Bonjour Laurent,

 

 

 

(…)

 

 

 

Je ne sais si tu as eu le temps de lire l’intégralité de A Oui. Je t’envoie malgré tout quelques extraits en désordre de Tu Sauf.

 

 

 

 

 

                                                                                             

 

                                                                                                       A Bientôt        Boris

 

 

 

 

 

 

 

Cher Boris,

 

je me suis permis d'envoyer A oui à un ami, Ivar Ch'Vavar, et sa réaction, je m'en doutais, est très enthousiaste. Sa réponse m'est destinée et je ne suis pas censé te la communiquer mais je ne résiste pas au plaisir de te faire ce plaisir, vu sa drôlerie.

 

 

 

(…)

 

 

 

Voilà. Je sais que tu n'es pas spécialement pressé de publier, mais moi je le suis pour toi. Tout ce que tu as écrit de tellement fort et neuf ne peut pas rester à dormir, ce n'est pas possible. Je vais commencer par dire à Ch'Vavar de t'écrire. Et puis on verra bien où tout cela nous mènera mais je suis sûr qu'on va te trouver des (il en faudra bien plusieurs) éditeurs.

 

A bientôt Boris.

 

Laurent

 

 

 

 

 

 

 

Objet : monstruosité

 

 

 

                                                          Cher Laurent,

 

la bombe vient d’arriver. On peut prendre n’importe où : “Les choses sculptent l’espace comme aura d’explosion de l’exactitude”... “L’apparition de chaque chose affirme la pulsion d’un tabou”... “La sensation ouvre le monde face à dos”... Ca pète de tous les côtés, pétarade, crépite et mitraille, et tu ne sais pas comment tenir ce truc, ça arrive encore à nous foutre la trouille, c’est vrai, revenus d’à peu près tout qu’on croyait être, et mon premier réflexe est de balancer ce machin-là au loin.

 

Bon, ça ne vient pas de nulle part. On peut penser à Serge Pey, mais on passe de la corneille au ptérodactyle, ça ne fait pas tout-à-fait la même ombre. À Tarkos, encore, mais on ne regarde pas les mêmes choses, Tarkos n’est pas comme ça tout de suite dans le fond d’horizon des apocalypses... Enfin, ce sont peut-être les « mêmes choses », mais l’accommodation est complètement différente... Merde, je pense à Hugo aussi, dis donc (le sens de la démesure, la vision azimutale et tournoyante) ! Enfin, ça ne tombe pas comme ça de nulle part, mais on ne sait pas où ça va (je n’ai encore lu que sept pages !), où c’est en train d’aller (mais ça y va). Je pense que ça peut faire mal. Un gros-gros effet. J’aimerais bien que Briseul publie ça (il va rouler des yeux blancs et mousser des commissures), mais notre Boris peut présenter ça partout, voire même chez Gallimard, on va se l’arracher... Non, j’aimerais bien que ce soit Briseul, mais est-ce qu’éditorialement il peut assumer un coup aussi énorme ?

 

Bon, qu’est-ce qu’on fait ? tu sais à qui on a affaire, à part cette adresse très vieille France en Anjou : quarante-trois ans ou vingt-six, les yeux vairons, degré de prognathisme etc. ? Faut approcher la bête. Elle feule rauque et ça fait moyennement envie. La pétoche, quoi ! mais tu sens bien qu’il faut qu’on y aille. Tu as déjà tourné un peu autour du charnier ? – Il t’a écrit à toi, pas à moi, qu’est-ce que je peux faire, je veux dire : suis-je autorisé à faire quelque chose ? Par exemple en parler déjà à Briseul, à Vercey aussi, qui travaille en ce moment sur des gens comme Jaffeux, repense à Tarkos, a envie de réfléchir (plume en main) aux textes les plus... marginaux ? différents ? merde je ne sais plus comment dire.

 

Dis-moi ce que tu sais, me laisse pas seul avec ce bestiau !

 

Un éboulement de mercis effarés et je t’embrasse,

 

Ivar

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Boris,
grand merci pour l'envoi de Paraboles qui tombe à pic suite à notre conversation téléphonique où il était fébrilement question du symbole, du bol et du métabole. (Du lobe, aussi, palindrome oblige).
Lu le début de Paraboles, donc, et j'aime beaucoup : il y a du Michaux chez toi, ce qui ne m'était pas encore apparu.
Et j'ai repris la lecture d'A oui depuis le début, puisque en vérité je n'avais jusqu'à maintenant que pioché ici et là (et extrait d'abondantes pépites). Mais, comme Ch'Vavar sans le savoir m'y encourage, j'ai décidé d'une lecture plus sérieuse, de bout en bout, et je suis comme Ivar pris de vertige devant tant de force et tant de pensée (il y a beaucoup de pensée, dans ce que tu écris, je crois, comme une énorme masse de pensée accumulée dans chacune des phrases, ça me fait cette impression).
Pendant ce temps, Ch'Vavar continue de grimper aux rideaux (cf ci-dessous).
J'ai par ailleurs envoyé ce samedi matin l'exemplaire d'A oui à Briseul.
A bientôt donc,
et vraiment je suis enchanté, tout heureux de te relire (je suis en vacances, grand beau temps, je lis A oui dans la lumière éclatante).
Amitié,
Laurent

 

 

 

 

 

 

 

Objet : la Beste

 



 

Excuse-moi, je fus à la bourre tout le long du jour.

 

Pour le brontosaure que tu sais, je pense que Briseul est l’éditeur – du point de vue... dirai-je « moral » ? – prédestiné.

 

Maintenant, est-ce que le lecteur ira chercher le livre au Corridor bleu ? Tout dépend, non pas seulement de la critique (elle peut d’ailleurs choisir de se mettre la tête dans le sable), mais du fameux bouche à oreille, ou mouche à l’oreille... Dans un tel cas de figure, je pense que d’aller chez un éditeur inconnu, pour le lecteur, c’est encore plus tentant que chez Gallimurche. Il y a un côté un peu secret, tu vois ce que je veux dire.

 

Je viens d’écrire à Charles pour le préparer au choc.

 

Je termine le chant (?) Homme, pp.77-81, et je saigne quasiment du fion. Encore 350 pages à m’envoyer, rien que d’y penser j’ai la vésicule biliaire qui clignote.

 

Ça ressemble beaucoup plus à ton écriture qu’à n’importe quoi d’autre, en fait. Enfin, il a dû te lire beaucoup, veux-je dire. Mais il y a un enveloppement complètement différent, un emportement...

 

Bon, j’y retourne, les couilles en vrille.

 

Encore un éboulis de mercis pour ce cadeau écrasant !

 

Ivar, poète nain