Bonjour Laurent,
« Quatre assises, quatre éléments sont indispensables au bonheur de l’homme et garantissent le développement plénier de son existence : la matière, le métier, l’amitié, le mystère. L’homophonie de ces quatre termes insinue à merveille le rapport réel qui les unit et que l’on n’en finirait point d’explorer. » François Cassingena
« Dans l’immobilité de leur présence quotidiennement continuée, dans l’absolue disponibilité de leur posé-là, les objets ordinaires, simples et beaux, sont à l’esprit un exercice, un prélude et un commencement de philosophie. Si menus soient-ils, ils lui procurent une assiette aussi solide qu’étendue. Aussi n’est-ce pas seulement un loisir ni un art, mais une médecine véritable que de savoir s’en entourer avec discernement. » François Cassingena
« Il existe des êtres si délicats qu’ils éprouvent parfois, tout à coup, je ne sais quel brisement intérieur, je ne sais quelle compassion pour les choses, oui, pour les pauvres choses mêmes qu’ils ont le sentiment d’avoir blessées. » François Cassingena
« La poésie véritable - celle qui a de l’avenir – n’est pas déclamatoire mais confidentielle. Essentiellement, interstitiellement confidentielle. Le poète se confie, sans doute, mais entre deux portes, entre deux choses, mais seulement dans un froissement de choses, dans cette confidence que font les choses, en somme, et qu’il est le seul à mettre au jour autant qu’à ne pas trahir. » François Cassingena
Quelques exemples de cette poésie confidentielle. « L’humour minuscule des myosotis. » « Déluré comme un coquelicot qui claque au vent » « Cursif l’écureuil transforme l’arbre en partition de musique. »
Le métabole apparait à la fois comme un bol et comme l’inversion d’un bol. Le métabole apparait à la fois comme un ventre et l’inversion d’un ventre, à la fois comme un crâne et comme l’inversion d’un crâne. Le métabole apparait à la fois comme le corps et l’inversion du corps. Le métabole apparait comme un bol baroquement replié sur lui-même et en dehors de lui-même. Le métabole apparait à la fois comme un bol et comme une bobine, comme un bol à la fois embobiné sur lui-même et en dehors de lui-même. Le métabole apparait comme un bol noué sur lui-même et en dehors de lui-même. Le métabole apparait comme un bol-nœud. Le métabole apparait comme un bol de Moebius.
Le métabole donne ainsi à sentir à la fois un corps-cosmos et l’envers d’un corps-cosmos, à la fois le corps du cosmos et la révulsion du corps du cosmos. Par le métabole la clef de voûte du corps, comme la clef de voûte du cosmos s’ouvrent et se ferment à chaque instant, s’ouvrent et se ferment à chaque instant littéralement et dans tous les sens.
Le métabole apparait comme ce qui parvient à ouvrir et à fermer le bol du corps dans d’innombrables sens. Le métabole ouvre et ferme le bol du corps avec la clef du sang, avec la clef de tact du sang. Le métabole donne à sentir le tact du sang, le tact de proximité du sang. Le métabole donne à sentir le tact de lointain du sang, le tact de proximité comme de lointain du sang.
« Tout autour de nous, les objets, les lieux, les villes, les paysages, les visages nous pose cette même question métaphysique « que suis-je pour toi ? » non seulement les êtres vivants mais les êtres inanimés (…) à laquelle nous répondons le plus souvent par une indifférence profonde. Mais les objets savent eux aussi et mieux que nous s’éloigner et se taire. » J. Baudrillard
Chaque chose autour de nous apparait comme elle évoque un problème « Quelle forme ai-je pour toi ? Quelle forme ai-je seulement pour toi et par toi ? » A ce problème posé par chaque chose seul l’artiste a le courage de répondre. A ce problème posé par chaque chose seul celui qui œuvre ose et aime répondre. A la suite de cette réponse chaque chose reste pourtant taciturne. Malgré tout quand cette réponse apparait donnée avec précision, la chose ne s’éloigne pas, la chose s’approche.
« « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire » - mais on peut le taire avec des images. » J. Baudrillard, L’Echange Impossible
« La matière c’est ce qui n’a pas de virtualité. Dans la matière, il n’y a rien de caché. » G. Deleuze
La matière n’a pas de possible. Malgré tout la matière a des virtualités. La matière a parfois aussi des formes cachées. Ainsi les virtualités de la matière apparaissent parfois cachées et parfois évidentes. Les virtualités de la matière apparaissent soient cachées soit flagrantes selon les postures même la matière, selon les postures d’apparition de la matière. La virtualité de la matière c’est sa force de métamorphose. La virtualité de la matière c’est la force à la fois évidente et énigmatique de sa métamorphose.
Benjamin évoque une « proximité qui se regarde avec ses propres yeux ». La métaphore ce serait ainsi à la fois la proximité qui se regarde avec ses propres yeux et la proximité qui se touche avec ses propres mains. Ou plutôt la métaphore invente le geste par lequel à la fois la proximité se regarde avec ses propres yeux et le lointain se touche avec ses propres mains. Ce qui survient ainsi par la métaphore c’est la clarté aveugle de la coïncidence à la fois des yeux et des mains, c’est la clarté aveugle de la coïncidence des yeux et des mains par la proximité du lointain.
« L’illusion du monde, son énigme tient aussi au fait que pour l’imagination poétique, celle des apparences, il apparait d’un seul coup, il est là tout entier d’une seule fois alors que pour la pensée analytique il y a une origine et une histoire. Or tout ce qui apparait d’un seul coup, sans continuité historique, est inintelligible. » J. Baudrillard
« Nous sommes obligés de penser le monde comme un univers « alors que rien n’assure qu’il y ait quoi que ce soit de commun, par exemple, entre la pousse des êtres vivants et les conditions plus ou moins stellaires dans lesquelles ils se trouvent nécessités d’habiter. » J. Lacan » cité par P. Muray
Il n’y a pas de commune mesure entre l’univers et le monde. Il n’y a pas de commune mesure entre l’univers de la vie, l’univers de la vie humaine et le monde inhumain, le monde inhumain des atomes, le monde inhumain à la fois minéral liquide et gazeux. Le problème reste cependant de savoir s’il y a une commune mesure entre la vie humaine et la vie animale, entre la vie humaine et la vie végétale. Cette commune mesure ce serait alors ce que Virilio appelle la grandeur nature. Et c’est précisément parce que la démesure du cosmos n’est pas une grandeur nature que la chair humaine apparait terrifiée à l’intérieur de cette démesure du cosmos. Pourtant la chair humaine apparait aussi terrifiée face à la présence de la nature, face à la présence de la nature terrestre. C’est pourquoi il serait parfois préférable de parler de démesure nature plutôt que de grandeur nature.
« « Il n’y a rien de nouveau sous le soleil » le commentaire hébraïque ajoute : « mais au-dessus du soleil il y a du nouveau » ce nouveau est indiqué par la lune. » P. Muray
« Comparaisons pour ce qui n’est pas comparable : « comme un patineur quand il passe de la glace à la terre » P. Handke
« Je me suis plongé dans la contemplation d’un objet, et au coin des yeux est apparu mon amour, « et » » P. Handke
Une intuition de G. Stein Les conjonctions et les prépositions révèlent à la fois les relations à l’intérieur d’un homme et les relations entre les hommes. Les conjonctions et les prépositions révèlent les formes-caractères entre un homme et le langage, entre le corps d’un homme et l’inhumanité du langage et aussi les formes-caractères entre le corps d’un homme et la nature humaine.
Les choses sont pleines de contradiction. On ne soupçonne pas la mie de dialectique que contient une poignée de neige.
Je distinguerais malgré tout la contradiction et la dialectique. Les choses apparaissent en effet saturées de contradictions. Malgré tout les contradictions qui se trouvent à l’intérieur de ces choses ne sont pas dialectiques. La poignée de neige n’est pas une mie de dialectique. La poignée de neige apparait comme une mie de contradictions, une mie (et une mine) de contradictions subtiles et souples. La poignée de neige apparait comme un sorbet de contradictions. La poignée de neige se résorbe comme une mie de contradictions. Les contradictions qui se trouvent à l’intérieur des choses ne se dépassent pas de façon dialectique. Les contradictions qui se trouvent à l’intérieur des choses plutôt se résorbent, se résorbent par embobinage, ou se résorbent par sublimation. Les contradictions qui se trouvent à l’intérieur des choses se résorbent par emprise, par emprise de sublimation. La matière du monde n’est pas dialectique. La matière du monde apparait plutôt contradictoire, miraculeusement contradictoire. La matière du monde apparait paradoxale, miraculeusement paradoxale.
