Bonjour Laurent,
Je t’envoie les Notes autour de Cela.
A Bientôt Boris
Notes autour de Cela.
Globalement, chaque texte ressemble à un haïku amplifié ou plutôt un haïku étalé, à un haïku étalé comme une pâte à tarte, un haïku dont tu étales la pâte tautologique. Chaque texte ressemble ainsi à une sorte de haïku écrit à la manière de Christophe Tarkos.
Le sentiment du haïku c’est celui que tu évoques d’emblée « C’est une attente si vague et si floue dans le silence, qu’au fond ce n’est plus vraiment une attente mais quelque chose qui arrive, qui est là, dont on ne peut pas dire grand-chose sinon que ça ressemble tout de même à une attente. », celui ainsi d’une attente vide, d’une attente en suspens, d’une attente sans intention et presque sans nom, attente qui révèle à la fois un flou de la clarté et une clarté du flou, « cela aussi flou que clair dans ce que cela montre » clarté floue semblable à la floculation du vide même « les flocons qui tombent hors saison », éclat de surdité (d’absurdité) de l’espace qui serait aussi celui, pour reprendre une image de Jacqmin, d’une floculation babylonienne. Il y aurait peut-être alors un batifolage babylonien du cela, une hypothèse du cela qui révèlerait une sorte de Tour de Babel microscopique de la tautologie. Il y a en effet une sorte de nonchalance métaphysique à l’intérieur de ton livre, une nonchalance métaphysique qui serait peut-être aussi celle d’un désir de normalité. (Le mot normal est en effet employé plusieurs fois.)
« Ce sont des cela distincts et c’est un même cela de distinction qui vient élire chaque cela. »
Le cela révèle ainsi la distinction de chaque chose. La distinction c’est à dire à la fois une aristocratie et une démocratie, à la fois un aspect aristocratique et un aspect démocratique. Le cela révèle la démocratie aristocratique des choses du monde. En effet, c’est comme si pour toi le peuple des choses était composé uniquement de princes et de princesses, de rois et de reines.
Il me semble qu’il y a alors une sorte de rêverie politique dans ta manière d’évoquer la distinction des choses. Sartre dans son livre Mallarmé, La Lucidité et sa Face d’Ombre mentionne un problème semblable chez Mallarmé, un désir de retrouver une sorte d’aristocratie disparue. Selon Sartre, ce désir d’aristocratie était aussi chez Mallarmé un désir d’anarchie, et même d’anarchie terroriste. Mallarmé se rêvait comme un aristocrate anarchiste. Tu serais plutôt un aristocrate démocrate. Il y a en effet de l’aristocrate florentin en toi (aristocrate démocrate qui serait alors aussi un peu un aristocrate du dimanche).
J’ai parfois l’impression que tu cherches à transposer étrangement le problème de la politique à l’intérieur du monde des choses. C’est comme si pour toi le monde des choses révélait un espace d’harmonie politique où chaque chose apparait comme un roi démocratiquement élu, un roi démocratiquement élu par l’éclat de sa singularité même, par l’indice de sa singularité même, par l’éclat indiciel de sa singularité même.
J’ai ainsi le sentiment que le problème de la distinction est pour toi essentiel. La distinction c’est-à-dire à la fois l’élection aristocratique et l’aptitude rationnelle (les idées claires et distinctes de Descartes), la distinction comme attitude d’aristocratie rationnelle ou attitude de rationalité aristocrate donc.
Tu évolues en effet à l’intérieur d’un monde composé de distinctions. Pour toi, à la fois chaque chose se distingue des autres choses et aussi se distingue en elle-même, par elle-même ou plutôt se distingue par l’indice du même qu’elle porte comme une aura, comme une aura d’invisibilité, et aussi comme un handicap de dévisibilité.
Cette distinction du même serait en effet quelque chose comme un handicap, à savoir étymologiquement « hand in cap » : la main dans la veste. Ce que la distinction indique ainsi c’est le handicap de la prestidigitation comme la prestidigitation du handicap. Pour toi, la main dans la veste de l’homme blessé apparait aussi comme la main d’extrême subtilité du prestidigitateur. (Ce serait ton aspect de freak discret, de freak de la discrétion même, comparable par exemple dans le film de Tod Browning, à celui de l’homme-tronc qui sait allumer les cigarettes avec une élégance incroyable en utilisant uniquement ses orteils).
