Lecture
« Le oui léger de la lecture. » M. Blanchot
La lecture invite à une forme d’acquiescement léger, un acquiescement léger qui provoque malgré tout ensuite une forme de liberté. Le lecteur devient libre par son assentiment à ce qu’il lit, par son assentiment désinvolte à ce qu’il lit.
Il y a un labyrinthe de la lecture. La lecture compose un labyrinthe d’acquiescements.
« Vous devez apprendre à lire entre les lignes de la page blanche. » A. Chavée
Lire c’est toujours précisément cela. Lire c’est toujours lire entre les lignes du blanc. Lire c’est toujours lire entre les trajectoires du blanc, entre les trajectoires à la fois jaillies et paralysées du blanc, du blanc absurde, du blanc immense, du blanc absurde immense.
Les hommes tournent les pages des livres. Les livres tournent les pages de l’ombre des hommes.
« Je n’aurai plus jamais le courage d’apprendre à lire. » A. Chavée
La lecture révèle le courage de la subtilité. La lecture révèle l’héroïsme de la nuance.
Il y a quelque chose entre les phrases que nous lisons, entre les phrases que notre lecture préfère, entre les phrases que nous préférons par la lecture. Parfois c’est un sentiment précis, parfois une idée confuse, parfois un sentiment confus, parfois une idée précise, parfois encore les traits d’un visage, parfois un pronom, un pronom je…je…je, parfois un pronom tu…tu…tu, parfois une préposition, parfois les traits du visage d’une préposition, parfois la trajectoire d’une préposition, parfois la trajectoire de préposition d’un visage.
Lire c’est le geste de saisir au vol des fragments de sagesse, des fragments d’une sagesse qui n’est pas malgré tout notre propre sagesse. Lire c’est ainsi avoir pour unique sagesse le geste de saisir le savoir au vol. Lire c’est avoir pour unique sagesse le geste de faire usage du savoir, de faire usage du savoir au vol sans désirer cependant s’approprier à jamais ce savoir.
« La grâce (...) une liberté volée. » P. Michon
La lecture serait une forme de liberté volée. Lire ce ne serait pas malgré tout voler la liberté de celui qui écrit, plutôt celle de voler la liberté du livre même, c’est à dire une liberté asubjective, une chose de liberté, une liberté paralysée, une chose de liberté paralysée à l’intérieur de la matière, à l’intérieur de la matière pourtant subtile du papier. Lire ce serait voler une chose de liberté absurde, la chose absurde d’une liberté paralysée.
« Il faut lire un livre et ensuite le jeter ; inutile d’en parler, de le résumer et de le commenter. A quoi bon en peser les mérites et les défauts ? S’il est bon on l’incorpore à sa propre substance ; s’il est mauvais, il aura été la cause d’une perte de temps. Un point c’est tout. Pourquoi réfléchir indéfiniment sur ce qu’on a lu ? » Cioran
Malgré tout parler d’un livre c’est aussi une manière de s’incorporer le livre. Un livre s’incorpore à la fois par le silence, par le silence de la solitude et par la conversation, par la parole avec les autres.
« Le lecteur vrai est celui qui n’écrit pas. Lui seul est capable de lire un livre naïvement – unique manière de sentir un ouvrage. » Cioran
Le lecteur qui n’écrit pas n’est ni un lecteur vrai ni un lecteur faux. Le lecteur qui n’écrit pas apparait simplement plutôt comme un lecteur heureux, comme un lecteur tranquille et heureux. En effet le lecteur qui n’écrit pas ne s’inquiète jamais de ce qu’il doit ou non penser à propos du livre qu’il lit. Le lecteur qui n’écrit pas savoure uniquement la joie de lire le livre comme ça, de lire le livre comme ça pour le plaisir. Le lecteur qui n‘écrit pas ne s’inquiète pas du sens du livre. Le lecteur qui n’écrit pas savoure uniquement l’existence du livre.
« J’ai souvent l’impression que tout ce que je lis et apprend est inventé. Par contre, ce que je découvre moi-même me fait l’effet d’avoir réellement et toujours existé. » E. Canetti
Ce que je lis et apprends existe depuis toujours et ce que je découvre seul apparait inventé.
Malgré tout ce que je lis et apprends, je l’ai aussi découvert seul. Avant de lire un livre, il apparait en effet nécessaire de découvrir ce livre, de découvrir ce livre seul. C’est pourquoi ce qui existe apparait inventé, ce qui existe depuis toujours apparait inventé par ce qui existe à l’instant. Et aussi à l’inverse ce qui existe à l’instant apparait inventé par ce que existe depuis toujours.
