Salut Ivar,

 

 

« Simplement, dans l’inaptitude de gens à percevoir leur néant sinon comme la faim, misère profane… » « La littérature, d’accord avec la faim, consiste à supprimer le Monsieur qui reste en l’écrivant, (…) quotidiennement.… » S. Mallarmé, Divagations

 

Le problème de la faim serait ainsi ce qui relie Mallarmé et Artaud. Reste malgré tout à savoir  à quoi ressemblent précisément ces deux faims. La faim d’Artaud ressemble à celle de l’anorexique, d’un anorexique analphabète. La faim d’Artaud c’est celle de l’œuf, de l’œuf du feu. La faim de Mallarmé serait plutôt une faim de fenêtre. Et je dirais aussi, pour Artaud une faim infinie et pour Mallarmé une faim défunte, une faim défunte de cendres. « Ils mangent de la cendre avec le même amour. » Cette faim de Mallarmé c’est malgré tout aussi celle d’un sourire, le sourire du papier. « Vous détachez une blancheur de papier, comme luit votre sourire, écrivez, voilà. » 

 

 

 

 

                                                                                                         A Bientôt                    Boris

 

  

 

 

 

 

 

 

Artaud est un anorexique qui sait qu'il a faim, qu'il est mangé par sa faim. Il la mangerait ! mais elle le dégoûte, ce n'est pas la faim qu'il lui faut, il ne mangera pas de cette faim-là, c'est déjà trop qu'il doive la laisser manger pour lui (il faut bien). Non, il voudrait régner sur une autre faim, choisie, pour laquelle il aurait des prévenances, de grandes politesses, et qu'il reconnaitrait pour sa souveraine, mais sans le dire, ou en ne le disant qu'avec d'extrêmes précautions, du bout des dents... Cette faim, il serait entendu qu'elle serait toute à lui, mais pas même implicite qu'il serait tout à elle ; cependant, à de longues distances, quelque chose, une parole, un silence, rappellerait sur le mode subliminal que la réalité du lien entre sa faim et Antonin est sue, connue d'eux , et de tout un chacun. 

  La faim de Mallarmé est une faim de chair, pure faim érotique, une faim de bourgeois, petit bourgeois, professeur ! elle s'est mélangée d'esthétisme, de délicatesse, de délais et de friandises -- de politesses. Le regard que lui a rendu le miroir du néant a donné à Stéphane le recul nécessaire pour exacerber toujours sa faim, et de plus en plus savamment, en la contrôlant, par l'art du retard, mais par la poigne aussi, ne l'oublions pas : la poigne.

   En ce qui concerne les Echafaudages, on dirait, mon cher Boris, que personne encore ne les a eus. Il ne faut pas être si impatient ! Mon livre Ch'miloé din ch'tiloé est "sorti des presses" en février, et toujours pas vraiment paru.

   (…)

   Amicalement,

 

Ivar