Salut Ivar,

 

 

« Selon E. S Carpenter, lorsqu’on demanda à des sculpteurs indigènes de mettre en caisse  leurs superbes œuvres en bois, pour les protéger durant leur trajet à destination des musées, ils furent bien déconcertés. L’idée d’enfermer les espaces complexes de leurs sculptures dans le simple cube de la caisse leur paraissait tout à fait nouvelle. Mettre un espace dans un autre leur semblait incohérent comme s’il s’agissait d’une parodie de leurs travaux. L’espace contenu est une chose difficile à imaginer pour les mentalités non littéraires, accoutumées à la perception d’espaces sensuels très complexes. » M. Mc Luhan, Du Cliché à l’Archétype

Cela serait à rapprocher de la vision du carton selon Tarkos, je ne sais précisément comment. Il me semble cependant que cette vision de la boite (du carton) comme espace parodique et même parodie d’espace pourrait te parler.

 

« Le devenir-lucide et le devenir-parlant de la physis sont bien plus anciens que la descente du logos dans les corps - plus anciens et en même temps plus puissants dans l’histoire. (…) Le fait de parler est lui-même toujours plus ancien que le logos de la civilisation évoluée ; depuis toujours les corps ont parlé de leurs humeurs, de leur goût et de leurs émotions avant qu’un mot d’ordre pût leur prescrire ce qu’ils avaient à dire ou à incarner. (…) Le logos est tout simplement parasite d’une verbalité plus ancienne. » P. Sloterdijk, Le Penseur sur Scène, Le Matérialisme de Nietzsche

Et la poésie serait évidemment ce qui parvient à affirmer cette pulsion de la parole antérieure au langage même.

 

« Or, il est une loi inscrite dans le plus obscur des Livres de la vie, et la voici : « Vous regardez une chose neuf cent quatre-vingt-dix-neuf fois sans que rien vienne vous troubler, mais si vous la regardez pour la millième fois, vous courez l’épouvantable risque de la voir  pour la première fois. (…) Lorsque la monotonie, telle une corde, est tendue à l’extrême, elle se brise avec un bruit qui est un chant. » G.K Chesterton, Le Napoléon de Notting Hill

 

 

 

(…)

 

 

 

 

 

                                                                                                                  A Bientôt          Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cartoon

 

 

Cher Boris,

                     le carton sait et se dit, au moyen de cette “verbalité plus ancienne” (que le logos) qu’il est voué à perdre tout volume, à être jeté là comme déchet et à disparaître. Mais jamais il ne sera la parodie de soi-même. Il n’y a pas de parodie dans son “se dire”, ce n’est pas la part-au-dit du carton. Le carton n’a pas part au dire en ce sens, peut-être parce qu’il ne peut jamais comprendre son espace intérieur, ou plutôt l’espace intérieur qu’il EST, mais qu’il ne peut être. Pour le carton l’espace intérieur qu’il est est pur scandale : quelque chose qu’il ne peut pas être. Si ce vide intérieur est rempli par quelque chose, mettons quelque chose de lourd, le carton en est outragé et violé. Contenir du vide est déjà trop, contenir QUELQUE CHOSE, c’est une souffrance intolérable. Le carton ne connaît pas la fraternité des choses, il ne peut “abriter” ce dont il est plein. Il en est gros de cette grossesse scandaleuse, qu’il ne peut souffrir, mais que c’est son destin de souffrir. Le carton ne sort de cette souffrance qu’en redevenant une surface. Pitié pour le carton ! ne le garde pas en forme, dans sa forme de paquet, quand tu l’as vidé, mais ouvre-le jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’une surface. Le carton ne se supporte que comme platitude. C’est pour ça qu’il ne peut jamais être parodie. Rendu à la platitude, le carton veut bien être lacéré, souillé, poussé par le vent du ras du sol au fond des ruelles, et disparaître. C’est là la belle mort du carton.

 

    Il y a de belles choses (?) dans “La Naissance de la tragédie” de Nietzsche, son premier livre et sans doute le seul que je puisse lire...

    A propos d’Archiloque, le premier poète lyrique, Nietzsche exclut que la poésie lyrique puisse être une poésie “subjective”, comme on l’a souvent opposée à la poésie “objective” d’Homère. Il dit ceci : “Le moi du poète lyrique élève la voix du fond de l’abîme de l’être”. Où il faut comprendre aussi, surtout, je crois : “fait lever la voix”.

    Une page plus loin : “les images du poète lyrique (...) ne sont autres que lui-même ; c’est dans la mesure où il est le moteur central de ce monde qu’il peut dire JE, mais ce JE n’est pas le même que celui de l’homme éveillé, de l’homme réel et empirique ; c’est le seul JE vraiment existant et éternel, celui qui repose sur le fondement même des choses, celui dont le génie lyrique perce les images diverses pour plonger son regard dans le tréfonds des choses.”

    Tout ce chapitre 3 de “La Naissance de la tragédie” est à lire. Nietzsche retourne complètement la question objectivité/subjectivité.

    Fraternel salut,

Ivar