La distinction c’est aussi l’indice du même planté à l’intérieur de la chair comme une écharde, l’écharde de la chance comme aurait dit René Char. Ou encore selon une vision plus violente, c’est l’épée plantée le long de la colonne vertébrale qu’évoque Kafka à l’intérieur d’une de ses paraboles, épée qu’il s’avère ensuite impossible de dissocier de cette colonne vertébrale au risque alors de mourir, épée de la blessure qui apparait aussi comme l’instance même de l’équilibre, la puissance même de l’équilibre.
La distinction, c’est l’épée de Damoclès devenue ongle incarné ou plutôt l’épée de Damoclès devenue colonne vertébrale d’ongles, colonne vertébrale d’ongles incarnés, colonne vertébrale d’ongles incarnés qui désigne malgré tout la lune du cela à l’orée du doigt.
La distinction c’est l’indice du même qui joue au mikado avec l’épée de Damoclès. La distinction c’est l’indice du cela qui joue aux dominos avec l’épée de Damoclès, qui joue au mikado comme aux dominos avec l’épée de Damoclès. Reste le problème de savoir comment jouer aux dominos avec ce qui nous domine, ce serait alors comme applaudir avec une seule main. Eh bien la distinction révèle alors aussi ce geste incompréhensible, celui d’applaudir avec l’épée de Damoclès d’une seule main.
Cette épée de Damoclès de la distinction, ce serait aussi celle de l’oscillation du jour et de la nuit, à savoir l’épée de Damoclès de ce qui tombe mouillé un peu, l’épée de Damoclès du on se demande ce que c’est, l’épée de Damoclès du on se demande ce qui tombe, l’épée de Damoclès de la fraicheur du soir simplement, l’épée de Damoclès qui devient par handicap de prestidigitation comme prestidigitation du handicap l’épée d’Excalibur, l’épée d’Excalibur de l’ainsi, l’épée d’Excalibur de Laurent Albarracin, l’épée d’Excalibur cela de Laurent Albarracin.
Et aussi l’épée de Damoclès de l’eau, l’épée de Damoclès de l’eau qui tombe, l’épée de Damoclès du coup d’épée dans l’eau, l’épée de Damoclès de l’eau qui tombe à la place de la lumière, l’épée de Damoclès du coup d’épée dans l’eau qui tombe à la place de la lumière, l’épée de Damoclès du fil même qui retient l’épée, l’épée de Damoclès du fil même qui retient le coup d’épée dans l’eau, l’épée de Damoclès du fil de l’horizon, l’épée de Damoclès de la paille, l’épée de Damoclès de la paille dans l’œil, l’épée de Damoclès de la paille de l’horizon, de la paille dans l’œil de l’horizon, de la paille dans l’œil du cyclone, de la paille dans l’œil du cyclone de l’horizon, l’épée de Damoclès de la lumière du soir qui descend, l’épée de Damoclès du loin précis, l’épée de Damoclès du aussi peu déterminé que ce soit, l’épée de Damoclès du loin précis aussi peu déterminé que ce soit, l’épée de Damoclès du n’importe quoi, l’épée de Damoclès du pour que cela s’accomplisse, l’épée de Damoclès de l’imposition des mains, du fil de l’horizon de l’imposition des mains, l’épée de Damoclès du toucher magique, du toucher magique de l’imposition de mains, l’épée de Damoclès du toucher magique du coup d‘épée dans l’eau, de l’imposition des mains du coup d’épée dans l’eau.
L’épée de Damoclès de la délicatesse, de la délicatesse de cela envers cela, l’épée de Damoclès du tremblement, l’épée de Damoclès du désir, l’épée de Damoclès du tremblement du désir, l’épée de Damoclès du tremblement des mains, du tremblement de désir des mains, l’épée de Damoclès du dédain, l’épée de Damoclès de la demande dédaigneuse, l’épée de Damoclès de ce que la main dédaigne de prendre, l’épée de Damoclès de ce que le cœur désire et de ce que la main dédaigne de prendre.
J’ai le sentiment que pour toi le cela révèle la coïncidence du ça et du secret. Le cela donne à sentir la forme du ça secret. Le cela donne à sentir le ça secret de la chose.
