Bonjour Eric,
« Le capitalisme comme religion.
Le capitalisme est une religion purement cultuelle, peut-être la plus extrêmement cultuelle qu’il n’y ait jamais eu. Rien en lui n’a de signification qui ne soit immédiatement en rapport avec le culte, il n’y a ni dogme spécifique ni théologie…La durée du culte est permanente. Le capitalisme est la célébration d’un culte sans trêve et sans merci. » W.Benjamin
Ainsi les opérations techniques de la vie quotidienne dans la société capitaliste sont aussi des pratiques religieuses. Téléphoner, se connecter à un ordinateur, regarder la télévision, se déplacer en voiture ou en train, écouter de la musique à la radio ou sur un i-pod sont des sortes de prières, des prières inconscientes. Contrairement à ce que prétend la critique conventionnelle du capitalisme, ces prières inconscientes ne sont pas obligatoirement des actes de soumission au dieu de l’argent, ces prières sont plutôt spéculaires et tautologiques. Celui qui téléphone prie le téléphone. Celui qui se connecte à l’ordinateur prie l’ordinateur. Celui qui regarde la télévision prie la télévision. Le capitalisme est en effet cette religion grotesque où l’inconscience du culte est le dieu lui-même.
Très tôt dès 1910, Chesterton avait eu l’intuition de cela. Chesterton avait vu que l’homme moderne était englué dans un système de dogmes et de rituels inconscients qu’il estime être des pratiques de progrès et de liberté.
« Le monde moderne est plein d’hommes qui s’en tiennent aux dogmes si fortement qu’ils ignorent même que ce sont des dogmes. »
« L’humanité se divise en ritualistes conscients et ritualistes inconscients. Le fait curieux de cet exemple, c’est que le ritualisme conscient est relativement simple alors que le ritualisme inconscient est lourd et compliqué… Les ritualistes conscients se contentent généralement d’un petit nombre de signes très simples et élémentaires, les ritualistes inconscients ne sont pas satisfaits à moins de livrer la vie entière à un ritualisme presque insensé. Les premiers sont appelés ritualistes parce qu’ils inventent un seul rite et s’en souviennent, les autres sont appelés antiritualistes parce qu’ils en observent et en oublient mille.»
A l’inverse Deleuze n’a jamais vu cela. Deleuze pensait (avec Guattari) que l’intensification des flux de ce qu’il nommait les machines désirantes était une façon de combattre subtilement le capitalisme par le geste même de le fuir. Bizarrement il ne voyait pas, alors qu’il comprenait très bien avec Foucault que le capitalisme était essentiellement une société de contrôle, que le capitalisme réussissait aussi à se réapproprier les flux des machines désirantes. Le problème de Deleuze était de ne pas voir que son apologie du désir machinique n’était pas en antagonisme mais en adéquation avec la société capitaliste. Pour le capitalisme n’importe quel désir est acceptable à condition qu’il se revendique en tant que prière techniquement tautologique, en tant que prière signalétique de lui-même.
Selon la logique d’internet les hommes n’ont plus d’adresse, ils n’existent plus à l’intérieur d’un lieu. Selon la logique d’internet le nom est désormais l’adresse exclusive de l’homme.
Il est aussi intéressant de remarquer que la logique d’internet n’accepte pas l’apparition d’un blanc entre le prénom et le nom de chaque homme. La logique d’internet oblige chacun à relier son prénom et son nom à travers un signe de ponctuation. Chaque corps lorsqu’il se connecte au système de l’ubiquité électronique est contraint de n’avoir d’autre adresse que le signal agglutiné de son prénom et de son nom.
« Comme si tous les êtres et les choses n’étaient séparés que par des virgules et qu’il n’existait pas entre eux ces épaisseurs d’indifférence ou de mystère qui les individualisent et les isolent » (Préhistoire). D’accord, même si je préfère plutôt dire qu’entre les hommes et les choses apparaissent des auras de vide qui les particularisent. La logique d’internet interdit l’existence d’un espace d’énigme désinvolte entre le prénom et le nom d’un homme, par lequel il esquive avec aisance l’obligation fastidieuse de l’identité, vide et qui sait chute du vide où il improvise de multiples maisons imaginaires.
J’ai comme prénom Boris et pour nom Wolowiec. Je demeure à l’intérieur d’un Prieuré auprès du village des Alleuds.
A Bientôt Boris
Bonjour Boris (et plus loin mais tout de même pas trop, la schizophrénie guette) Wolowiec,
Le mystère des noms est aussi pour moi une des plus piquantes énigmes : ce sont des mots qui n'existent pas, ou plutôt qui sont dépourvus de sens : comment dès lors désigneraient-ils des êtres conscients, parfaitement découpés dans l'espace et le temps ? Ils nomment des aberrations, des monstres, des hapax, des fantômes, des zombies, des tentatives d'apparition qui toujours échouent, et d'ailleurs le seul endroit où ils ont quelque chance de durer est le marbre dans lequel finalement, n'ayant su en faire véritablement usage ni les ajouter au lexique, on les grave... (on the grave).
bien à toi,
Eric