Léaud, Harpo

 

 

 

Hmmm... je me demandais s’il ne serait pas intéressant d’envoyer votre texte sur Léaud, et celui sur Harpo, à Jacques Bonnaffé. Cet acteur est de mes lecteurs, il se consacre maintenant principalement aux poètes, qu’il lit (publiquement) avec une grande intelligence, quelquefois du génie.  

 

Je l’ai vu à l’œuvre. Il ne lit pas les poèmes comme un acteur lit les poèmes. C’est autre chose. Mais il apporte les techniques des comédiens.

 

C’est Godard qui l’a découvert, il lui a donné un des rôles principaux dans Prénom Carmen. Sans doute ne se risquerait-il pas à lire le poème de Léaud sur scène. Encore que... il a des possibilités vraiment étonnantes. Mais il le lirait pour lui avec grand intérêt je crois, et sûrement grand profit.

 

Si ça vous paraît faisable, dites.

 

Que la nuit nous porte conseil et assistance !

 

Ivar

 

(…)

 

 

 

 

 

 

 

Salut à vous Ivar,

 

 

 

 

 

Je connais en effet Jacques Bonnaffé. Je l’ai déjà vu jouer dans les films de Godard et de Rivette. De votre proposition, j’ai dans un premier temps pensé « Bof, à quoi bon ? » Génial, dites-vous, quand même là vous y allez un peu fort. Je le trouve avant tout très technique, un brin besogneux parfois, même si la sorte de bouffonnerie neutre qu’il propose est souvent agréable. Le problème surtout c’est que Bonnaffé n’a pas l’intuition cristalline de Léaud. Vous voyez, mon attitude est assez peu enthousiaste. Cela dit, si vous désirez lui envoyer le texte sur Léaud, pourquoi pas. Cependant n’envoyez pas le texte sur Harpo, cela n’est pas composé, ce sont des bribes encore en chantier.

 

 

 

A propos que pensez-vous de Godard ? D’ailleurs, j’aime bien l’idée de la superposition des deux musiques à la fin de Ma Mort avec Lucien Suel. C’est un truc que Godard utilise magnifiquement dans Histoire(s) du Cinéma. Comme quoi l’âme ne serait jamais une musique, l’âme serait plutôt l’amalgame de plusieurs musiques comme forme paradoxale du silence à l’intérieur d’un seul cœur.

 

 

 

Et aussi à propos de la poésie burlesque, quel sentiment vous inspire l’œuvre de Jules Laforgue ?

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                     A Bientôt          Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cher Boris,

 

je trouve votre message, je réponds de suite à vos questions.

 

De Godard, je ne sais que dire. Je dirais bien : « Il a bien vieilli » – mais dans quel sens ? Ah. – J’avais aimé Pierrot le fou. Je n’ai pas aimé le revoir. J’avais beaucoup aimé Je vous salue Marie. Je crois que j’aime autant ne pas le revoir. En réalité, je n’ai pas vu tellement de ses films. Et j’ai raté Histoire(s) du Cinéma.

 

Quand j’ai revu Pasolini, tout Pasolini (sauf Les Mille et Une Nuits) ç’a été comme si je voyais ces films pour la première fois. En même temps je me suis rendu compte que je m’en souvenais plan par plan, alors que je ne les avais vus chacun qu’une fois, quelques trente ans plus tôt... J’ai été violemment ému.

 

(23h.30, revoilà le hérisson qui gratte à la chatière. Il vient tous les soirs.)

 

J’ai un peu la même impression avec Laforgue (qu’avec Godard). Laforgue a connu un succès (posthume, mais de peu) considérable, il a exercé une influence énorme, ce qu’on a oublié, sur beaucoup de jeunes gens des années 1890-1910, et pas seulement en France. Vingt ans tout de même... On le lit aujourd’hui avec sympathie, sans plus (me semble-t-il). Je ne le relis guère, alors que je reprends Corbière (qu’il n’aimait pas beaucoup) très souvent. Mais je vous accorde que Laforgue, mort à vingt-sept ans, avait comme on dit aujourd’hui le potentiel d’un grand poète, peut-être d’un très grand poète. – Corbière, mort à trente ans, avait tout dit. Je crois bien que Ducasse aussi avait tout dit, et Rimbaud, évidemment. Mais sans doute y a-t-il justement chez Laforgue une retenue, qui fait qu’il me touche peu.

 

Il n’y a évidemment aucun rapport, disons aucune commune mesure, entre Léaud et Bonnaffé. Léaud est génial sans avoir rien à faire. Bonnaffé l’est quelquefois (c’est ce que j’ai écrit), avec beaucoup de travail.

 

Voilà. (Nouvelle tentative du hérisson, si c’est bien le même.) En ce moment je lis le Rabelais de John Cowper Powys ; et puis je lirai celui de Bakhtine, alors que Rabelais ne m’a jamais vraiment intéressé... Mais, je ne sais pas pourquoi, j’ai envie de lui donner une nouvelle chance ! Mais cette fois j’ai choisi d’arriver à lui par des biais.

 

Bien amicalement,

 

Ivar

 

 

 

(PS) Je suis passé à côté de la question de l’âme, alors que peut-être vous répondiez à mon interrogation (à propos de Bachelard). Ce que vous dites est très beau, ça éveille un écho en moi, mais cet écho en est encore à se répercuter dans le labyrinthe de mon esprit !