Après un peu de silence (qui fait un beau tapis), je reviens vers toi :

 

 

 

(…)

 

 

 

Je vais t'envoyer bientôt un petit livre qui parait ces jours-ci : Fabulaux.

 

Voilà, j'espère que tu vas bien.

 

Bien à toi,

 

Laurent

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bonjour Laurent,

 

 

 

 

 

Félicitations pour tes Fabulaux. Je trouve cela précis et beau. J’aime beaucoup le chien, le bouc, le lion, la fourmi et l’éléphant, l’hippopotame, la poule, l’âne, l’araignée, la biche, la vache, l’ours et l’abeille, les poissons, le renard, l’hippocampe, la libellule, les oiseaux, la taupe, le lapin. C’est-à-dire oui, j‘aime beaucoup. Ton bestiaire ressemble à la table des matières de mon admiration.

 

 

 

Ah comme j’aimerais disposer d’innombrables secrétaires esclaves qui travailleraient à dactylographier l’album burlesque de mon bestiaire pour répondre instantanément à la joie provoquée par ton livre. Etrangement par exemple j’ai une vision de l’escargot semblable à celle que tu as de la vache. « La vache est assez grande et vascularisée pour contenir toute une ménagerie. » J’ai la vision de l’escargot comme arche, arche de Noé minuscule, arche de Noé en modèle réduit, quelque chose comme une maquette tarabiscotée d’arche de Noé qui vogue à l’aise à la surface humide de la terre.

 

 

 

Le texte consacré au renard est assez intriguant. Narquoiserie du renard. Le renard est un chien phénix. Le renard est le chien phénix qui renait à chaque instant du losange de flammes de sa fourrure. Je me souviens qu’un soir de septembre, alors que je roulais très lentement en voiture sur une route déserte de campagne non loin de Blaison-Gohier, j’avais été accompagné pendant plusieurs centaines de mètres par un renard qui s’était amusé à faire la course avec moi le long du fossé. Très grande émotion comme toujours à l’instant de la rencontre avec un animal, très grande émotion quand un animal pour une fois s’attarde à partager par jeu notre temps et notre espace d’homme, comme ça seulement pour voir. Ce qui m’avait étonné ce soir-là, c’était l’incroyable rectitude de la course du renard, rectitude elle-même contredite par la bifurcation imprévisible de sa disparition, comme si le renard disposait en virtuose à la fois de la droiture et de la rature de cette droiture par une autre ligne quasi indicible la diagonalisant soudain. A la manière d’un joueur d’échecs du crépuscule, le renard prend ainsi la tangente entre chien et loup, le renard prend la tangente comme proie de l’ombre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                       A Bientôt        Boris

 

 

 

 

 

 

 

Merci Boris de ce retour. C'est un plaisir de te lire, de te retrouver à chaque ligne.  La tangente du renard, entre chien et loup, c'est tout à fait toi : l'imprévisible étant ta ligne de flottaison. Je m'en aperçois maintenant.

 

Amitiés,

 

Laurent