« L’univers n’est pas dialectique - il est voué aux extrêmes, non à l’équilibre. » J. Baudrillard
Je dirais plutôt. Le monde n’est pas dialectique. Le monde apparait à la fois voué aux extrêmes et à l’équilibre. Le monde apparait voué aux extrêmes de l’équilibre. « Contradictions : moments figés de la pensée. Si nous en ressentons, c’est peut être que nous pensons figés, au lieu de nous abandonner au flux - qui serait la vraie pensée. » R. Munier
Et ce flux de la pensée ce serait celui de l’oubli. « L’oubli va dans le sens du flux qui nous emporte. Il s’accorde à ce flux, rejoint dans ce flux ceux qui furent emportés. Quand nous en éloigne à jamais le raidissement pathétique de la mémoire. » Ainsi le monde apparait voué aux extrêmes de l’oubli, à l’équilibre de l’oubli, aux extrêmes d’équilibre de l’oubli.
« Singulier, qu’en espagnol il n’y ait qu’un seul et même mot pour « réel » et « royal » (real), mais je ne dois pas être le premier à le remarquer. » P. Handke
le mot "réel" semble formé seulement d'un préfixe et d'un suffixe, avec rien au milieu.
Le réel est un préfixe et un suffixe avec le rem au milieu, avec le rien du rem au milieu, avec la réminiscence du rem au milieu, avec la réminiscence de rien de rem au milieu. Ce serait presque une définition du réel à la façon de Derrida. Le réel ce serait le vide qui se trouve au milieu de l’anneau du langage, le vide qui se trouve au milieu de la bague d’alliance du langage, au milieu de l’anneau d’alliance du langage. Le réel ce serait le vide qui se trouve au centre de la bobine du langage, au centre de la bobine emblématique du langage, au centre du ressort du langage, au centre du ressort emblématique du langage.
« Un professeur expliquait en riant qu’il y avait un organe du corps humain appelé « rien ». Ce « rien » était un organe très important, quelque part au milieu du corps. » P. Handke, A ma Fenêtre le Matin
« Certaines métaphores sont plus réelles que les gens qu’on voit marcher dans la rue. » F. Pessoa, Le Livre de l’Intranquillité
A propos d’Emily Dickinson.
« Le mot « abeille » est l’un des plus fréquents de ses poèmes, et elle écrit comme une abeille : vol en hoquet comme hésitant, mais (…) elle sait très bien ce qu’elle fait, puis dépôt de pollen et envol. » « A la fin, elle a la position la plus noble, celle du « Désespoir confiant ». Le désespoir n’est pas triste bien au contraire c’est l’absence de cette torture qu’on appelle l’espoir. « Le futur ne parla jamais » dit-elle avec esprit (le futur au passé simple, n’est-ce pas). Elle n’a pas d’espoirs, Dickinson, elle écrit. Elle avait raison d’être confiante. Elle a gagné dans son futur, lequel est donc son présent. » C. Dantzig, Dictionnaire Egoïste de la Littérature Mondiale
Un extrait d’une lettre à Julien Starck.
Il serait (…) à la fois utile et passionnant de faire un inventaire précis des extraits des poèmes d’Emily Dickinson où surviennent des tintements, des grelots et des cloches. Il y a en effet quelque chose comme un grelottement d’éclair dans la poésie de Dickinson ou encore un tintement d’étincelles. Ce qui carillonne à l’intérieur de sa poésie, c’est l’ébullition espiègle de son cerveau, l’ébullition espiègle d’un cerveau qui s’incruste à fleur d’étau.
Il y a aussi une étrange méticulosité d’Emily Dickinson, c’est une méticulosité en ébullition, la méticulosité en ébullition du sentiment stellaire, c’est-à-dire la méticulosité en ébullition de la sidération.