« Je ne suis pas seul, je lis mes pareils. » P. Handke
Celui qui lit n’est pas isolé. Celui lit intensifie plutôt la forme de sa solitude. Celui qui lit intensifie la forme de sa solitude par le geste même de détruire la possibilité de son isolement. A l’inverse celui qui ne lit pas anéantit la forme de la solitude. Celui qui ne lit pas blinde, cuirasse et arme son isolement. Celui qui ne lit pas s’isole à travers la cuirasse molle de son cerveau.
« Sans la littérature, on ne saurait ce que pense un homme quand il est seul. » G. Perros
La lecture révèle à quoi ressemble le sentiment d’un homme quand il apparait presque seul, quand il apparait précisément à proximité de la solitude.
« Je songeais qu’un lecteur est toujours seul. Je songeais qu’alors qu’il est seul et qu’il lit il appartient à un groupe ; (…) et que ce groupe ne cesse d’être fait de ceux qui demeurent seuls. » P. Quignard
Le lecteur n’appartient ni à la communauté des hommes ni à la solitude. C’est comme si le lecteur se tenait seul avec, seul avec le livre, c’est à dire seul avec une communauté invisible, seul avec la communauté du vide, avec la communauté invisible du vide.
Le lecteur n’appartient pas à un groupe. Le lecteur n’appartient pas à une communauté. Le lecteur appartient plutôt à une masse, à une masse de vide, à une masse de vide asocial. Le lecteur appartient et apparait même sous l’emprise d’une masse de dissociation, de la masse de dissociation du vide, de la masse de dissociation asociale du vide. Le lecteur appartient à la masse de l’utopie, à la masse de dissociation de l’utopie, à la masse de vide de l’utopie, à la masse de vide asocial de l’utopie. Le lecteur appartient à la dissociation du vide même, à la masse de dissociation du vide même. Le lecteur appartient à la masse de vide dissociée de l’utopie, à la masse de vide dissocié asocial de l’utopie.
« Les livres ne contiennent pas en eux-mêmes l’image du lecteur auquel ils sont destinés. Ils ne se tournent pas vers ceux qui les lisent. Et rien ne les destine. » P. Quignard
Les livres se tiennent à destination du visage du vide. Les livres se tournent à destination du visage de vide de la lecture. Le livre n’est pas adressé au visage d’un lecteur. Le livre n’est pas non plus adressé à une absence de visage. Le livre se tourne comme s’adresse à destination du visage de vide du geste de lire. Le livre se tourne et s’adresse à destination du visage de vide de la pulsion de lire, de la pulsion de tranquillité de la lecture, de la pulsion de calme de la lecture.
« En lisant je pense lire davantage. » P. Handke
En lisant nous pensons parfois lire un autre livre. En lisant nous pensons parfois lire un autre livre en même temps. En lisant nous pensons aussi lire un autre livre à la fois, lire un autre livre à la même fois, lire un autre livre a la même fois du temps.
« Parfois lisant ceux dont l‘esprit s’apparente au notre, on peut être assis dans le temps comme dans une tente de prince. » P. Handke
Parfois quand nous lisons ceux dont l’âme apparait différente de la nôtre et qui malgré tout nous plait, nous avons le sentiment de nous tenir debout à l’intérieur du temps comme à l’intérieur du palais d’un mendiant.
« L’incomparable douceur du lecteur, souvent hélas, je l’ai perdue quand j’écris. » P. Handke
Un problème de celui qui écrit. Comment infuser à l’intérieur de l’écriture (du jeu de l’écriture) la tendre fraicheur de la lecture. Avec quoi sauvegarder cette douceur de la lecture, avec son regard, avec son souffle, avec le souffle de son regard, avec le souffle littéral de son regard, avec la frondaison de souffle de son regard, avec la frondaison de lettres de son regard, avec la frondaison de souffle littéral de son regard ?
Il y a parfois une démence dérisoire la lecture. Nous lisons parfois en effet les livres comme un handicapé rêve d’un jeu auquel il n’aura jamais le pouvoir de jouer, et plus paradoxalement encore d’un jeu auquel ceux qui écrivent ces livres, à savoir ceux-là même qui en inventent les règles malgré tout ne jouent pas. La malédiction de celui qui écrit est en effet de ne jamais parvenir à lire les livres qu’il écrit, ou bien à ne parvenir à lire les livres qu’il écrit que sous la forme d’un autre jeu. Celui qui écrit a écrit pour apprendre à jouer au tennis avec ses pensées et ses sentiments et son livre écrit il a alors l’impression qu’avec ses pensées et ses sentiments il a plutôt joué au bowling.