Ce qui te plait c’est le désir d’être des choses, leur insistance d‘être, (ce que Spinoza appelait le conatus). Ce qui te plait c’est le désir comme le secret des choses, le désir secret des choses, le désir d’être des choses, le secret désir d’être des choses. Ce qui me plait ce serait plutôt la pulsion d’apparaitre des choses. J’ai ainsi le sentiment du cela comme ce qui donne à sentir à la fois la pulsion de la chose et l’énigme de la chose, la pulsion de la chose comme l’énigme de la chose, la pulsion d’énigme de la chose.
« Quand ça tremble, c’est cela qui tremble. (…) c’est-à-dire justement ce tremblement entre cela et ça, l’interstice qu’il y a entre ça et cela, où ça tremble. »
Ainsi ce que tu cherches à dire c’est le tremblement entre le désir et le secret, c’est le tremblement d’aile entre le ça du désir et le cela du secret. Ce tremblement d’aile entre le ça du désir et le cela secret n’apparait précisément ni comme le tremblement du désir, ni comme le tremblement du secret, ce tremblement apparait plutôt comme le tremblement même de la distinction (tremblement d’aile qui serait peut-être semblable à celui évoqué par Mallarmé à l’intérieur du Coup de Dés « Sous une inclinaison / plane désespérément / d’aile / la sienne /(…) naufrage cela »). Tu essaies ainsi de dire le tremblement de la distinction, le tremblement d’aile de la distinction, le tremblement d’aile de la distinction d’être.
La distinction du cela tremble en équilibre entre le désir et le secret. La distinction du cela tremble en équilibre incisif, en équilibre poignant, en équilibre incisif poignant entre le désir et le secret. La distinction du cela tremble comme l’épée de Damoclès, l’épée de Damoclès du on se demande que c’est entre le désir et le secret.
« Son existence est une insistance, seulement une insistance. »
La distinction serait ainsi ce qui révèle ou plutôt ce qui fait toucher du doigt l’insistance de l’être, l’insistance matérielle de l’être. « la reréalité étant cette réalité que cela nous fait toucher du doigt. »
« Non le montrer mais le remontrer. »
La distinction du cela serait à la fois ce qui révèle et rerévele l’insistance même de l’être. La distinction du cela serait à la fois ce qui révèle au regard et rerévele à l’extrémité des doigts et aussi révèle aux doigts et rerévele à l’extrémité du regard l’insistance matérielle de l’être (regard à l’extrémité des doigts qui serait à rapprocher de ce que Deleuze nomme le toucher haptique du regard).
La distinction du cela redouble à chaque instant la révélation. La distinction du cela redouble la révélation en indication et peut-être aussi parfois en mise à l’index et en remontrance, en remontrance de la délicatesse, en remontrance de la rémanence, la remontrance de délicatesse de la rémanence, la remontrance de délicatesse de la rémanence de l’être (remontrer autrement dit étymologiquement « se signaler avec éclat »)
La distinction du cela serait une manière de plier la révélation, de plier et de déplier la révélation en éventail, en éventail d’indices, en éventail d’index, en éventail de doigts, en éventail de doigts exacts. Ainsi la distinction du cela serait non seulement un maniérisme, ce serait surtout un digitalisme. La distinction du cela serait ce qui qui essaie de donner à sentir la rémanence miraculeuse de l’être à l’extrémité des doigts.
« Une qualité de la lumière, une lumière qui ferait une confirmation native, un écho de l’inouï. »
Cela ressemble à une formule de Mallarmé, ce qu’il appelait « l’illumination native ».
« C’est la lumière blanche du matin quand on sait qu’elle sera plus jaune le soir et qu’elle aura vieilli ainsi qu’une photo, »
Oui, en effet chaque jour la lumière vieillit. Il y a des siècles à l’intérieur de chaque jour, il y a des siècles minuscules à l’intérieur de chaque jour et même des séismes de siècles, des séismes de siècles minuscules. Chaque jour, la lumière parcourt la multitude des âges, la multitude des âges du vide même. Chaque jour, la lumière feuillette l’album de photos de sa disparition, l’album de photos de son vide même. Chaque jour, la lumière s’abime, la lumière s’abime comme album de photos. Chaque jour, la lumière se met en abime comme album du noir, comme album de photos éthérées du noir, comme album de photos volatilisées du noir, comme album de photos volatilisées de la nuit même.
