Buffon

 

 

 

 

 

Buffon a des bras d’albatros, des bras d’albatros qui ne l’empêchent pas cependant de marcher. Buffon a un regard d’aigle, un regard d’aigle qui tient le ciel entre ses serres, un regard d’aigle dont le ciel est la proie. Il y a à la fois chez Bouffon une extrême concentration et une extrême amplitude. Buffon apparait comme un rapace aisé. Buffon tient l’espace entre les serres de ses ailes. Buffon tient paradoxalement le ciel entre les serres de ses ailes.

 

 

 

Superbe maintien de Buffon, celui d’un homme vêtu d’une armure et qui serait pourtant  mobile, celui d’un homme vêtu d’une armure légère, celui d’un homme vêtu d’une armure d’ailes, d’un homme vêtu d’une cuirasse d’envol. Il y a un aspect chevaleresque de Buffon. Buffon a l’allure d’un chevalier, d’un chevalier du football. Buffon ce serait le dernier chevalier, ou plutôt à la fois le dernier rempart et le dernier chevalier, le rempart devenu paradoxalement chevalier. Buffon c’est le dernier chevalier qui est pourtant celui de la Renaissance. Buffon se tient à l’intérieur de sa surface de réparation comme un chevalier du Moyen Age qui évoluerait pourtant à l’intérieur d’un palais dessiné par Alberti.

 

 

 

Buffon est un des très rares gardiens de but de l’histoire du football qui sait à la fois rester superbement placé et qui sait aussi plonger avec vivacité et aisance. Le plus souvent en effet les gardiens qui savent très bien se placer savent moins bien plonger et ceux qui savent très bien plonger savent moins bien se placer.  

 

 

 

Buffon sait à la fois jouer de manière offensive en avançant à la rencontre du ballon et jouer de manière défensive en reculant sur ses appuis. Et puis surtout  Buffon est le seul gardien  qui parvient à jouer malgré tout de manière offensive en reculant. Buffon est le seul gardien qui sait comment plonger de manière précise en reculant pourtant sur ses appuis au sol. Les innombrables parades quasi miraculeuses de Buffon résultent de cette aptitude à plonger en reculant. Cependant plonger en reculant ce n’est pas pour Bouffon l’équivalent de plonger en arrière. Buffon parvient et c’est précisément là le prodige à plonger en avant, à projeter son corps vers l’avant à l’instant même où il prend pourtant un appui au sol à reculons, comme s’il parvenait alors à rebondir par la puissance même de son recul.

 

 

 

S’il y a une bouffonnerie de Buffon, une bouffonnerie métaphysique c’est celle-là. Si Buffon est un clown eh bien, c’est un étrange clown blanc, un clown céleste, un clown-aigle. La bouffonnerie du Buffon n’est cependant pas flagrante. Buffon est en effet le plus grave et plus loyal des joueurs qui soit. 

 

 

 

 

 

Un aspect essentiel du jeu de Buffon c’est son incroyable détermination mentale. Son arrêt détourné de la frappe de la tête de Zidane en finale de la Coupe du Monde 2006 en est l’exemple parfait. Du point de vue technique c’est simplement un bon arrêt, un pas rapide de replacement dans son but et une détente verticale efficace. Techniquement  parlant ce n’est donc pas un arrêt si difficile. Ce qui est extrêmement difficile à l’inverse c’est de parvenir à accomplir un tel arrêt à cet instant d’une finale de Coupe du Monde. Ce sont les prolongations, le score est d’égalité 1 à 1et il ne reste qu’une dizaine de minutes à jouer. Et c’est précisément à cet instant qu’il devient difficile de ne pas trembler. Il y a d’ailleurs dans le regard de Zidane après cet arrêt de Buffon une très profonde rage et une très profonde déception, la très profonde rage déçue d’un homme qui vient d’être mentalement dominé par un autre homme. Cette frappe de la tête de Zidane n’était pas en effet une frappe quelconque, c’était une frappe de la tête splendide, du point de vue technique plus étonnante que l’arrêt même de Buffon et pourtant Buffon parvient à éviter le but.

 

 

 

Le plus beau plongeon de Buffon c’est celui par lequel il détourne en dehors de la lucarne une frappe splendide de Recoba, « arrêt parfait face à un tir parfait » ainsi que l’écrit Markus Kaufman. Plonger ainsi à l’entrainement cela arrive parfois, plonger ainsi en match cela n’arrive presque jamais. Il apparait malgré tout flagrant que c’est arrivé au moins une fois et que c’est Buffon qui a paraphé ce geste. Avec le burin de sa féerique audace Buffon a inscrit ce geste dans le marbre même de l’air.