Remarques à propos de Hugo, Baudelaire et Péguy

 

 

Salut Ivar,

 

 

Ce qui est extrêmement étrange avec Hugo, c’est qu’alors qu’il semblait régner sur la littérature française du 19 eme siècle, son influence au 20 eme siècle a été presque nulle. C’est comme si Baudelaire en un seul livre Les Fleurs du Mal était parvenu à mettre échec et mat la globalité de l’œuvre de Hugo. En effet, la révolution poétique de la fin du 19eme, celle de  Rimbaud, Lautréamont et Mallarmé répond uniquement à Baudelaire en oubliant intégralement Hugo.

 

Il y aurait ainsi une ligne baudelairienne de la poésie moderne, une ligne baudelairienne qui serait une manière de détruire à jamais Hugo. Et qui sait même si l’aboli bibelot d’inanité sonore de Mallarmé, le bibelot-bombe de Mallarmé n’est pas d’abord l’objet choisi par Mallarmé pour anéantir Hugo.

 

La mise à mort de Hugo par la modernité semble avoir été un événement définitif. Et pourtant. Et pourtant il y a encore Péguy. Péguy c’est le seul hugolien du 20 eme siècle ou presque. Péguy c’est le seul qui au 20 eme s’en va en guerre pour Hugo. Péguy c’est le Marlborough de Hugo, c’est le Marlborough qui s’en va en guerre pour Hugo. (Lire à ce propos la superbe étude stylistique de cette chanson populaire à l’intérieur de Clio.) Et quand Péguy meurt au début de la guerre 14-18, c’est aussi pour défendre la mémoire de Hugo, c’est pour défendre une France hugolienne. Péguy apparait ainsi comme l’anti-Baudelaire.

 

 

Le paradoxe bizarre de Baudelaire c’est d’être à la fois un poète de l’extrême intériorité, de l’extrême intériorité de la pensée, celui du spleen, du gouffre, du précipice de la tristesse et d’être aussi un poète du dehors, de la flânerie au dehors, de la flânerie parmi la ville, de la flânerie parmi la banalité innombrable de la ville. Benjamin a résolu cette contradiction en indiquant superbement que pour Baudelaire la ville était précisément la forme de l’intériorité. « La métamorphose, pour le flâneur, de la ville en intérieur » note aussi Adorno. En cela Baudelaire est le premier poète capitaliste à savoir celui pour qui la pensée et la circulation urbaine des marchandises sont des espaces rigoureusement identiques.

 

Péguy parce qu’il reste malgré tout un allié de Hugo au 20 eme siècle modifie magnifiquement le problème du temps. Ce que Péguy détruit tranquillement, sagement, avec une violence sage, avec une violence tranquille c’est l’idée de modernité, c’est l’idée même de modernité baudelairienne. Ce que Péguy dit et surtout ce que Péguy répète, c’est qu’il n’y a pas de poésie moderne. Ce que Péguy répète à chaque phrase et même à chaque mot c’est que l’idée de modernité n’est qu’une superstition, une superstition stupide. Ce que Péguy répète c’est qu’au 20 eme siècle le Moyen-Age se trouve toujours là. Ce que Péguy répète c’est qu’au 20 eme siècle le Moyen Age a plus de force que la Renaissance, que les Lumières et que la Modernité. 

 

 

 

Ce qui est curieux chez toi, c’est que tu parviens à suivre à la fois la ligne Hugo et la ligne Baudelaire ou la ligne Baudelaire et la ligne Péguy. Il y a en toi un aspect Baudelaire, c’est du Baudelaire schématique, du Baudelaire brutal, mais c’est quand même du Baudelaire. Par exemple le paysage urbain comme forme de l’âme - surtout dans le Marasme Chaussé : « le ciel qui est là, les poèmes, etc. sous le ciel et dans le pays ») - ou bien encore la figure de la passante qui devient alors ce que tu appelles la grande fille. Pour Péguy, si tu le prolonges ce n’est pas de manière rhétorique ou stylistique, c’est plutôt parce que tu partages avec Péguy la même métaphysique chrétienne. Quant à Hugo enfin, je ne connais pas assez son œuvre pour te dire de manière précise comment tu lui réponds. Voilà, je serais quand même curieux de savoir comment tu considères l’œuvre globale de Hugo. Y’aurait-il malgré tout des restes de Hugo à l’intérieur de Rimbaud, de Lautréamont et de Mallarmé ? 