« Qu’elle (la lumière) aura reculé l’espace d’une journée à des époques sépias…»
Chaque jour, la lumière feuillette le sequoia des siècles, le c’est quoi y a des siècles, le sépia des siècles, le sequoia sépia des siècles, le sequoia de séquences sépias des siècles. Chaque jour, la lumière épie le sépia des siècles. Chaque jour, la lumière épie le sépia des siècles à travers le trou de serrure du jour même, à travers le trou d’épingle du jour même. Le jour ne serait alors qu’un trou d’épingle, le trou d’épingle par lequel nous essayons de retrouver la botte de paille de la nuit, la botte d’épées de la nuit, la botte d’épées paisibles de la nuit. C’est comme si aussi nous essayions d’épuiser le jour afin de trouver la forme miraculeuse de la nuit (comme si, pour reprendre une formule du Cyrano de Bergerac de Rostand « à la fin de l’envoi, je touche », à la fin de l’envoi des jours nous essayions ainsi de toucher la poitrine miraculeuse de la nuit).
« Comme si l’élan de la lumière et de tout allait vers le passé, comme si se rendre à l’avenir était faire advenir l’ancien »
Oui, en effet, c’est comme si chaque jour accomplissait l’archéologie des âges de la lumière, l’archéologie à la fois austère et frivole, polémique et inconséquente des âges de la lumière. Chaque jour essaie ainsi d’extraire les âges multiples de la lumière de l’œuf de la nuit, du tombeau de la nuit, de l’œuf-tombeau de la nuit, de l’abyssal œuf-tombeau de la nuit.
« C’est cela qui est dans la lumière blanche du matin avec quoi elle aveugle le monde. »
Chaque jour, cela recommence. Chaque jour, le monde recommence. Chaque jour, le cela du monde recommence. Ou plutôt chaque jour, le cela recommence le monde comme le monde recommence le cela. Ainsi l’aurore déclare précisément cela. L’aurore déclare le cela du monde. L’aurore déclare le cela de grâce du monde, le cela d’aveuglement du monde, le cela de grâce aveugle du monde.
Chaque matin, la nuit préfère gracier le jour. Chaque matin, la nuit préfère gracier le mourir même du jour. L’aurore affirme précisément la grâce d’aveuglement du mourir du jour, la grâce d’aveuglement du mourir futur du jour. L’aurore clarifie ainsi le monde à l’instant même où elle exclame le mourir futur de cette clarté.
« Parfois une qualité de la lumière, un peu comme si la quantité la lumière qu’il y a au ciel s’était muée en une qualité, toute la quantité en une seule qualité… »
Ce problème de la transmutation de la quantité en qualité c’est celui de l’intensité. (Tristan Garcia a écrit un livre à ce propos : La Vie Intense.) Intensité c’est-à-dire « qualité d’abondance donc ». En effet, et c’est d’ailleurs cette qualité d’abondance que je cherche aussi à donner à sentir sans y parvenir toujours à l’intérieur de la prolifération de phrases des blocs. En effet à l’intérieur des blocs, cette qualité d’abondance n’est pas la qualité d’abondance d’une clarté, ce serait plutôt la qualité d’abondance d’une obscurité. « Oh toute cette clarté, toute cette obscurité. Oh l’émerveillement de regarder ce que nous ne voyons pas. Oh doux miracle de nos yeux aveugles. » (Citation de mémoire d’une phrase extraite d’Histoires du Cinéma de Godard)
« C’est un truc qui tombe en fin d’après-midi. »
Le crépuscule propose les trucs de la fraicheur. Le crépuscule propose les trucs de handicap de la fraicheur, les trucs de prestidigitation de la fraicheur, les trucs de handicap prestidigitateur de la fraicheur.
Il y a aussi un aspect crêpé du crépuscule. Le crépuscule crêpe la chevelure du soir. Le crépuscule crêpe la chevelure de deuil du soir. Le crépuscule crêpe le chignon de deuil du soir, le chignon de deuil amphigourique du soir. Le crépuscule crêpe la chevelure du soir rubis sur l’ombre. Le crépuscule crêpe le tambour du soir rubis sur l’ombre. Le crépuscule crêpe le tambour de chevelure du soir rubis sur l’ombre.
