Ronaldinho

 

 

 

 

 

La figure essentielle du jeu de Ronaldinho c’est le jonglage ou encore le lob. Pour Ronaldinho jouer c’est d’abord faire passer le ballon au-dessus, au-dessus de la terre, au-dessus de l’herbe, au-dessus de lui-même et surtout au-dessus de l’adversaire. Par exemple ce que Ronaldinho préfère quand il dribble c’est faire passer le ballon au-dessus du pied de l’adversaire. Ronaldinho joue d’abord au football pour lober, pour lober la terre, pour lober l’herbe, pour lober l’espace même.

 

 

 

Ronaldinho raconte que lorsqu’il était enfant, il jouait à chaque instant au foot à l’intérieur même de sa maison. Il dribblait son chien, faisait des une-deux avec les chaises et s’amusait aussi souvent à lober sa mère pendant qu’elle préparait le repas dans la cuisine. Ronaldinho joue ainsi afin de lober l’espace comme une mère, afin de lober l’espace comme une mère nourricière. Ronaldinho lobe ainsi l’espace afin à la fois de saluer l’espace et de plaisanter avec l’espace. Ronaldinho lobe l’espace afin de saluer la mère nourricière de l’espace par une plaisanterie. Ronaldinho joue ainsi au football comme un gamin, comme un gamin qui gambade, comme le fils prodigue de l’espace, comme le benjamin prodigue de la nature spatiale.

 

 

 

Ce que Ronaldinho préfère c’est quand le ballon ne touche pas le sol. Le jeu de Ronaldinho c’est presque de l’air-football comme il y a de l’air-guitar. C’est cela qui agace d’ailleurs parfois les spécialistes du football dans sa façon de jouer. Ronaldinho donne en effet souvent l’impression à la fois de jouer au football et de faire semblant de jouer au football, comme si le football était aussi pour Ronaldinho le spectacle de sa simulation, le spectacle de sa disparition, le spectacle de sa volatilisation, le spectacle de son ébullition, de son ébullition volatile.

 

 

 

Ronaldinho glisse parmi les rhizomes de l’espace comme une savonnette. Ce que désire d’abord Ronaldinho c’est faire mousser le jeu, c’est faire flamber le jeu. Ce que désire d’abord Ronaldinho c’est  inventer un football semblable à une flamme de savon, à un flambeau de savon, à une flamme d’ébullition, à un flambeau d’ébullition. Ronaldinho joue au football avec la même jubilation désinvolte d’un enfant qui souffle des bulles de savon, qui souffle des bulles de savon irisées afin qu’elles s’envolent. Ronaldinho joue au football avec la même jubilation insouciante d’un enfant qui souffle des bulles de savon irisées afin de lober l’espace.

 

 

 

 

 

Avec son dribble l’élastico, Ronaldinho transforme le pied en queue de lézard, transforme le coup de pied en queue de lézard. Avec son dribble l’élastico, le pied de Ronaldinho glisse entre les interstices de l’espace, entre les rhizomes de l’espace comme une queue de lézard, une queue de lézard légèrement moqueuse. Ronaldinho fait ainsi rimer à chaque instant la queue de cheval qu’il porte au sommet de sa tête avec la queue de lézard qu’il immisce à l’extrémité de de son pied.

 

 

 

Ronaldinho joue au football avec la joie d’une otarie, avec la même joie impudique, la même joie indécente que celle de l’otarie. Ronaldinho dribble comme une loutre nage. Ronaldinho court aussi comme un mustang. Ronaldinho joue au football comme un cheval-loutre, comme un cheval-otarie, comme un mustang-loutre, comme un mustang-otarie.

 

 

 

Il y a une évidente virtuosité de caoutchouc dans les gestes de Ronaldinho. Ronaldinho joue au football comme une silhouette de dessin animé, comme une figurine de dessin animé. Quand il joue Ronaldinho semble dérouler à chaque instant l’espace à la fois devant lui et autour de lui comme le rouleau d’inconséquence, comme le volume d’inconséquence d’un dessin animé. Aucun drame, aucune mort, aucune hantise de mort dans le jeu de Ronaldinho. C’est la grande différence avec le jeu de Maradona dont la virtuosité de caoutchouc finissait toujours par se bloquer avec une violence soudaine en une estocade de torero. Les estocades de Ronaldinho sont des estocades pour rire. Et son rire est bien plutôt alors celui d’une vachette ébahie, une vachette ébahie qui s’ébroue heureuse sur le terrain. Et c’est précisément là le paradoxe incompréhensible du jeu de Ronaldinho, Ronaldinho se déplace partout sur le terrain comme une vachette hilare, idiote et puérile qui disposerait pourtant d’une précision de cobra.

 

 

 

Ronaldinho est un virtuose spontané qui est resté pendant toute sa carrière parfaitement indifférent à l’image sérieuse du sport (un peu comme Ilie Nastase au tennis). Un peu aussi comme Benjamin Péret en littérature Ronaldinho donne souvent l’impression de faire parfois n’importe quoi, cependant ce n’importe quoi est étrangement un n’importe quoi précis.