FT à BW et I. Ch’Vavar (premières notes)
Bonjour Boris
je vous envoie à tous les deux, les premières notes à la lecture de À Oui. Ivar connait un peu ma façon de procéder, vous Boris, sans doute pas….
Florence
[extraits du Flotoir]
2 septembre 2013
Boris Wolowiec
Une recommandation d'Ivar Ch´Vavar. Grâce à l'insistance de ce dernier, Boris W. m'envoie son livre ou plutôt son manuscrit présenté sous forme de livre mais non publié : à oui
Extraits du début :
« Le monde survient comme le miracle incroyable d'une terreur à l'abandon. Le monde survient comme une catastrophe de grâce. Le monde survient par le scandale de grâce du ça tombe à oui. »
→ Le texte semble construit à partir d'une série de courts chapitres, à partir de mots comme monde, comme gravitation, comme inhumain sensation et autour de chacun de ces mots il y a comme une approche par cercles successifs sur un mode lancinant.
« Dans l'univers du langage, chaque objet est enveloppé à travers une scintillation de sens qui anéantit sa présence. L'univers du langage spectralise les choses en tant qu'objets esclaves de la pensée. » (7)
→ Dans ces premières pages du livre, forte évocation intérieure de Mathieu Brosseau avec étonnantes analogies, et pensées aussi autour des grands scientifiques, notamment Einstein.
On se dit que le texte pourrait bien décrire des expériences peu communes, car trop loin de la perception humaine, mais correspondant à des réalités scientifiques, souvent paradoxales, telles que décrites précisément par Einstein.
« Les choses sculptent l'espace comme aura d'explosion de l'exactitude. »
« La sensation rencontre la chose comme un tas de formes. »
« Chaque chose provoque une prolifération illimitée de formes » (8 et 9)
Wolowiec, Rêver, penser
L'entité oui est pour l'instant très mystérieuse.
→J'aime rêver penser à partir de fragments de textes ou d'images qui ne sont pas ou plus sous mes yeux. La reconstruction intérieure de l'instant tanné, passé.
3 septembre
Boris Wolowiec
[J’entreprends donc, un peu comme une aventure, la lecture de À Oui de Boris Wolowiec. J’ai eu quelques échanges avec lui, qui me confirme que pour l’instant ces notes doivent rester confidentielles, être partagées seulement avec lui et Ivar Ch’Vavar….]
« Chaque instant possède une volonté particulière cependant séduite par l'apparition des autres instants, c'est pourquoi chaque instant explose à force de subtilité. » (14)
« L'espace apparaît par la rencontre face à face de la terre et du ciel. L'espace apparaît par le coma de connivence tactile de la terre et du ciel. ». (17)
→ Cela, il me semble que les photographes le savent.
4 septembre
Chapitre intitulé oubli (Boris Wolowiec)
« Immense clandestinité de l'oubli. Oubli clandestine le temps en dehors de l'histoire. Un événement oublié ne devient jamais une histoire, un événement oublié devient une forme intime. Une chose oubliée devient un mythe. Oubli donne la forme de l'intimité comme la forme du mythe. L'intimité du mythe survient comme don immense de l'oubli. » (18)
→ Est-ce que parfois le battement de la langue entraîne celui de la pensée : « Le tabou de l'oubli adonne la toupie d'utopie du temps. » Alternance de phrases ou d'ensemble de phrases de 4 ou 5 lignes, souvent ressassantes, commençant toutes ou presque par le même terme repris un peu comme on passe une navette de tissage. Avec de très courtes phrases lancées comme des pics ou des flèches, selon le régime de l'aphorisme mais ce ne sont pas des aphorismes (sans doute parce qu’il n’y a là que du singulier et pas du général ? Doute sur cette idée…)
Bien sûr on pense à Tarkos, à Jean-Luc Parant aussi. La question ici n'est pas celle d'un éventuel mimétisme (dans quel sens se produirait-il d'ailleurs ?), mais plutôt d'une nécessité impérieuse sous-jacente à ces différentes écritures.
« La mémoire ressemble à l'aveugle qui retrouve par miracle la vue et qui malgré tout contemple à jamais le vol de l'oiseau avec ses tympans. » (18)
Mémoire, oubli (Wolowiec)
« le hasard de la mémoire dissèque le désert de l'amnésie. » (19)
→ Nous ne cessons de lutter pour “retenir” alors que sans doute l'hygiène mentale imposerait de laisser l'oubli faire son boulot. Un des nœuds, peut-être, en chacun de la création. Le précipité des fragments, des sensations, perceptions, pensées, assimilations en tous genres et de toutes sortes qui finissent, mélange de traces altérées et de spectres défigurés, par constituer une forme de for intérieur voire d'identité.
