Envoi de Léaud, Solitude de la Voix Lactée
Bonjour Boris Wolowiec,
Merci pour l’envoi de Léaud, Solitude de la Voix Lactée. J’ai toujours pensé à Léaud comme à un arpenteur de l’entre. Entre le vide le plein, entre l’acteur et le non-acteur, entre le spectacle et l’intime, entre la fiction et le documentaire. Léaud ressemble à Martin Lasalle, l’acteur non-professionnel de Pickpocket, un de mes films préférés. Léaud rejoint le cinématographe (l’anti-théâtre défini par Bresson), sans le savoir, peut-être. À ma connaissance, il n’est jamais monté sur une scène. Léaud semble être inquiété par les rôles qu’il interprète. Léaud n’essaye pas de séduire contrairement à la majorité des comédiens. La plupart des acteurs sont passés à côté de leur métier car ils ne sont pas arrivés à incarner leur propre personnage malgré les Lee Strasberg etc.…Les acteurs ne se donnent pas le temps ni la chance de faire mûrir leur caractère. Le spectacle est déjà là, nous naissons avec lui. Devenir acteur c’est d’abord apprendre à se débarrasser du spectacle et il y en a très peu qui y parviennent. Sortir de soi pour révéler l’intérieur de soi, à mon avis c’est cela l’interprétation (ou la non-interprétation). En ce sens, l’écriture est aussi une excellente méthode, bien meilleure (ou différente) de celle de l’acteur. J’ai l’impression que Léaud parvient à se voir en train de jouer et à produire alors un effet de distance et de décalage.
C’est aussi parce que le temps de l’écrit (celui du recul et donc du jeu de Léaud) n’est pas comparable à celui de la parole, de l’immédiat, des autres comédiens. Léaud, comme les acteurs de Bresson rend justice aux interstices, à l’entre-deux qui caractérise les véritables acteurs de cinéma (cinématographe). Léaud met en abyme le jeu de l’acteur comme personne d’autre ne l’a fait avant lui. Le doute s’installe enfin sur l’écran le spectateur est d’autant moins passif.
La Voix lactée de Léaud, c’est très bien vu, entendu plutôt. J’ai pensé à une voix qui serait restée fidèle à l’enfance, au lait maternel, aux 400 coups (« ma mère est morte »). Léaud est abstrait parce qu’il est le spectateur de son rôle. Il joue avec son corps pour se mettre à distance de lui-même contrairement à la majorité des acteurs qui se limitent à utiliser leur corps pour séduire. Si Léaud ne passe jamais à l’acte c’est parce qu’il est déjà présent avant de commencer à jouer. Son corps devance ses incarnations d’un rôle. Pour Léaud la meilleure façon d’agir est peut-être justement de ne pas agir, de ne pas faire l’acteur. Il est dans l’action de la non-action dans l’acte d’un acteur qui annule justement celui de tous les autres comédiens. La contemplation est la meilleure forme d’action et réciproquement.
Le ready-made du jeu fait homme est une excellente formule. Je vous félicite pour ce texte sur Léaud et, plus généralement, pour votre généreuse pratique (formidablement poétique) de l’admiration.
A bientôt,
Philippe Jaffeux
Salut à vous Philippe Jaffeux,
Immense merci pour l’envoi d’Alphabet de A à M. J’aime beaucoup le format du livre. Cela ressemble à un annuaire d’étoiles ou encore à un codex de l’âme.
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A Bientôt Boris Wolowiec