révèle les formes instinctives de la civilisation. Lichtenberg révèle les aspects impulsifs de la politesse.
Lichtenberg est extrêmement attentif aux formes du hasard. Lichtenberg sait que même une civilisation apparait comme une composition de hasards heureux.
Lichtenberg fait la distinction entre l’humanité et la civilisation. Lichtenberg fait la distinction entre le hasard de l’humanité et le rêve de la civilisation. Lichtenberg fait la distinction entre le hasard de miracle de l’humanité et le rêve de nécessité de la civilisation.
« Nous qui écrivons au jour la journée, nous devons porter la queue de la mode si nous voulons être acceptés, (…) A peine avons-nous une idée, qu’elle ne doit pas être telle qu’elle est venue pour ne point être partout répudiée : il lui faut le sceau de l’époque. (…)»
C’est précisément cette injonction d’une pensée marquée par le sceau de l’époque que Lichtenberg esquive à chaque instant. La pensée de Lichtenberg survient en dehors des modes de l’époque. Et cependant elle résonne intensément par le temps, par le tempo, par le rythme d’une civilisation, par le rythme tacite d’une civilisation.
L’œuvre de Lichtenberg semble bizarrement surgir hors de toute époque, hors de toute situation historique sans apparaitre pourtant en dehors de la civilisation. Ce que le lecteur entend en effet en filigrane entre les phrases de Lichtenberg c’est la forme rhétorique d’une civilisation, c’est le bruissement rhétorique d’une civilisation, c’est le bruissement géologique même d’une civilisation.
Lichtenberg sait que les nations, les états, les révolutions et les guerres sont aussi des modes autrement dit des façons pour l’homme de changer de décors et d’ornements.
Lichtenberg sait comment intimider les révolutions avec un thermomètre. Lichtenberg intimide les révolutions avec le thermomètre de son ombre. Lichtenberg intimide les révolutions avec le thermomètre de l’éblouissement, avec le thermomètre d’éblouissement de son ombre.
Lichtenberg tricote les guerres civiles de l’invisible. Lichtenberg tricote en tout bien tout honneur les guerres civiles de l’invisible, les guerres civiles de l’invisible à l’œil vêtu.
Bon Sens
Lichtenberg révèle les aspects insolites du bon sens. Lichtenberg révèle les formes extravagantes du bon sens. Lichtenberg révèle les structures extravagantes du bon sens. Lichtenberg révèle la liberté extravagante du bon sens.
Lichtenberg révèle les formes imprévisibles du bon sens, les formes farfelues du bon sens. Lichtenberg révèle le délire du bon sens, les aspects délirants du bon sens, les formes délirantes du bon sens, les intuitions délirantes du bon sens. Lichtenberg révèle la démence du bon sens, les formes démentes du bon sens.
Lichtenberg rédige des illuminations quasi démentes avec des attitudes de notaire plein de bon sens, avec des attitudes d’apothicaire plein de bon sens, avec des attitudes d’épicier plein de bon sens.
Lichtenberg décrypte le bon sens en diagonale. Lichtenberg décrypte le bon sens selon la diagonale d’électricité des anges.
Lichtenberg médite selon un bon sens lunaire et un non-sens terrestre.
Lichtenberg utilise le bon sens comme un tapis volant et libère la déraison comme une boite à outils.
« Je ne puis vraiment voir pourquoi la rumeur de la bourse ne peut être aussi agréable que le bruissement d’une forêt de chênes. »
Lichtenberg détecte le bruissement de l’humanité. Lichtenberg détecte le bruissement de bon sens de l’humanité, le bruissement de bon sens naturel de l’humanité. Lichtenberg révèle le bruissement de non-sens de l’humanité, le bruissement de non-sens naturel de l’humanité. Lichtenberg révèle le bruissement de non-bon-sens de l’humanité, le bruissement de non-bon sens de la raison. Lichtenberg révèle le bruissement de non-bon sens naturel de l’humanité, le bruissement de non-bon sens naturel de la raison.
Divers
Lichtenberg sait que chaque confetti est aussi un tombeau.
Lichtenberg architecture les confettis. Lichtenberg architecture des confettis d’efficacité.
Lichtenberg blesse sa propre pudeur avec une balance. Lichtenberg blesse son propre orgueil avec une balance.
Lichtenberg fait de la balançoire à l’intérieur des cheminées. Lichtenberg joue à la balançoire à l’intérieur des cheminées.
Lichtenberg éblouit le miracle. Lichtenberg éblouit le miracle avec des tablettes de chocolat. Lichtenberg éblouit les diamants. Lichtenberg éblouit les diamants avec les tablettes de chocolat. Lichtenberg éblouit les diamants du miracle avec les tablettes de chocolat.
Lichtenberg tamise le non-sens. Lichtenberg tamise le non-sens avec les queues des comètes. Lichtenberg tamise le non-sens avec les allumettes. Lichtenberg tamise le non-sens avec les queues de comètes des allumettes.
Lichtenberg dorlote le non-sens à coups de couteau. Lichtenberg éduque le non-sens à coups de couteaux.
Lichtenberg encense le gouffre. Lichtenberg encense le gouffre avec la queue du chien.
Lichtenberg honore les zigzags. Lichtenberg honore les zigzags de l’ainsi soit-il.
Lichtenberg éternue les compteurs à gaz de l’ainsi soit-il.
Lichtenberg utilise les tournevis comme baromètres.
Lichtenberg orne ses sentiments d’inquiétude avec des écailles d’oxygène.
Lichtenberg brode le dragon.
Lichtenberg laboure les dentelles.
Lichtenberg élabore des chinoiseries avec des icebergs.
Lichtenberg aiguise le râteau avec l’allée. Lichtenberg aiguise le râteau avec les allers-retours de l’allée.
Lichtenberg détecte l’artillerie des fleurs.
Lichtenberg galvanise les marguerites. Lichtenberg logarythmise les marguerites.
Lichtenberg fouette la sagesse avec les fleurs du hasard.
Lichtenberg médite des tribunaux de fleurs. Lichtenberg apprend le latin et le grec au tribunal des fleurs.
Lichtenberg court-circuite les inventions du ciel avec le fouet soporifique de la raison.
Lichtenberg connait la perfection de parfois.
Lichtenberg pèche à la ligne avec de la poudre à canon.
Lichtenberg fait infuser la poudre à canon dans sa tasse. Lichtenberg fait infuser la poudre à canon dans la tasse de la raison.
Lichtenberg écrit avec une aile d’ébène.
Lichtenberg examine le vent avec l’œil de la plume.
Lichtenberg ouvre les portes avec l’œil de son encrier.
Lichtenberg tresse des couronnes avec des lobes d’oreilles.
Lichtenberg nettoie les scalpels dans l’eau du torrent. Lichtenberg nettoie les scalpels avec le bruit du tonnerre.
Lichtenberg nettoie les bistouris dans les bénitiers. Lichtenberg se brosse les dents devant les bénitiers. Lichtenberg se brosse les dents non loin des bénitiers.
Lichtenberg tient la chandelle de sa propre braguette. Lichtenberg sait comment munir les hosties de braguettes.
Lichtenberg ferme ses lettres de cachet avec une braguette. Lichtenberg ferme ses lettres de cachet avec la braguette de son ombre, avec la braguette d’étincelles de son ombre. Lichtenberg ferme ses lettres de cachet avec une braguette d’étoiles.
Lichtenberg fixe ses lettres de cachet avec l’incrédulité de son ombre. Lichtenberg fixe ses lettres de cachet avec les étincelles d’incrédulité de son ombre.