 

 

 

 

                                                                                                       A Bientôt                      Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

Amiens, 7 février 2022.

 

Cher Boris,

 

Hugo, c’est le 19e siècle. Du moins le 19e siècle français. C’est pour cela que « son influence au 20e a été presque nulle », écris-tu, ou du moins paraît presque nulle. C’est plutôt une question de volume : on ne sort pas d’un siècle qu’on occupe presque complètement sans subir un certain dégonflement.

Pourquoi Baudelaire l’emporte-t-il sur lui dès le dernier tiers de ce 19e siècle, ou paraît-il l’emporter ? Parce qu’avec lui revient le Mal, version pessimiste, la Bêtise, version pessimiste, et avec eux le ver aristocratique, sous couleur de dandysme (car l’aristocratie est un ver, l’idée aristocratique est un ver).

De plus, Hugo a tellement soufflé dans les voiles que toute la fin de siècle a mal aux bronches et ne supporte plus que les atmosphères confinées (Rimbaud excepté, et quelques autres, en attendant Claudel).

Mais on peut avoir le sternum déprimé et rester hugolien. Je ne suis pas d’accord avec ta phrase : « En effet, la révolution poétique de la fin du 19e, celle de Rimbaud, Lautréamont et Mallarmé répond uniquement à Baudelaire en oubliant intégralement Hugo ». Lautréamont rejette peut-être Hugo, mais c’est pour renouer avec le romantisme noir, Sue, ou Pétrus Borel. Il en reste proche même quand il le dénonce, dans les Poésies. Et Hugo aussi a été un romantique noir (Han d’Islande, etc.). Mallarmé, à rebours de ses déclarations de jeunesse et de ses afféteries diverses, a une vision de la Littérature qui est beaucoup plus hugolienne (et wagnérienne) que baudelairienne. Quant à Rimbaud, en dépit de son côté mauvaise tête et enfant vicieux, je crois que son enracinement hugolien, même s’il devient de plus en plus étrange, tiendra jusqu’à la fin.

« La mise à mort de Hugo par la modernité semble avoir été un événement définitif. » C’est que le 20e siècle a été presque entièrement occupé à évacuer le 19e. À discréditer l’utopie. À régler leur compte aux bien intentionnés et aux naïfs.

Mais il y eu a des résistances : Péguy, oui, c’est très juste ce que tu écris de Péguy. Mais je dirais Breton aussi. Breton tient à Baudelaire par le fil de la « modernité » ; mais il est profondément hugolien.

Je me suis découvert baudelairien il y a peu d’années, au point d’envoyer une sélection des Fleurs du Mal aux camarades. J’ai trouvé chez Baudelaire la ligne, la fibre de la fraternité, que je n’avais jamais sentie. Surtout dans ses poèmes sur les femmes. Et d’autre part son baroquisme, ici et là, son goût de la provocation et de l’excès. Par contre je ne le sens pas plus que ça poète de la ville et de la modernité — n’est-il pas dépassé par François Coppée sur ce terrain-là ?!

Bien sûr je suis beaucoup plus proche de Hugo, que je lisais en transe à treize et quatorze ans (Les Contemplations, Les Misérables). Je m’étais alors promis de tout lire. J’aurais dû le faire. C’est un de mes grands regrets de ne pas l’avoir fait.

 

 

 

 

 

 

Salut Ivar,

 

 

Baudelaire

 

André Suarès a écrit un portait de Baudelaire superbe à l’intérieur de son livre Idées et Visions. En voici quelques extraits.