Les écrivains qui prônent les fastes de sophistication de la phrase, les fastes de complexité de la phrase - je pense par exemple à Proust ou encore à notre époque à Michon - me font penser à des sortes de pêcheurs orgueilleux qui déploieraient de gigantesques filets pour ne parvenir à attraper finalement que quelques sardines dérisoires. Leur façon d’utiliser le langage est en effet d’une subtilité indiscutable, cependant leurs phrases ne révèlent finalement que des sensations minuscules. Je préfère à l’inverse essayer de pécher la baleine à la petite cuillère. Je préfère à l’inverse essayer de pécher d’innombrables baleines, des meutes de baleines, des myriades de baleines à la petite cuillère.
« Avant le commencement, sera le verbe. » C. Péguy
Je dirais plutôt. Avant le verbe sera le recommencement du silence.
A Bientôt Boris
Cher Boris,
comment veux-tu que je réponde à toutes ces citations ! Elles sont tellement belles et puissantes que je reste sans voix.
Bon disons un mot quand même pour certaines d'entre elles. Je réponds entre.
(…)
« Quatre assises, quatre éléments sont indispensables au bonheur de l’homme et garantissent le développement plénier de son existence : la matière, le métier, l’amitié, le mystère. L’homophonie de ces quatre termes insinue à merveille le rapport réel qui les unit et que l’on n’en finirait point d’explorer. » François Cassingena
« Dans l’immobilité de leur présence quotidiennement continuée, dans l’absolue disponibilité de leur posé-là, les objets ordinaires, simples et beaux, sont à l’esprit un exercice, un prélude et un commencement de philosophie. Si menus soient-ils, ils lui procurent une assiette aussi solide qu’étendue. Aussi n’est-ce pas seulement un loisir ni un art, mais une médecine véritable que de savoir s’en entourer avec discernement. » François Cassingena
« Il existe des êtres si délicats qu’ils éprouvent parfois, tout à coup, je ne sais quel brisement intérieur, je ne sais quelle compassion pour les choses, oui, pour les pauvres choses mêmes qu’ils ont le sentiment d’avoir blessées. » François Cassingena
« La poésie véritable - celle qui a de l’avenir – n’est pas déclamatoire mais confidentielle. Essentiellement, interstitiellement confidentielle. Le poète se confie, sans doute, mais entre deux portes, entre deux choses, mais seulement dans un froissement de choses, dans cette confidence que font les choses, en somme, et qu’il est le seul à mettre au jour autant qu’à ne pas trahir. » François Cassingena
Je te soupçonne d'avoir choisi les citations les plus matérialistes de Cassingena et d'avoir tu celles qui ne manqueront pas d'en appeler à une transcendance, Cassingena étant chrétien et moine. Mais c'est vrai qu'elles sont pas mal ces citations. Mais il y a un ton un peu compassé, non ?
Quelques exemples de cette poésie confidentielle. « L’humour minuscule des myosotis. » « Déluré comme un coquelicot qui claque au vent » « Cursif l’écureuil transforme l’arbre en partition de musique. »
Certes.
Le métabole apparait à la fois comme un bol et comme l’inversion d’un bol. Le métabole apparait à la fois comme un ventre et l’inversion d’un ventre, à la fois comme un crâne et comme l’inversion d’un crâne. Le métabole apparait à la fois comme le corps et l’inversion du corps. Le métabole apparait comme un bol baroquement replié sur lui-même et en dehors de lui-même. Le métabole apparait à la fois comme un bol et comme une bobine, comme un bol à la fois embobiné sur lui-même et en dehors de lui-même. Le métabole apparait comme un bol noué sur lui-même et en dehors de lui-même. Le métabole apparait comme un bol-nœud. Le métabole apparait comme un bol de Moebius.
Le métabole donne ainsi à sentir à la fois un corps-cosmos et l’envers d’un corps-cosmos, à la fois le corps du cosmos et la révulsion du corps du cosmos. Par le métabole la clef de voûte du corps, comme la clef de voûte du cosmos s’ouvrent et se ferment à chaque instant, s’ouvrent et se ferment à chaque instant littéralement et dans tous les sens.
Le métabole apparait comme ce qui parvient à ouvrir et à fermer le bol du corps dans d’innombrables sens. Le métabole ouvre et ferme le bol du corps avec la clef du sang, avec la clef de tact du sang. Le métabole donne à sentir le tact du sang, le tact de proximité du sang. Le métabole donne à sentir le tact de lointain du sang, le tact de proximité comme de lointain du sang.
