Citations d’Horizons.
Salut Ivar,
Je t’envoie des extraits de textes à propos de l’horizon. Tu y trouveras qui sait quelques intuitions intéressantes.
« Quand on nous parlait d’horizon retiré, de Mages qui savaient vous enlever l’horizon et rien que l’horizon, laissant visible tout le reste, je croyais qu’il s’agissait d’une sorte d’expression verbale, de plaisanterie uniquement dans la langue.
Un jour, en ma présence un Mage retira l’horizon tout autour de moi. Que ce fut magnétisme, suggestion ou autre cause, la soudaine soustraction de l’horizon (j’étais près de la mer dont un instant plus tôt je pouvais apprécier l’immense étendue et les sables de la plage) me causa une angoisse tellement grande que je n’aurais plus osé faire un pas.
Je lui accordai aussitôt que j’étais convaincu, et tout et tout. Une sensation intolérable m’avait envahi, qu’à présent même je n’ose évoquer. » H. Michaux, Ailleurs (Au Pays de la Magie)
« On ne peut pas étendre l’horizon originel. Dans la savane, là où se dressa l’homo sapiens, les gens vivaient à l’intérieur du cercle de vision maximal. Aucune vue panoramique ne peut être plus dégagée que dans la brousse africaine - plus tard on retrouve cette situation en haute mer, ou lors des traversées des déserts de sable, quand on regarde l’horizon depuis les hautes dunes.
Quand on parle d’extension de l’horizon ou de Lumières, on pense à l’élimination des restrictions secondaires de l’horizon, telles qu’elles sont devenues chroniques à l’époque post-africaine, dans les habitations cavernicoles, les colonies forestières, les villages agricoles, les monastères, les concentrations urbaines. Et de longues époques n’ont pas connu l’horizon ouvert, certaines cultures et sous-cultures ne le connaissent toujours pas aujourd’hui. » P. Sloterdijk, les Lignes et les Jours
« Dans la circonférence divine, la peau et l’horizon sont identiques. Dans les nuits chaudes de l’être, la vie isolée se sent dissoute au centre de la boule vitale. » P. Sloterdijk, Globes
« L’horizon est un front buté qui s’oppose à la tête vide qu’on pourrait avoir si l’on n’avait pas à naitre dans la série animale qui remet ça sans fin sur cette planète chiante en renouvelant ce que Lautréamont appelle le « Kakatoès humain ». » P. Sollers, L’Infini 133
« L’azur, c’est l’épaisseur optique de l’atmosphère, la grande lentille du globe terrestre, sa brillante rétine.
De l’outremer à l’outre-ciel, l’horizon départage la transparence de l’opacité. De la matière-terre à l’espace-lumière, il n’y a qu’un pas, celui du bond ou de l’envol capable de nous affranchir un instant de la gravité.
Mais l’horizon, la ligne d’horizon, n’est pas uniquement le socle du saut, il est aussi le tout premier littoral, le littoral vertical, celui qui sépare absolument le « vide » du « plein ». Invention inaperçue de l’art de peindre et de distinguer toute « forme » d’un « fond », la ligne de terre, anticipe de loin le rivage maritime, la « côte d’azur », ce littoral horizontal qui nous fait perdre si souvent de vue la perspective zénithale. D’ailleurs toute l’histoire des perspectivistes du quattrocento n’est jamais qu’une lutte, un combat de géomètres acharnés à nous faire oublier le « haut » et le « bas », à l’avantage exclusif du « proche » et du « lointain », d’un point de fuite qui les fascine littéralement, alors même que notre vision du monde est proprement déterminée par notre poids, orientée par la gravité terrestre, le classique distinguo entre zénith et nadir.