Le crépuscule crêpe l’épée de Damoclès du soir. Le crépuscule crêpe les trucs d’épée de Damoclès du soir. Le crépuscule crêpe l’épée de Damoclès du on se demande ce que c’est.
Le truc qui tombe alors pendant le crépuscule a tendance à amalgamer l’horizon, à amalgamer les paupières de l’horizon, à amalgamer les yeux et les paupières de l’horizon. Il reste cependant difficile de savoir si l’événement du crépuscule est celui du jour qui tombe ou celui de la nuit qui s’élève, si c’est celui du jour qui s’ensevelit à l’intérieur du ciel ou celui de la nuit qui s’élève de la terre.
« Parfois c’est quand on déverrouille une porte. Il s’est passé quelque chose. On a tourné le verrou et ça a déclenché quelque chose. »
Le crépuscule déverrouille la porte de l’horizon. Le crépuscule déverrouille la porte de l’horizon et épanche alors des rivières de rouille. Le crépuscule épanche des flots de rouille, les flots de rouille de la crispation, les flots de rouille de la féerie, les flots de rouille de la crispation féerique. Le crépuscule épanche les flots de rouille de la crampe féerique entre terre et ciel. Le crépuscule épanche les crampes de rouille de la féerie, les crampes de rouille de la féerie rubis sur l’ombre.
« C’est ça. Ça y est. Enfin. C’est ça que c’y est, ça y est, dans ça, dans c’est ça. »
Au crépuscule, il semble que le monde a fait son temps. Et faire signifie alors aussi chier. Au crépuscule, le monde crie « ça y est » comme un enfant qui a fini de chier assis sur son pot. Au crépuscule, il semble que le monde a chié le temps, a chié l’espace du temps, a chié l’espace du temps entre terre et ciel à jamais. Pourtant le lendemain ça recommence, parce que le monde n’a pas encore épuisé le trou noir du temps, le trou noir de l’espace du temps, le trou noir de la coïncidence de l’espace et du temps.
« Les bancs sont des balançoires arrêtées au bord des allées. »
En effet, le banc adulte (autrement dit le banc ultime, le banc ad ultima) est une sorte de balançoire fatiguée, une sorte de balançoire épuisée, épuisée d’ultimatums. Le banc adulte fige l’oscillation de l’enfance, l’oscillation de balançoire de l’enfance. Ou encore la balançoire serait un toboggan engoncé, un toboggan banal, un toboggan engoncé de banalité, un toboggan engoncé dans la banalité des jours, un toboggan encamisolé, incarcéré dans la banalité des jours autrement dit un cercueil de toboggan.
« L’âne qui brame » « l’inconvenance qu’il y a à bramer pour un âne, et de ça il est très content. »
Il y a ainsi un contentement de la métamorphose même. Chaque animal affirme le contentement de savoir comment apparaitre parfois à la manière d’un autre animal. Le contentement c’est-à-dire la saturation de la métamorphose, la saturation heureuse de la métamorphose.
« La lune est la lune d’un cela. »
La lune apparait à la fois comme lune du selon et lune du cela. La lune apparait comme lune de selon du cela. La lune apparait comme lune du selon qui devient lune du cela. La lune apparait comme le croissant du selon qui devient le pain du cela, la brioche du cela, la ruche du cela, la ruche de pain du cela.
La lune montre l’éclipse de la lune. La lune montre l’éclipse selon de la lune. La lune montre l’éclipse de cela de la lune. La lune montre l’éclipse selon du cela de la lune. La lune montre la lune du cela. La lune montre l’éclipse selon du cela. La lune montre l’éclipse selon de la lune du cela.
« Que montre la lune, au sage et à l’idiot ? »
Quand la lune montre le doigt, le sage regarde son ongle. Quand la lune montre le doigt, le sage contemple la poussée de son ongle. Quand la lune montre le doigt, le sage contemple la poussée invisible de son ongle.
« Dans l’ardoise chevauchée des nuances de cela. »
La certitude chevauche les nuances de cela. L’ardoise de la certitude chevauche les nuances de cela. Le crâne d’ardoise de la certitude chevauche les nuances de lune du cela. Le crâne d’ardoise de la certitude chevauche l’éclipse de nuances de cela, les nuances d‘éclipse de cela. L’éclair de la certitude chevauche l’éclipse de cela. Le crâne d’éclair de la certitude chevauche l’éclipse d’herbes de cela.
