Bonjour Eric,
Je t’envoie déjà ces Esquisses pour un Bestiaire. Ce sont des extraits d’un livre futur à propos des animaux.
A Bientôt Boris
Cher Boris,
Sans doute, le meilleur moyen de parler de toi serait-il de te plagier, d’emprunter ta méthode, de s’inoculer ton génie, de se prendre pour toi… Outre le bestiaire que tu m’envoies, je viens de lire sur ton site ton Jacques Brel et ton Steffi Graff. Tu n’as pas oublié mon admiration pour ton Léaud, et récemment pour ton Federer (tous ces possessifs ne me semblent pas abusifs). Je crois que ce sont ces textes que je préfère parmi la proliférante et infinie lecture du monde que tu nous offres. Graff et Brel, c’est aussi extraordinaire. Il serait si troublant que ces textes soient lus par ceux-là même que tu attrapes. Steffi serait-elle aussi déconcertée que la g(i)raf()e, ou comprendrait-elle qu’elle n’a jamais été mieux comprise ? Si j’usais de ta méthode pour parler de toi, si je m’inoculais ton génie (ce doit être scientifiquement possible, on va bientôt pouvoir se vacciner contre le pangolin !), j’insisterais sur le paradoxe qui doit frapper tous ceux que tu approches : la coexistence de l’être impénétrable, incompréhensible, inatteignable, quasi autiste, et de cet ami doué d’une parfaite intelligence d’autrui, sa sagacité sans égale, cette compassion au sens fort, cette empathie prodigieuse, cet accès à l’intime, à l’âme, à l’amande de tout ce que tu considères, et comme tu perces à jour n’importe qui, n’importe quoi…
Franchement, tout ce que tu écris devrait être lu davantage.
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A toi,
Eric
(tu joues, tu as joué au tennis ?)
Bonjour Eric,
Merci pour cette réponse émouvante.
Ainsi c’est finalement le portraitiste que tu préfères. (Oui en effet ce sont des portraits.) Eh bien pourquoi pas. Je suis malgré tout un peu surpris de ton enthousiasme pour ces textes à propos de Brel et de Graf, parce que même si ces deux textes sentimentalement me plaisent, la composition du texte à propos de Brel manque un peu de cohérence et le texte à propos de Graf apparait comme une simple esquisse.
Ce que je voulais simplement te dire c’est que le fait d’être ou non publié n’est pas pour moi important. Ce que je trouve beaucoup plus important, c’est une réponse comme la tienne aujourd’hui. En effet, mon rêve n’a jamais été d’être lu par un vaste public. Mon rêve, c’est plutôt d’être lu par une centaine d’hommes et de femmes que j’admire ou que j’aime. Et c’est aussi d’essayer de partager ensuite quelques intuitions avec ces lecteurs et ces lectrices. C’est ce que j’ai essayé d’accomplir avec mes différentes conversations épistolaires. Ce que je cherche et ce pourquoi je me lève chaque matin, c’est ça, uniquement ça.
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J’ai joué au tennis entre 10 ans et 18 ans. Enfant, j’ai commencé par jouer seul face au mur du prieuré (c’était avant la construction du jardin). Je jouais des matchs fictifs entre Borg, Mc Enroe, Ashe, Noah, Vilas, Connors, Gerulaitis Nastase, Panatta, Tanner. Je jouais pendant des après-midis entiers, sous le soleil en été parmi la poussière. La terre rougeâtre du sol entre les quatre murs de la cour intérieure du prieuré devenait alors une excellente approximation des courts de terre battue de Roland Garros. Je jouais ainsi une sorte de tennis cistercien. Je te l’avais déjà indiqué dans une précédente lettre. J’étais un joueur d’une incroyable bêtise. J’étais en effet incapable de composer un point. Je jouais exactement à la manière de Leconte. Ce que je voulais c’était inventer uniquement à chaque instant des coups supersoniques, des coups surnaturels, des coups comme des aphorismes mystiques. Je me souviens encore d’un match avec mon ami Stéphane Moulin (l’actuel entraineur de l’équipe de football du Sco d’Angers, qui par son intelligence stratégique parfois te ressemble). J’avais eu l’impression d’être un joueur de pétanque face à un joueur d’échecs. Alors évidemment la boule de pétanque écrasait parfois l’échiquier mais ce n’était pas exactement du tennis, c’était plutôt de l’art brut à la façon de Dubuffet. Plus tard, j’ai joué aussi sur l’herbe en Angleterre, à l’intérieur d’un parc. Quelle joie, quelle joie inoubliable de jouer au tennis en compagnie des arbres, de jouer au tennis avec des arbres comme spectateurs attentifs. En Angleterre, il y a en effet de la féerie partout. En Angleterre, la vie quotidienne apparait à chaque instant féerique. L’œuvre de Chesterton montre magnifiquement cela.
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A Bientôt Boris