« la chose de l'oubli a la forme d'une masse intime sans identité. »
De ces notes
Et il va advenir cette chose étrange, si j'y parviens, que certaines de mes notes du flotoir auront un référent fantôme (en ce sens qu’elles auront été induites par un texte, un livre, un auteur que je ne peux nommer publiquement). Puisque si Boris Wolowiec a accepté de dialoguer avec moi sur son livre, il m'a demandé qu'il n'en soit fait aucun état dans le flotoir public
Oubli (Boris Wolowiec)
Les pages sur l'oubli me semblent d'une très grande justesse et profondeur. Elles font résonner les mondes et les lectures. Ce qui me semble très intéressant et prenant, c'est qu'elles mobilisent ainsi des ressources ou réveillent des présences intérieures mais sans forcément que cela impose, comme trop souvent, une sorte de vain et ridicule name dropping. Ces pages donne forme passagère, éphémère à « la masse intime sans identité », dans laquelle semble soudain surgir quelques lignes, très fugitives, qui aussitôt disparaissent, comme les fresques dans ce film de Fellini ( ?), que le contact avec l’air efface immédiatement de la paroi.
5 septembre
Retour à l'oubli chez Boris Wolowiec.
Réfléchir à la notion de chute. Qui en fait ne semble pas recouvrir une catastrophe, mais plutôt une descente dans, une incarnation. Quelque chose de positif.
Je note la récurrence d'un vocabulaire, les mêmes mots indéfiniment repris, comme sang, chute, crampe, espace, temps, oubli, solitude, paradis, etc...
Il y a souvent un effet de brassage de données ou d'entités déjà convoquées précédemment.
Comme si en tête de chaque chapitre, sous un nouveau mot, on reprenait les mêmes éléments, pour les assembler différemment.
« À l'intérieur de la nuit la chair touche la nudité immense de l'espace. » (23)
Il y a aussi des bi-mots récurrents comme respiration du sang. Ou comme crampe de l'extase. Beaucoup d'emboîtements de génitifs aussi, en cascade.
Il y a un côté éminemment, peut-être même constitutivement, paradoxal dans les assertions de Boris Wolowiec. Les verbes sont tous à l'indicatif présent et chaque phrase, vers, verset sonne comme une affirmation. À moins que ce soit un constat. Que cette affirmation résulte donc non pas de la croyance ou de la théorie mais soit le fruit de l'expérience ou d'une expérience. De quelle nature, cette expérience ? Une forme de mystique dont un beau texte de la compositrice Edith Canat de Chizy lu aujourd'hui disait qu'elle n'avait pas à voir avec la religion. Une expérience mescalinienne ?, terme générique pour désigner, en référence à Michaux, tout ce qui sort la conscience de son lit. Se rappeler ici de certains éléments des textes de Ch´Vavar dans Mont Ruflet ou Le Caret. Mais ici il y a une forme de dématérialisation : rien de concret apparemment en tous cas dans ce début.
→ Réfléchir à ces curieux assemblages comme cendres d'excitation ou crampe d'extase. Et à la fonction des cascades de complément de nom, de ce qui en effet complète le nom chef de file d'une petite cohorte.
Que me fait le texte ? Il m'intéresse mais il me démunit. Il y a aussi des néologismes comme scandeur ou le verbe clandestiner (transitif) Les verbes sont quasi tous des verbes d'action : jette, écartèle, calligraphie, catapulte, déshabille, sculpte, etc. pour la page 29.
Boris Wolowiec « comme Jackson Pollock peint »
Je transcris ici une lettre reçue hier soir de BW, qui m’éclaire beaucoup et qui peut m’aider dans la confrontation à cette lecture fascinante mais difficile. Comme il m’avait proposé de lire le chapitre Electricité pour mieux comprendre son refus de toute mise en ligne, je lui avais posé la question de savoir s’il fallait lire le livre dans l’ordre ou pas nécessairement.
Réponse :
« Lisez A Oui selon l’ordre ou le désordre qui vous plaira. La langue française a une formule magnifique pour dire cela. Comme cela vous chante.
Évidemment A Oui a une composition précise. La composition de A Oui essaie de s’abstraire à la fois de l’ordre et du désordre. C’est pourquoi cette composition apparait comme celle d’une suite. (Voir à ce propos le chapitre Par Suite). Il y a donc une composition thématique, celle des chapitres et aussi une composition rythmique, la composition rythmique de la suite des phrases à l’intérieur de chaque chapitre.
Ce que je tente globalement ce serait d’inventer une forme de rythme aveugle, l’avalanche d’un rythme aveugle. Quelque chose de proche de la peinture de Jackson Pollock. Je dis toujours que j’aimerais écrire comme Jackson Pollock peint. C’est-à-dire écrire un livre qui ressemble à ce que Ivar a très bien appelé « une muraille cyclopéenne ». Il est inutile d’essayer d’interpréter A Oui. Essayez plutôt d’y répondre, même de manière fragmentaire. N’essayez pas d’y déchiffrer un sens, jouez plutôt à répondre à sa forme. Voilà, j’ai le sentiment que la manière la plus efficace de lire A Oui ce serait de lire comme un enfant qui joue à jeter un ballon, le ballon de son âme, à la fois face et contre la muraille cyclopéenne d’un tableau de Jackson Pollock. »
Bonjour Florence,
La tonalité globale de votre lecture est agréable et apaisante. C’est une manière très bachelardienne de lire. Cela ressemble aussi à ce que Blanchot appelait si je me souviens bien « l’acquiescement léger de la lecture ».