« Le verre d’eau est cela. (…) parce qu’il est comme le partage du cela entre ces deux matières qui le composent : dureté et mollesse du verre et de l’eau, transparence et liquéfaction. »
Il me semble que c’est un vocabulaire très proche de celui de Jean-Pierre Richard. Vocabulaire parce qu’en effet le verre d’eau apparait aussi d’abord comme un vocable (voir à ce propos le texte extraordinaire de Ponge avec sa mélodie rudimentaire des bi, ba, bu).
« Il est l’appareil optique même avec son œil au milieu de sa vision. »
Le verre d’eau apparait ainsi comme le vocable d’une caméra, comme le vocable de translucidité d’une caméra ou encore comme le vocable de caméra de la translucidité.
« C’est la bouteille qui tourne l’eau comme un potier de l’eau. »
Oh botticellienne bouteille. Oh botticellienne bouteille qui semble sortir nue debout des cils de l’éblouissement. Oh botticellienne bouteille qui semble sortir nue debout de l’ébullition des cils, de l’ébullition de l’éblouissement, de l’ébullition de cils de l’éblouissement.
« L’assiette (…) on dirait qu’elle fait bouclier à des questions. »
L’assiette attend. L’assiette attend tel un bouclier. L’assiette attend tel le bouclier de la faim, tel le bouclier de l’anorexie, tel le bouclier de délicatesse de la faim, tel le bouclier de délicatesse de l’anorexie. L’assiette insiste et subsiste tel le bouclier de la faim, tel le bouclier d’attente de la faim, tel le bouclier de luminosité de la faim, tel le bouclier d’attente lumineuse de la faim. L’assiette insiste et subsiste tel le bouclier de délicatesse de la faim, tel le bouclier de délicatesse lumineuse de la faim, tel le bouclier d’attente délicate de la faim, d’attente lumineuse de la faim, d’attente délicate lumineuse de la faim.
L’assiette attend tel le miroir de la faim, le miroir de fidélité de la faim. L’assiette attend tel le miroir de délicatesse de la faim, le miroir de délicatesse fidèle de la faim. L’assiette attend tel le miroir d’impassibilité de la faim, le miroir de délicatesse impassible de la faim, le miroir de délicatesse fidèle impassible de la faim.
« Le venin sucré de la lumière. »
La lumière ressemble en effet parfois à un serpent de sirop, à un serpent de miel, à un crotale de miel, à un crocodile de miel, ou encore à un alligator de nectar.
« Que sais-je des pondérations de pacotille. »
La paille indique des pondérations de pacotille. La paille indique les pondérations du que sais-je, les pondérations de pacotille du que sais-je. La paille indique les pondérations de pacotille de la pensée socratique. La paille indique les pondérations de pacotille du quiétisme, les pondérations de pacotille de l’héraclitéisme, les pondérations de pacotille du quiétisme héraclitéen.
« Et les jonquilles épanouissent leur grande gueule surannée, jaune vif et jaune pâle. »
Et les glaïeuls indiquent leurs gueules de délicatesse, leurs gueules de délicatesse ample. Et les glaïeuls épanouissent leurs gueules de distinction, leurs gueules de distinction ample. Et les glaïeuls épanouissent leurs gueules de distinction lumineuse, leurs gueules de distinction luminescente. Et les glaïeuls épanouissent leurs gueules de clarté, leurs gueules de clarté hallucinatoire, leurs gueules de clarté littérale, leurs gueules de clarté hallucinatoire littérale.
Eh bien voilà, ce livre me plait. Je l’ai lu à la fois avec tranquillité et aisance. Je trouve que parmi tes différents livres c’est celui qui te ressemble le plus. Je veux dire celui qui ressemble le plus à ton caractère, au timbre de ton caractère, à la tonalité de ton caractère.
Et puis je préfère aussi quand tu utilises le mot cela plutôt que le mot tautologie. En effet, le problème de ton écriture n’apparait plus alors comme un problème logique, il apparait comme un problème sensoriel, comme le problème d’une indication sensorielle. Et comme tu me l’as déjà dit une fois, le cela que tu évoques apparait alors extrêmement proche de ce que j’appelle l’ainsi.
