Marie Trintignant
Insistance, insistance nonchalante, insistance trainante de Marie Trintignant. Marie Trintignant n’en fait qu’à sa tête. Marie Trintignant n’en fait qu’à sa tête trainante. Marie Trintignant n’en fait qu’à la traine de sa tête, qu’à la traine de divorce de sa tête, qu’à la traine de déchirures de sa tête.
Marie Trintignant semble toujours trainer, toujours trainer vaguement, toujours trainer à la fois incisive et vague, avec une sorte d’acuité évasive à l’intérieur du plan. Marie Trintignant traine à l’intérieur du plan autant présente qu’absente. Et il devient alors difficile de la déloger, de la déplacer à la fois de cette présence et de cette absence. En effet son absence insiste à l’intérieur du plan avec autant d’intransigeance, avec autant de douceur intransigeante que sa présence. Intransigeante douceur de Marie Trintignant.
Marie Trintignant traine les pieds dans le plan mais refuse à chaque fois de le quitter, elle reste là inflexible, elle fait toujours semblant de partir. Dans La Maison de Jeanne, Marie Trintignant reste ainsi assise sur le coin du lit de Benoit Régent et elle le drague alors comme une forcenée sans qu’il parvienne jamais à la faire sortir de la chambre. Ou encore dans Série Noire, Marie Trintignant reste inflexible dans un coin du plan toujours là à coté de Dewaere quoiqu’il lui dise, qu’il l’engueule ou l’embrasse, qu’elle soit nue ou habillée, elle ne part jamais, elle ne fait jamais que semblant de s’en aller.
Il y a de l’addiction dans le jeu de Marie Trintignant. Marie Trintignant tient au plan. Marie Trintignant tient au plan comme le lierre tient au mur. Marie Trintignant traine tenace à l’intérieur du plan. Et c’est comme si elle droguait le plan par une sorte de flottement fixe à force de désirer y tenir.
Même évaporée, Marie Trintignant reste cependant là. Marie Trintignant reste là comme une actrice-souvenir, comme un souvenir d’actrice, comme une actrice dont nous nous souvenons même lorsque la majeure partie du film est oubliée. Marie Trintignant est en effet une actrice qui évoque le souvenir d’une substance ou le souvenir d’un corps plutôt que celui d’une situation ou d’une histoire. Souvenir d’aquarium d’alcool de Betty de Chabrol. Souvenir de nudité cabotine et triangulaire, de nudité dénuée d’inutilité de Nuit d’Eté en Ville de M. Deville.
Les regards de lémurien de Marie Trintignant. Les coups d’œil de limbes de Marie Trintrignant, les coups d’œil libidineux, les coups d’œil de limbe libidinale de Marie Trintignant.
La dinguerie tendre de Marie Trintignant. La superbe intonation de voix de Marie Trintignant à la fois onctueuse et rauque. Les intonations de moquerie de Marie Trintignant à la fois tristes et suaves. Son intonation par exemple lors de la formule inoubliable d’Une Affaire de Femmes de C. Chabrol. Prostituée endimanchée assise sur le porc de porcelaine d’un manège, Marie Trintignant s’exclame alors goguenarde et clownesque « Aujourd’hui c’est nous qu’on est sur les cochons ! »