Quel serait le bol du bol ? Le bol du bol serait un lobe, soit à la fois un enlèvement du bol et une conscience venue au bol, un boyau de bol qui lui sortirait de sa tête de bol. Et une pirouette, un escamotage, un soleil.
« Tout autour de nous, les objets, les lieux, les villes, les paysages, les visages nous pose cette même question métaphysique « que suis-je pour toi ? » non seulement les êtres vivants mais les êtres inanimés (…) à laquelle nous répondons le plus souvent par une indifférence profonde. Mais les objets savent eux aussi et mieux que nous s’éloigner et se taire. » J. Baudrillard
Chaque chose autour de nous apparait comme elle évoque un problème « Quelle forme ai-je pour toi ? Quelle forme ai-je seulement pour toi et par toi ? » A ce problème posé par chaque chose seul l’artiste a le courage de répondre. A ce problème posé par chaque chose seul celui qui œuvre ose et aime répondre. A la suite de cette réponse chaque chose reste pourtant taciturne. Malgré tout quand cette réponse apparait donnée avec précision, la chose ne s’éloigne pas, la chose s’approche.
Oui à la citation de Baudrillard. Je dirais pour ma part que le silence des objets est un éloignement qui relève de leur fait, un cantonnement volontaire dans leur quant-à-soi. Et sur ton commentaire qui suit : la chose s'approche, mais elle ne s'approche pas de nous, elle s'approche d'elle. C'est ça ma poétique.
« « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire » - mais on peut le taire avec des images. » J. Baudrillard, L’Echange Impossible
« La matière c’est ce qui n’a pas de virtualité. Dans la matière, il n’y a rien de caché. » G. Deleuze
La matière n’a pas de possible. Malgré tout la matière a des virtualités. La matière a parfois aussi des formes cachées. Ainsi les virtualités de la matière apparaissent parfois cachées et parfois évidentes. Les virtualités de la matière apparaissent soient cachées soit flagrantes selon les postures même la matière, selon les postures d’apparition de la matière. La virtualité de la matière c’est sa force de métamorphose. La virtualité de la matière c’est la force à la fois évidente et énigmatique de sa métamorphose.
Maurice Blanchard : "La poésie est une propriété de la matière."
Benjamin évoque une « proximité qui se regarde avec ses propres yeux ». La métaphore ce serait ainsi à la fois la proximité qui se regarde avec ses propres yeux et la proximité qui se touche avec ses propres mains. Ou plutôt la métaphore invente le geste par lequel à la fois la proximité se regarde avec ses propres yeux et le lointain se touche avec ses propres mains. Ce qui survient ainsi par la métaphore c’est la clarté aveugle de la coïncidence à la fois des yeux et des mains, c’est la clarté aveugle de la coïncidence des yeux et des mains par la proximité du lointain.
RAS.
« L’illusion du monde, son énigme tient aussi au fait que pour l’imagination poétique, celle des apparences, il apparait d’un seul coup, il est là tout entier d’une seule fois alors que pour la pensée analytique il y a une origine et une histoire. Or tout ce qui apparait d’un seul coup, sans continuité historique, est inintelligible. » J. Baudrillard
Inintelligible, peut-être. Mais la pensée synthétique, intuitive, poétique n'a pas pour but de rendre le monde intelligible, mais plutôt de rejoindre l'intelligence du monde, l'intelligence
propre au monde.
« Nous sommes obligés de penser le monde comme un univers « alors que rien n’assure qu’il y ait quoi que ce soit de commun, par exemple, entre la pousse des êtres vivants et les conditions plus ou moins stellaires dans lesquelles ils se trouvent nécessités d’habiter. » J. Lacan » cité par P. Muray
Haha. Il est marrant, Lacan.
Il n’y a pas de commune mesure entre l’univers et le monde. Il n’y a pas de commune mesure entre l’univers de la vie, l’univers de la vie humaine et le monde inhumain, le monde inhumain des atomes, le monde inhumain à la fois minéral, liquide et gazeux. Le problème reste cependant de savoir s’il y a une commune mesure entre la vie humaine et la vie animale, entre la vie humaine et la vie végétale. Cette commune mesure ce serait alors ce que Virilio appelle la grandeur nature. Et c’est précisément parce que la démesure du cosmos n’est pas une grandeur nature que la chair humaine apparait terrifiée à l’intérieur de cette démesure du cosmos. Pourtant la chair humaine apparait aussi terrifiée face à la présence de la nature, face à la présence de la nature terrestre. C’est pourquoi il serait parfois préférable de parler de démesure nature plutôt que de grandeur nature.
