L’acrobate clarifie la bêtise. L’acrobate clarifie la bêtise à bras que veux-tu. L’acrobate clarifie la bêtise à jambes que veux-tu. L’acrobate clarifie la bêtise à bras et jambes que veux-tu.
Jacques Dutronc
Il y a un dédain essentiel de J. Dutronc. Dutronc daigne jouer un rôle. Dutronc daigne jouer un rôle cependant il n’y croit pas. Quoi qu’il interprète, Dutronc n’en pense pas moins. Quoi qu’il interprète, Dutronc y pense sans y croire. Dutronc joue ses personnages sans y croire. Dutronc joue la non-croyance de chaque personnage envers lui-même. Dutronc contamine tous ses rôles d’une sorte de méfiance ontologique envers sa propre identité, envers sa propre image.
Etrange effet provoqué par cette méfiance quand Dutronc joue par exemple Van Gogh dans le film de Pialat. Dutronc joue alors Van Gogh intégralement à l’envers. Van Gogh incarne par excellence la confiance en la terreur, la confiance même de la terreur. Dutronc joue à l’inverse la méfiance du bonheur. Dutronc joue le rôle de Van Gogh selon la méfiance du bonheur, à travers la méfiance du bonheur.
Dutronc oblige ainsi Pialat à ne pas filmer Dutronc dans le rôle de Van Gogh mais plutôt Van Gogh dans le rôle de Dutronc. Le film de Pialat n’est plus alors une biographie imaginaire de Van Gogh. Il devient plutôt un portrait imaginaire de Dutronc en pseudo-peintre, en pseudo-peintre impressionniste. Le film de Pialat n’est plus le portrait d’un peintre inconnu et maudit. Il devient plutôt le portrait d’un peintre inconnu et heureux dont l’unique sentiment de malédiction serait de ne pas être reconnu comme un chanteur et un amuseur populaire.
Dutronc est un ironiste bizarre parce que c’est un ironiste non-verbal, un ironiste muet, un ironiste presque aphasique. Dutronc ne cite pas la parole de son personnage avec une intonation qui en inverserait le sens. Dutronc cite plutôt le rôle même du personnage avec l’ironie de son jeu, avec l’ironie muette de son jeu. Parce que l’ironie de Dutronc reste muette, Dutronc inverse alors le sens ou plutôt le non-sens de l’ironie, un peu à la façon d’Eustache avec le sujet ou l’histoire de ses films. Il y a en effet une ressemblance entre Dutronc et Eustache. Une utopie : Dutronc dans un film d’Eustache. Ah quelle partie de mikado sur un échiquier cela aurait été et même quelle partie de mikado dément sur plusieurs échiquiers à la fois.
Il y a une ressemblance entre le jeu de Dutronc et celui de James Stewart, le même détachement jovial, le même détachement à l’intérieur de la jovialité, le même détachement presque acide de la jovialité, le même détachement presque acide à l’intérieur de la jovialité.
Difficile de savoir ce que joue Dutronc. Difficile de savoir à quoi joue Dutronc. Par exemple que joue Dutronc à l’intérieur de Mes Nuits sont plus Belles que vos Jours de Zulawski ? Dutronc joue-t-il un homme qui perd peu à peu la parole et qui va mourir ou à l’inverse un homme qui devient immortel à force de jongler avec les mots et de faire l’amour avec une femme, ou bien encore un homme qui devient immortel à force de faire l’amour avec les mots et de jongler avec les fesses d’une femme.