Ce que vous dites sur l’aspect presque astrophysique des premières pages de A Oui est exact. Cependant la référence que vous faites à Einstein me semble elle inexacte. A Oui est en effet un livre beaucoup plus proche de Newton que d’Einstein. J’essaie de retrouver le sentiment du cosmos de Newton et de le transformer. Selon Einstein en effet, la vitesse de la lumière serait une sorte de constante qui transcende le monde, et la gravitation le temps et l’espace seraient alors relatives à cette constante transcendante. Je n’ai pas ce sentiment. Je n’imagine pas le monde ainsi. Vous l’avez bien vu, la gravitation apparait dans A Oui comme une force affirmative et même comme une force d’affirmation absolue. (C’est pourquoi les phrases du livre elles aussi tombent, les phrases du livre tombent exactement comme le monde tombe). J’ai ainsi le sentiment qu‘il y a une gravitation absolue du monde. Cette gravitation absolue du monde serait la gravitation de la nuit, la gravitation du silence, la gravitation de la couleur. (Couleur est le dernier chapitre du livre). Le Oui apparait ainsi comme la destination où la nuit, le silence et la couleur coïncident. Cette gravitation absolue du monde n’est pas transcendante, cette gravitation apparait paradoxalement absolue et immanente. La gravitation affirme précisément l’absolu de l’immanence, le surgissement absolu de l’immanence. Et à l’intérieur de cette gravitation absolue du monde, c’est alors la lumière qui devient relative.
Cette manière d’imaginer le monde n’est évidemment pas scientifique, elle apparait intégralement mystique. Selon l’affirmation mystique de A Oui, la nuit apparait toujours antérieure à la lumière comme le silence apparait toujours antérieur au langage. A Oui affirme ainsi simplement le silence du monde, la démesure de silence du monde.
Je suis aussi un peu réticent lorsque vous parlez d’expérience mescalinienne. Cette imagination du monde n’est pas une hallucination, elle ne résulte pas de l’absorption de substances hallucinogènes. Ce qui drogue si vous voulez chaque corps c’est la présence même du monde. De plus, la définition que vous proposez de cette expérience me semble restreinte. Ce que j’essaie avec A Oui ce n’est pas seulement d’extraire la chair de la conscience, c’est d’extraire la chair à la fois de la conscience et de l’inconscient (extraction accomplie par le travail insouciant de l’oubli). C’est pourquoi aussi le mot de dématérialisation que vous proposez me semble inadéquat. Le geste d’écriture de A Oui apparait plutôt comme un geste d’abstraction, un geste d’abstraction paradoxalement matérielle. J’écris afin d’abstraire la présence matérielle du monde.
Encore quelques indications. Je n’ai jamais lu Mathieu Brosseau. J’aime beaucoup l’œuvre de Tarkos. Malgré tout, je n’avais pas encore lu ses livres à l’époque de l’écriture de A Oui. Ma technique de la répétition s’inspire ainsi plutôt de celles de Péguy et de Ponge (surtout Le Pré). A l’inverse, à cette époque, je lisais en effet les livres de J.L Parant. Le chapitre Main par exemple serait une réponse à des passages de ses livres.
A propos des aspects stylistiques du livre : l’utilisation du présent de l’indicatif, la cascade des génitifs et la cohorte de la phrase. Aucun commentaire, c’est bien vu.
Sur l’aspect « constitutivement paradoxal » de mon approche du monde. C’est exact, ce serait mon aspect chestertonien.
A Bientôt Boris Wolowiec
Merci Boris de tout ce que vous me dites et qui m’encourage dans ma lecture. Celle-ci progresse, elle sera lente, je ne peux guère lire plus d’un chapitre à la fois.
Je vous joins ci-dessous la suite de mes notes.
Et puis je voudrais préciser quelque chose concernant l’emploi, sans doute mal approprié du mot mescalinien…. Il m’est venu spontanément, je l’ai gardé (sans doute pour la référence à Michaux) mais bien entendu il ne faut pas l’entendre uniquement comme référence à l’usage de stupéfiants, mais plutôt comme tout ce qui correspond à un « régime » différend de la conscience, que ce soit le rêve, le pré-sommeil ou le pré-réveil, des états divers suscités ou non par des substances, etc. Ce qui échappe au conscient rationnel en quelque sorte.
Bien à vous
Florence