Nous, les hommes, nous avons peut-être quitté la terre. Nous vivons dans nos pensées, c'est-à-dire dans des projections, mais qui ne savent pas où elles vont.
« « Il n’y a rien de nouveau sous le soleil » le commentaire hébraïque ajoute : « mais au-dessus du soleil il y a du nouveau » ce nouveau est indiqué par la lune. » P. Muray
Bof, Muray est plus profond dans le sarcasme que dans ce type de propositions.
« Comparaisons pour ce qui n’est pas comparable : « comme un patineur quand il passe de la glace à la terre » P. Handke
Oui.
« Je me suis plongé dans la contemplation d’un objet, et au coin des yeux est apparu mon amour, « et » » P. Handke
Eh bien je lui souhaite du courage avec son "et". Phrase d'écrivain, non ?
Une intuition de G. Stein Les conjonctions et les prépositions révèlent à la fois les relations à l’intérieur d’un homme et les relations entre les hommes. Les conjonctions et les prépositions révèlent les formes-caractères entre un homme et le langage, entre le corps d’un homme et l’inhumanité du langage et aussi les formes-caractères entre le corps d’un homme et la nature humaine.
Mouais.
« Les choses sont pleines de contradiction. On ne soupçonne pas la mie de dialectique que contient une poignée de neige. »
Mais c'est de qui ça déjà ? Munier ? Jacqmin ? Jacqmin, n'est-ce pas ?
Je distinguerais malgré tout la contradiction et la dialectique. Les choses apparaissent en effet saturées de contradictions. Malgré tout les contradictions qui se trouvent à l’intérieur de ces choses ne sont pas dialectiques. La poignée de neige n’est pas une mie de dialectique. La poignée de neige apparait comme une mie de contradictions, une mie (et une mine) de contradictions subtiles et souples. La poignée de neige apparait comme un sorbet de contradictions. La poignée de neige se résorbe comme une mie de contradictions. Les contradictions qui se trouvent à l’intérieur des choses ne se dépassent pas de façon dialectique. Les contradictions qui se trouvent à l’intérieur des choses plutôt se résorbent, se résorbent par embobinage, ou se résorbent par sublimation. Les contradictions qui se trouvent à l’intérieur des choses se résorbent par emprise, par emprise de sublimation. La matière du monde n’est pas dialectique. La matière du monde apparait plutôt contradictoire, miraculeusement contradictoire. La matière du monde apparait paradoxale, miraculeusement paradoxale.
Oui mais qu'est-ce que la contradiction sinon de la dialectique instantanée, immédiate. Ou plutôt une sorte de sainte trinité (thèse antithèse synthèse) indissoluble (relire Processe de
Tarkos)
« L’univers n’est pas dialectique - il est voué aux extrêmes, non à l’équilibre. » J. Baudrillard
L'équilibre est un autre extrême, un autre zénith.
Je dirais plutôt. Le monde n’est pas dialectique. Le monde apparait à la fois voué aux extrêmes et à l’équilibre. Le monde apparait voué aux extrêmes de l’équilibre. « Contradictions : moments figés de la pensée. Si nous en ressentons, c’est peut être que nous pensons figés, au lieu de nous abandonner au flux - qui serait la vraie pensée. » R. Munier
Ah bah tu vois, c'est ce que je disais juste avant de lire ton commentaire.
Et ce flux de la pensée ce serait celui de l’oubli. « L’oubli va dans le sens du flux qui nous emporte. Il s’accorde à ce flux, rejoint dans ce flux ceux qui furent emportés. Quand nous en éloigne à jamais le raidissement pathétique de la mémoire. » Ainsi le monde apparait voué aux extrêmes de l’oubli, à l’équilibre de l’oubli, aux extrêmes d’équilibre de l’oubli.
Pas sûr de bien comprendre cette histoire d'oubli.
« Singulier, qu’en espagnol il n’y ait qu’un seul et même mot pour « réel » et « royal » (real), mais je ne dois pas être le premier à le remarquer. » P. Handke
C'est toujours bien de le dire.