 

« C’est une majesté déchue, et ce front puissant était fait pour une couronne de ténèbres. Sa vaste bouche large, cette grande lèvre si lourde, et si pesamment ourlée qu’elle pend, (…) sa lèvre s’abaisse comme la margelle d’un puits qui déborde. » « Le désespoir. La fatalité. Une sublime et sombre bouderie. On ne sait quoi de farouche et de sacré. Un étonnement tout nourri de mépris. La tête, d’une forme admirable, est une nef dans la lumière. Mais la vague est dans le vaisseau. Au-dedans l’âme vacille ; et une hésitation secrète, derrière la figure immobile, fait cette proue hagarde. Une immense intelligence siège sur le vaste front. Une intelligence poétique, celle qui ramène tout à un ordre ; celle qui ne laisse rien perdre de l’univers considéré, et qui impose une forme unique à toutes les notions ; celle qui ordonne les images selon une loi profonde du sentiment. ( … ) Mais la bouche et les yeux font tout oublier. Ces yeux énormes, si profonds, si noirs. Il est un coin d’enfant maudit, en ces grands yeux, un reste de rire même, avec une désolation sans bornes. Ils portent le jugement le plus implacable sur le monde qu’ils contemplent, qu’ils caressent encore avec désespoir, en même temps qu’avec terreur ils le repoussent. Quelle profondeur navrée ! Quel chagrin ! Quel recul ! Une ombre de folie passe, l’aile de la chauve-souris ténébreuse.

Et pour finir, la bouche. Amertume sans nom, (...) Dégoût sans mesure. Une marée de nausée. Bouche sublime et atroce, funeste à voir. Hé quoi ? Se peut-il, quarante ans plus tôt, que cette bouche ait été enfantine ? On dirait qu’elle n’a plus de dents : non pas les blasphèmes, l’acidité des paroles les a toutes fait tomber, toute l’acre salive que le dégoût a fait sourdre de la langue, et que le silence a avalée. Ce Baudelaire à quarante-cinq ans est un vieillard de quatre-vingts. On ne peut pas être plus usé, plus ravagé, plus triste, avec une morne grandeur. S’il y a du vice, en ce visage, je ne sais, tant il y a de malheur. Vice en tout cas sans bassesse : rançon est payée à la vie, en lourds besants de peine, d’ennui et de remords. »

 

Et j’ai appris aussi récemment ceci à l’intérieur de Ultima Necat de  P. Muray. « Le nom de Baudelaire vient de l’ancien française badelaire qui désigne une épée à deux tranchants. »

 

 

Hugo

 

Ce qui relierait Hugo à Lautréamont, c’est l’image de l’Homme qui Rit, c’est la vision du rire comme blessure, comme blessure monstrueuse. « J’ai voulu rire comme les autres ; mais, cela, étrange imitation, était impossible. J’ai pris un canif dont la lame avait un tranchant acéré, et me suis fendu les chairs aux endroits où se réunissent les lèvres. Un instant je crus mon but atteint. Je regardai dans un miroir cette bouche meurtrie par ma propre volonté ! C’était une erreur ! Le sang qui coulait avec abondance des deux blessures empêchait d’ailleurs de distinguer si c’était là vraiment le rire des autres. Mais, après quelques instants de comparaison, je vis bien que mon rire ne ressemblait pas à celui des humains, c’est-à-dire que je ne riais pas. » J’ai toujours eu le sentiment que le problème du rire, le problème métaphysique du rire était le cœur de l’œuvre de Lautréamont. Lautréamont essaie d’écrire le rire du cœur, le rire animal du cœur, le rire bestial du cœur. La blessure du rire c’est ainsi celle du cœur projeté à l’intérieur du visage. Et cette blessure du rire à l’intérieur du visage c’est aussi pour Lautréamont une manière d’accomplir la condamnation de Dieu. « J’ai reçu la vie comme une blessure, et j’ai défendu au suicide de guérir la cicatrice. Je veux que le créateur en contemple, à chaque heure de son éternité, la crevasse béante. C’est le châtiment que je lui inflige. »

 

Enracinement hugolien de Rimbaud, indiques-tu. Cela voudrait-il dire que Hugo et Rimbaud évoluent à la surface de la même terre, à l’intérieur d’un même territoire, la terre paradoxale de l’exil, le territoire paradoxal de l’exil ?

 

Quant aux aspects hugoliens de Mallarmé et de Breton, pourrais-tu préciser, à quoi penses-tu alors ? Et puisque tu rapproches Hugo et le surréalisme, il me semble à ce propos qu’un autre hugolien du 20 ème siècle c’est Aragon, hugolien ambigu, hugolien malgré lui disons.

 

André Suarès, pourtant le dernier romantique de la littérature française, est souvent impitoyable envers Hugo. Voici par exemple ce qu’il écrit dans ses Portraits et Préférences.