A Bientôt Boris
Cher Boris,
grand merci pour ta lecture de mon Cela. Je suis toujours étonné comme tu peux développer ta propre veine en t'approchant d'un texte et en même temps avoir des intuitions si justes (sur ce que j'essaie de faire). L'indice du même comme écharde dans la chair, ou cette "épée de la blessure", par exemple. Il faudrait encore une fois développer et entrer dans le détail. Ton ainsi, oui, est un genre de cela...
(…)
Bien amicalement à toi,
Laurent
Cher Boris,
(…)
Je suis désolé de n'avoir pas pris le temps de rebondir sur tes notes à propos de Cela. C'est que je suis plutôt débordé en ce moment : nouveau site internet pour les éditions, lectures CNL, revue Catastrophes, rentrée scolaire et d'autres impératifs dont je te passe les détails.
Mais bien sûr ton commentaire appellerait de multiples prolongements. Par exemple ce que tu appelles la distinction, c'est surtout je crois la question de la désignation du cela. Le cela est un déictique, il montre, il désigne, comme l'index, mais mon idée est qu'il est une désignation incorporée à la chose, si on peut dire ça. Du coup je ne vois pas bien quel rapport on peut faire avec le politique et la question de la démocratie-aristocratie. Pourquoi pas en effet comme tu dis : "un espace d’harmonie politique où chaque chose apparait comme un roi démocratiquement élu, un roi démocratiquement élu par l’éclat de sa singularité même, par l’indice de sa singularité même, par l’éclat indiciel de sa singularité même."
Il y aurait peut-être, par la désignation-distinction du cela sur les choses, en effet l'accès de chaque chose à la légitimité d'un moi-roi, d'un moi-roi qui lève le doigt du cela pour être, comme un élève bien sage qui veut plaire au maître et comme un monarque tout puissant dont l'index est un sceptre.
Très juste aussi ce que tu dis d'une distinction du même incarnée comme une écharde, d'une distinction indissociable de la chose, indélogeable en elle. Le cela c'est ce qui montre clairement la chose mais tellement clairement et précisément qu'il se confond absolument avec elle, qu'on ne peut plus le retirer d'elle sans détruire entièrement la chose. Je crois que la poésie a toujours à voir avec l'évidence obscure attachée à ce qui est. C'est pourquoi aussi j'aime l'idée d'un trésor fragile, d'un trésor qui se flétrit dès qu'on pose ne serait-ce que l’œil dessus.
Pour répondre à la fin de ton message : bien entendu "cela" et "ainsi" ont à voir ensemble, ils sont extrêmement proches mais il serait intéressant de voir en quoi ils diffèrent. Cela est plus caché, secret, là où ainsi est plus tranchant, plus définitif et affirmatif, non ? Ça correspondrait à nos caractères. On dit "c'est ainsi" pour dire que ça ne souffre pas de discussion possible. Il y a quelque chose de péremptoire dans l'ainsi, presque de législatif (voire de tyrannique).
D'ailleurs que dit l'étymologie ?
Étymol. ET HIST. − 1. Adv. xies. ensi « de cette façon » (La Vie de Saint-Alexis, éd. G. Paris, 271 : Iluec converset ensi dis e set anz); 1155 ainsins « id. » (Wace, Conception Nostre Dame, p. 41, Mancel et Trébutien ds Gdf., s.v. issi : Ainsins m'aviegne con tu diz); 1539 ainsi, particule servant à introduire une phrase optative (R. Estienne, Dict. françois-lat. : Ainsi soit, qu'il l'ait, Habeat sane. Ainsi soit il, Amen);
En effet l'ainsi serait quasiment religieux, il ferait advenir le souhait dans la réalisation, en une sorte de fiat lux du verbe.
Voilà. (Tiens le voilà..., ce serait à creuser le voilà comme un entre-deux du cela et de l'ainsi...)
(…)
Bien amicalement à toi,
Laurent
Bonjour Laurent,
Merci pour ta réponse à propos de l’ainsi.
L’ainsi indique aussi la fatalité. L’ainsi indique l’incision de la fatalité. L’ainsi indique la facilité de la fatalité, l’incision de facilité de la fatalité.
A Bientôt Boris
Oui, et l'ainsi signale l'insistance de l'unique fois.
Quand c'est ainsi,
c'est toujours jamais autre chose que cela.
Puis l'ainsi serait la manière d'apparaître substantivée des choses.
Bien amicalement à toi,
Laurent