Le point de repère premier de la vue n’est donc pas, comme le prétendaient nos maitres italiens, celui des fuyantes qui convergent vers l’horizon, mais celui de la fine pesée d’une attraction universelle qui nous impose son orientation vers le centre de la terre au risque de la chute. » P. Virilio, La Pensée Exposée
« Pour des raisons de travail, cet homme a eu récemment des contacts avec des physiciens, des astronomes, des astrophysiciens, des cosmographes. Il a entendu parler de marées galactiques, de magnitude absolue, de vent solaire, de pulsar, de quasar, de rayons cosmiques, de molécules interstellaires et, naturellement, des trous noirs. Objets invisibles qui courbent l’espace et plient le temps, des fragments de matière primordiale enfermés dans un cercle d’énergie duquel rien ne sort, à moins d’atteindre et de dépasser la vitesse inaccessible de la lumière. Or la chose qui l’a le plus étonné est la définition de ce cercle, de cet horizon implacable. On l’appelle l’horizon des événements.
Ce qui le déconcerte, c’est le fait qu’on emploie le même mot pour désigner des phénomènes de portée cosmique, que l’on ne peut pas observer même s’ils obéissent à des systèmes d’hypothèses fondamentales en physique, et pour en designer d’autres, comme la convergence des faits qui a rassemblé ces personnes à cet endroit, les vivants et les morts.
(…)
De même il est déconcerté par le fait qu’on nomme horizon, non seulement les bois, les montagnes et la mer qui entourent le haut plateau, mais aussi cette ligne qui sépare notre monde de l’aire de gravitation du trou noir qui reste ainsi séparé du monde. Et qui pourrait aussi ne pas être noir mais, au contraire, une boule de feu pas plus grande qu’un atome.
(…)
On a dit que l’histoire de l’astronomie est une histoire d’horizons qui s’éloignent. Mais pour la vie humaine l’horizon est resté stable.
(…)
Le ciel est toujours serein à sept, huit mille mètres. Puis l’azur disparait et une teinte turquoise apparait, qui devient de plus en plus intense. Aux environs de deux cents kilomètres le ciel est noir. Etoiles, galaxies, nébuleuses, amas, radiogalaxies distantes de milliards d’années-lumière, gaz et poussière le remplissent presque entièrement. Et cela s’enfuit de nous à une vitesse folle. Et non seulement de nous, la récession étant isotrope. Si cette récession continue indéfiniment, cela voudra dire que l’univers est ouvert, infini. Si un jour, elle cesse et change de direction, qu’il est fermé, fini. Bref, que l’univers lui-même a son horizon des événements. Avec cela de particulier qu’il est l’horizon extrême, l’horizon de tous les horizons au-delà duquel il n’y a pas d’autres événements, il n’y a plus rien. Mais on a aussi dit « Si l’homme devait arriver au-delà de ce qu’il appréhende, à quoi bon le ciel ? » M. Antonioni, Ce Bowling sur le Tibre.
A Bientôt Boris
Salut Ivar,
Un film de Jim Jarmusch intitulé Paterson, sortira bientôt sur les écrans. (Sortir sur les écrans, étrange expression). C’est un film à propos d’un poète, conducteur de bus dans une petite ville des Etats-Unis, Paterson précisément, la ville ou vivait le poète William Carlos Williams (dont le livre le plus célèbre s’intitule aussi Paterson). Jarmusch a déjà imaginé deux beaux films qui évoquaient la poésie, Dead Man et Ghost Dog. J’aurais bien aimé parler de ce film avec toi et Laurent.
A Bientôt Boris
Cher Boris,
merci de me signaler ce film. Je vais voir s’il est programmé ici, où on est passé de six salles “cinéma d’auteur” à deux au long des années. Encore faut-il aller dans celles-ci avec des boules Quiès, tellement le son est fort. J’ai protesté déjà, mais comme il semble que je sois le seul... Du coup nous n’allons quasiment plus jamais au cinéma, Dominique et moi, nous avons fait une exception il y a une dizaine de jours pour “Moi, Daniel Blake” de Ken Loach, impeccable (et bouleversant). Sinon, je suis tombé par hasard sur “Parle avec elle” d’Almodovar sur une chaîne de télé, en cherchant désespérément quelque chose à regarder. Une chaîne que je ne connaissais pas, “Chierie” quelque chose, quatre passages publicitaires de six minutes pendant le film ! Je connaissais déjà “Parle avec elle”, que j’ai davantage apprécié encore qu’au moment de sa sortie.
Bien à toi,
Ivar