Patrick Dewaere
P. Dewaere a une allure smart destroy. Dans Série Noire Dewaere dévisse l’atmosphère. Dans Série Noire Dewaere dévisse l’atmosphère en tournant sur lui-même avec un pulvérisateur de parfum.
Dans la première scène de Série Noire, Patrick Dewaere danse le tango avec sa solitude. Aux premiers plans de Série Noire d’Alain Corneau, Dewaere danse le tango avec sa solitude. Dewaere danse un tango verglacé avec sa solitude.
Dans Série Noire Dewaere danse une sorte de valse-rumba dégingandée, une valse aberrante, une rumba bizarroïde.
Dans ce film à la fois sordide et féerique, ce film de féerie sordide qu’est Série Noire, Dewaere semble chorégraphier et commenter la vie quotidienne de son personnage en direct de la fiction même autrement dit en direct du tournage du film, comme s’il était à la fois le patineur sur glace et le journaliste sportif de son propre désarroi.
Le désespoir soudain furieux de Dewaere dans Série Noire quand il se frappe la tête contre la carrosserie de sa voiture ou lorsqu’il tue sa femme de façon impromptue, à la façon d’un aparté, d’un aparté impromptu de son désarroi, d’un aparté impromptu de son désespoir.
Dans Série Noire, Dewaere joue à chaque instant un film parallèle au film même. Dewaere joue un autre film qui serait le doublage dansé du film, doublage dansé où le transistor devient un revolver, doublage dansé où le transistor tient lieu de revolver.
En effet lors du générique Dewaere sort de sa poche un transistor comme si c’était un revolver. Avant même que le récit du film n’ait commencé, alors que Dewaere évolue dans un no man’s land de la fiction, sur les lieux vides de la fiction, un terrain vague entouré d’immeubles avant l’orage, Dewaere ou son personnage, cela reste indécidable, se joue déjà un film seul, comme un enfant qui ferait comme si, comme un enfant qui s’amuserait avec son ennui, qui s’amuserait avec son désespoir, qui s’amuserait avec l’ennui même de son désespoir, comme un enfant qui jouerait en un seul et même rôle ou plutôt à tour de rôle, à tour de rôle de sa solitude, à la fois lui-même et d’innombrables personnages.
Dans Série noire, Dewaere ne cesse de danser et de dire (et de redire) les personnages à proximité de lui-même comme un petit enfant ou un grand fou, comme un petit fou et un grand enfant. Et dansant ainsi en marge d’un personnage à côté de ses pompes, à côté de la fureur folâtre de ses pompes, Dewaere invente la forme d’une ligne droite tragique, la forme d’une tragédie en ligne droite. Dewaere invente paradoxalement les zigzags en ligne droite de la tragédie.
Et ce que Dewaere accomplit en tant qu’acteur, Corneau l’effectue aussi comme cinéaste. Son film ressemble alors à une sorte de tragédie grecque transistorisé, à une tragédie grecque trivialement transistorisée, à une tragédie eschyléenne où les chœurs seraient chantés par Sheila.
P. Dewaere avance et recule à l’intérieur du plan à la fois avec l’assurance d’un torero et la fébrilité d’une chèvre, avec l’arrogance invraisemblable d’un toréro et la fébrilité honteuse d’une chèvre. Et parfois même de manière plus étrange encore c’est la chèvre même qui devient pendant un millième de seconde le torero, et qui d’un revers de veste satanise alors la situation, satanise alors discrètement la situation.
P. Dewaere joue la comédie exactement comme John Mac Enroe joue au tennis, avec une sorte de rage volatile, une rage volatile envers soi-même.
Il y a aussi une très étrange douceur de Dewaere, une douceur de la destruction, une douceur illettrée, indocile, inéluctable. Une douceur orpheline, une douceur de la destruction orpheline.