 

« Oui, cela va de soi : c’est le plus puissant rhéteur qu’il y ait eu, le plus illustre manieur de mots, le plus forcené faiseur de périodes, la plus grande … gueule du genre humain. Soit, et après ? - Ce n’est même pas le meilleur poète de France, si dans la poésie on cherche un sentiment profond, une émotion du cœur. » « Se prend-il pour un prophète, parce qu’il fait des prophéties ? Ou débite-t-il des prophéties pour faire le prophète ? L’un et l’autre. C’est ce que je lui vois de plus horrible, et où il faut le plaindre : il est sincère dans l’insincérité. Sa parole est sincère pour lui, et à son insu. Sa bouche est vraie, et l’est seule. Et il finit par croire ce qu’elle dit. » « Il est une forme de la pensée, où la sincérité, n’est pas utile. Ou plutôt, le partage ne peut plus se faire entre ce qui est sincère et ce qui ne l’est pas ; où l’on est faux de bonne foi : c’est l’art oratoire - la rhétorique pour la rhétorique. » « C’est parce qu’il a du génie à vide, que Victor Hugo m’est insupportable. (…) Il n’a pas la moindre expérience de la vie, ayant tant et si longtemps vécu. Il pérore sur tout ce que la vie comporte de passions, mais comme un acteur, par ouï-dire. »

 

Enfin celui qui de nos jours évoque parfois encore Hugo, c’est Pierre Michon. « C’est par lui que je me suis enfant, ouvert à la dimension littéraire. La littérature était avec lui quelque chose de rythmé, de brillant, de touffu et d’incompréhensible, cependant de merveilleusement éblouissant. » Pierre Michon a surtout magnifiquement répondu à Hugo à l’intérieur d’un des textes de Corps du Roi intitulé Le Ciel est un très grand Homme. Voici quelques extraits du texte somptueux de Michon.

 

« La Ballade des Pendus peut être dite pour une mère morte. Booz Endormi peut être dit pour une fille, née vivante et viable, comme l’écrivent les accoucheurs dans leur rapport de routine. Il y a bien peu de textes qui peuvent tenir en ces deux occasions, comme on dit que le tungstène tient dans la température du zéro absolu, le tungstène dont sont habillés les beaux télescopes suspendus entre terre et lune qui regardent le Big Bang. Le tungstène regarde le Big Bang. » « Je voyais les étoiles que porte l’air. Nous aussi nous sommes comme cela en l’air. Le ciel nous porte. Le ciel est un très grand homme. Il est père et roi à notre place, il fait cela bien mieux que nous. »

 

Il est aussi à noter que le titre du texte de Michon est une citation de Baudelaire. « D’ailleurs Swedenborg, qui possédait une âme bien plus grande, nous avait déjà enseigné que le ciel est un très-grand homme. » Ce serait peut-être d’ailleurs avec Swedenborg que la différence entre Hugo et Baudelaire disparaitrait. Swedenborg serait peut-être celui qui parviendrait à accomplir l’alliance et qui sait même l’union d’Hugo et de Baudelaire.

 

J’ai l’intention de commencer à lire Hugo avec méthode les années à venir. Le problème c’est que je n’ai pas encore trouvé la porte d’entrée de son œuvre. Je veux dire celle par laquelle je toucherais instantanément à la fois à la forme et au sentiment de son écriture. Je cherche au hasard. J’ai déjà essayé la Préface à Shakespeare qui pourtant me plait plutôt, Les Choses Vues, ou encore La Fin de Satan que je trouve à la fois bizarre et stupide. Mais ce n’est jamais ça, l’intuition intense de l’œuvre se désagrège à chaque fois. Si tu as l’idée d’une piste, n’hésite pas à me l’indiquer.  

 

 

 

 

 

 

                                                                                                         A Bientôt                    Boris

 

 

 

 

 

 

 

   

 

 

Cher Boris, je ne pourrai pas te répondre vraiment tout de suite. Le problème de l'insincérité est trop subtil pour moi, chez Hugo. Sans doute l'était-il pour lui également.