« Le mot "réel" semble formé seulement d'un préfixe et d'un suffixe, avec rien au milieu. »
Munier, ça, je suis sûr.
Le réel est un préfixe et un suffixe avec le rem au milieu, avec le rien du rem au milieu, avec la réminiscence du rem au milieu, avec la réminiscence de rien de rem au milieu. Ce serait presque une définition du réel à la façon de Derrida. Le réel ce serait le vide qui se trouve au milieu de l’anneau du langage, le vide qui se trouve au milieu de la bague d’alliance du langage, au milieu de l’anneau d’alliance du langage. Le réel ce serait le vide qui se trouve au centre de la bobine du langage, au centre de la bobine emblématique du langage, au centre du ressort du langage, au centre du ressort emblématique du langage.
Oui. Tu fais presque de la cabale phonétique. Tu as lu les livres de Marc-Alain Ouaknin, au fait ? On n'en a jamais parlé.
« Un professeur expliquait en riant qu’il y avait un organe du corps humain appelé « rien ». Ce « rien » était un organe très important, quelque part au milieu du corps. » P. Handke, A ma Fenêtre le Matin
« Certaines métaphores sont plus réelles que les gens qu’on voit marcher dans la rue. » F. Pessoa, Le Livre de l’Intranquillité
A propos d’Emily Dickinson.
« Le mot « abeille » est l’un des plus fréquents de ses poèmes, et elle écrit comme une abeille : vol en hoquet comme hésitant, mais (…) elle sait très bien ce qu’elle fait, puis dépôt de pollen et envol. » « A la fin, elle a la position la plus noble, celle du « Désespoir confiant ». Le désespoir n’est pas triste bien au contraire c’est l’absence de cette torture qu’on appelle l’espoir. « Le futur ne parla jamais » dit-elle avec esprit (le futur au passé simple, n’est-ce pas). Elle n’a pas d’espoirs, Dickinson, elle écrit. Elle avait raison d’être confiante. Elle a gagné dans son futur, lequel est donc son présent. » C. Dantzig, Dictionnaire Egoïste de la Littérature Mondiale
Un extrait d’une lettre à Julien Starck.
Il serait (…) à la fois utile et passionnant de faire un inventaire précis des extraits des poèmes d’Emily Dickinson où surviennent des tintements, des grelots et des cloches. Il y a en effet quelque chose comme un grelottement d’éclair dans la poésie de Dickinson ou encore un tintement d’étincelles. Ce qui carillonne à l’intérieur de sa poésie, c’est l’ébullition espiègle de son cerveau, l’ébullition espiègle d’un cerveau qui s’incruste à fleur d’étau.
Il y a aussi une étrange méticulosité d’Emily Dickinson, c’est une méticulosité en ébullition, la méticulosité en ébullition du sentiment stellaire, c’est-à-dire la méticulosité en ébullition de la sidération.
Les écrivains qui prônent les fastes de sophistication de la phrase, les fastes de complexité de la phrase - je pense par exemple à Proust ou encore à notre époque à Michon - me font penser à des sortes de pêcheurs orgueilleux qui déploieraient de gigantesques filets pour ne parvenir à attraper finalement que quelques sardines dérisoires. Leur façon d’utiliser le langage est en effet d’une subtilité indiscutable, cependant leurs phrases ne révèlent finalement que des sensations minuscules. Je préfère à l’inverse essayer de pécher la baleine à la petite cuillère. Je préfère à l’inverse essayer de pécher d’innombrables baleines, des meutes de baleines, des myriades de baleines à la petite cuillère.
Tout de même chez Michon il y a une sensualité de la langue qui lui fait attraper de belles sensations. Mais évidemment avec tes baleines à la petite cuiller, tu les écrases tous les écrivains sophistiqués.
« Avant le commencement, sera le verbe » C. Péguy
Je dirais plutôt. Avant le verbe sera le recommencement du silence.
Moi je dirais que le commencement est une suite de quelque chose. D'une chose extraordinairement neuve et inouïe, puisque ce qui lui succède, le commencement, a l'apparence de la nouveauté. C'est dire combien ce qui le précède doit être fort et inconcevable.
La phrase de Péguy est assez dingue quand on y songe : Avant le commencement, SERA le verbe. C'est beau.