C'est un meurtrier didactique. Son désir de violence n'exclut pas son souci de pédagogie. Il souhaite apprendre quelque chose à celui qu'il est sur le point d'anéantir. C'est pourquoi il explique méthodiquement à son interlocuteur les circonstances et les raisons à l'origine de la situation dans laquelle ils sont tous les deux désormais. Son discours est infiniment ennuyeux et souvent il tue son interlocuteur exclusivement à travers les justifications fastidieuses de son acte. Il reste alors sur place stupidement fatigué et interdit.
S'il tue c'est uniquement pour ne pas oublier son nom. En effet à quoi bon tuer quelqu'un si on ne sait même pas comment on s'appelle. A quoi bon tuer quelqu'un si par ailleurs on ne connaît pas les avatars d’alphabet de son nom. Il pense donc qu'à la seconde de l'assassinat il est incorrect de ne pas révéler son nom. En vérité il n’a qu’un désir, celui de demander à ses victimes "Savez-vous comment je m'appelle ?". Si la victime le sait et décide de lui dire, en raison du respect des convenances et en échange de son sens du savoir vivre, il la tue.
S'il tue c'est exclusivement pour préserver la mémoire de son nom. Un jour, il s’aperçut soudain qu'il venait de perdre la chaîne d'argent sur laquelle était inscrit son nom, il cessa alors à la seconde même de poursuivre l'homme qu'il désirait assassiner. En effet, à quoi bon tuer quelqu'un si on ne sait même plus comment on s'appelle, à quoi bon tuer quelqu'un si on n'a plus la moindre preuve pour justifier le savoir de son nom. Il prit alors conscience qu'un meurtre ne serait jamais la preuve d'un nom. Il prit conscience qu’il est aussi vulgaire de croire qu'un meurtre est la preuve possible d'un nom que de croire que l’annonce de la venue d’un enfant à travers l’envoi d’une lettre anonyme est la preuve de sa naissance. A partir de cet instant il essaya de découvrir le vide du hasard et cette recherche semblait offrir au tact de ses mâchoires l'oscillation subtile du suicide de la mort.
Des cadavres il a la regrettable manie d’en découvrir sans cesse. Il suffit qu’il entre quelque part pour qu’il soit nez à nez avec n’importe quoi de mort. Ce pouvoir le fatigue et le laisse d’ailleurs parfaitement interdit. Ce pouvoir lui fait comprendre qu’il n’a pas d’âme. Cette âme il ne l’a pas perdue ou échangée contre ce qui lui aurait semblé avoir plus de valeur. Cette âme absente est justement la succession incessante de ces morts identique au souvenir d’une vérité insignifiante.
Il n’a plus tué personne depuis qu’il a concentré la totalité de sa haine dans la conjonction de coordination car qu’il a un jour définitivement anéanti. Il n’a plus tué personne depuis qu’il ne croit plus aux causes, depuis qu’il a massacré l’espoir de la cause.
Sa fureur criminelle est si futile que le désir du possible lui est interdit. Lorsqu’il rencontre quelqu’un pour la première fois, au lieu de se présenter, il lui dit « Mon ventre connaît la vérité mais pas moi. »
Il n'a pas la moindre idée de la raison pour laquelle il a décidé de crucifier cet homme. Des idées à ce sujet, il en a une infinité, mais "la moindre" il ne l'a pas. Il est cependant convaincu que ce n'est pas pour le punir qu'il a agi ainsi. Après avoir cherché distraitement de même que l'anonymat de la lumière cherche un alibi parfait, il croit savoir ; pour hypnotiser sa parole sans hypnotiser son corps.