    Je ne pense pas qu'il cherche à nous tromper, mais, qu'il cherche à ne pas le faire, c'est déjà un signe qu'il sait qu'il peut nous tromper. Il y a quelque chose de dérobé, chez Hugo, bien moins l'escalier / dérobé que le pas qu'on fait en arrière, le placard où le pas nous fait reculer, le paillasson où le pas fait en arrière nous fait nous tenir, à nous frotter inutilement les pieds ("inutilement"?). 

   Hugo est certes encombrant, mais ne le serait-il pas d'abord pour lui-même ? Hugo tient à ce retrait honteux (à sa possibilité en tout cas) comme au seul lieu où il peut échapper, aussi peu que ce soit, au Hugo qui l'occupe et l'obstrue, au point qu'il a l'impression d'être le passager clandestin de lui-même. Hugo voit sa marge de manœuvre dans ce retrait caché, comme aussi dans son fond de niaiserie, qu'il protège à tout moment (et, peut-être, cultive) comme sa seule échappatoire.

   Hugo ne nous dit pas tout, mais ça n'est pas mauvaise volonté de sa part. En réalité il ne nous cache rien, il n'a justement rien à nous cacher. Son trouble, c'est de sentir qu'il n'a à nous cacher que le fait de n'avoir rien d'autre à nous cacher que le fait qu'il ne sait pas ce qu'il nous cache(-rait).

   Hugo doit boucher le trou qu'il est d'être (presque) entièrement bouché par ce Hugo qui l'occupe et qu'il ne reconnaît pas. Depuis le petit angle de retrait qu'il lui reste où reculer, Hugo, cependant, prend le pas. Quand il est en forme, à peu près en forme, il occupe entièrement l'Autre, là. Il en fait sa marionnette, sa créature.

    Tu comprends pourquoi tu as du mal à trouver une entrée...

    Il faut ouvrir une perspective, peut-être. Je te proposerai alors La vision d'où est venu ce livre (poème liminaire de La Légende des siècles). Ou un lieu qui subit une forte distorsion : dans Choses vues, à la date de la mort de Balzac : Hugo rentre d'Allemagne (je crois), il apprend à Paris que Balzac est mourant. Il se précipite chez lui, force pour ainsi dire la porte de sa maison et celle de sa chambre... Voilà une entrée !

    Salut fraternel,

Ivar

 

 

 

 

 

 

 

Il m’a fallu quelques jours pour reprendre ma lettre, mais je voulais pourtant te répondre à propos de Breton et de Mallarmé devant Hugo.

 

 Breton n’ôterait à Hugo que ses « rêves de gloire » et ses premiers engagements politiques. Je crois qu’il lui passait à peu près tout le reste y compris son petit coin de niaiserie. Il admet aussi sa transparence parce qu’il lui trouve, sans doute, une certaine qualité spectrale. Cette transparence est ce qui rend Hugo trouble, transparence d’ectoplasme. Il y a un défaut d’être, chez Hugo, à quoi correspond, et sans doute répond, cette transparence trouble.

Chez Breton, la transparence, remarquable, est coupante, et il y court toujours une fêlure.

 

Breton accomplit le romantisme. En lui rendant son mouvement (le mouvement surréaliste) et en le portant plus loin. Je crois qu’il le fait sans oublier jamais Hugo.

 

Mallarmé n’est pas sorti du romantisme. Mais il n’y était entré qu’à reculons, en baudelairien. Cependant, Baudelaire n’est pas si important que ça pour Mallarmé, c’est seulement affaire de sensibilité. C’est Wagner qui va être vraiment important, et avec lui l’idée de l’art total et de l’implication collective. À ce moment Mallarmé fait une volte-face dans son siècle et entre vraiment dedans. Il le creuse, il creuse le romantisme, il lui donne une figure curieuse, loin de Hugo, sans doute ; mais c’est surtout la sensibilité qui les empêche de se trouver, et qui leur fait prendre des chemins différents.

 

Mallarmé est plus proche de Hugo que de Baudelaire. Mais c’est une proximité qui leur échappe.

 

Je laisse tomber les considérations de Suarès, qui ne m’intéressent pas particulièrement. Pourquoi l’appelles-tu « le dernier romantique », ou est-ce un titre qu’il s’est donné lui-même ? En ce cas il est usurpé.

 

Avec mon salut fraternel,

 

Ivar