Lire comme jouer au bowling. Lire comme jouer au bowling avec la ribambelle de ses sentiments. Lire comme jouer au bowling avec la ribambelle d’ombres de ses sentiments.
« Le même mot veut dire rencontre, hasard, lecture. » D. Sibony
Ainsi savoir lire, c’est savoir rencontrer le hasard. Savoir lire c’est savoir hasarder la rencontre comme rencontrer le hasard. Savoir lire c’est savoir rencontrer la forme exacte du hasard, la forme précise du hasard. Savoir lire c’est savoir rencontrer les formes de hasard du temps, les formes de hasard exact du temps.
La lecture révèle une forme de la luxure, une forme subtile de la luxure. La lecture survient comme un vice. La lecture n’est pas une manière d’apprendre, une manière de devenir sage. Comme la débauche cherche à exténuer la chair, la lecture essaie d’épuiser l’âme.
Il y a une intense humilité à l’intérieur du seul geste de lire, humilité qui est à la fois celle de la sainteté et de l’humour. Le lecteur ressemble à un saint humoriste. Le lecteur ressemble à un saint de l’humour. Le lecteur reste en effet si humble qu’il souhaite que sa sainteté ne soit pas reconnue par les autres. Le lecteur serait une sorte de saint humoriste qui souhaiterait que son extrême humilité ne soit reconnue que par les livres même qu’il lit, par les livres qu’il lit plutôt que par ceux qui ont écrit ces livres.
La lecture n’est pas identique à la connaissance. Ce qui est connu n’apparait pas toujours lu et ce qui apparait lu n’est pas toujours connu. La lecture révèle plutôt une manière de jouer avec la connaissance, une manière de jouer avec le connu et l’inconnu, une manière de disposer les extraits du connu et de l’inconnu comme un jeu de carte ou un puzzle, comme un jeu de patience. La lecture ressemble à un jeu de patience. La lecture accomplit un jeu de patience avec le langage, avec les morceaux de puzzle et les cartes à jouer du langage, avec les morceaux de puzzle connus et les cartes à jouer inconnues ou les cartes à jouer connues et les morceaux de puzzle inconnus du langage. Ou bien encore la lecture joue aux dés avec le langage. La lecture élabore le puzzle de dés du langage.
« Elle (Gertrude Stein) définissait le lecteur ainsi « elle-même et des inconnus » sans doute parce qu’on n’imagine pas facilement communiquer avec des inconnus et pas du tout avec soi. » Stan Brakhage
Le lecteur c’est uniquement l’inconnu. Le lecteur c’est l’inconnu de l’âme, l’inconnu de l’âme en deçà du moi. Le lecteur c’est l’inconnu de l‘âme sans moi avec malgré tout les autres connus, avec les autres connus au dehors. Ou bien encore le lecteur c’est l’inconnu de l’existence et le savoir de l’existence des autres, avec le savoir de l’existence des autres, avec le savoir de l’existence des autres transmuté en indices rythmiques ou en conjonctions de coordination.
« Ce qu’il a lu lui sert à capturer ce qu’il a vécu. Sans ce qu’il a lu, il n’aurait rien vécu. » E. Canetti,
Les livres apparaissent ainsi comme des outils, des outils afin de bricoler son existence, afin de bricoler les événements de son existence. Il y a ceux qui utilisent les livres pour coller les événements de leur existence, d’autres pour tamiser, d’autres pour découper, d’autres pour clouer, d’autres pour raboter, d’autres pour brûler, d’autres pour empaqueter les événements de leur existence.
« N’écrit-on des livres que pour les lire, ou non point aussi pour l’usage domestique ? Contre un seul qui est lu, mille sont feuilletés, un autre mille demeure dans la bibliothèque, (…) plusieurs servent d’escabeaux, de tabouret, de tambour, d’assiette pour le pain d’épice, à tenir la fenêtre ouverte et d’autres enfin d’allume-pipe. » Lichtenberg
Les livres apparaissent écrits à la fois afin d’apparaitre lus et afin de devenir des outils, afin de devenir des outils de métaphores, afin de devenir des outils de métaphores comme des métaphores d’outils, afin d’avoir un usage métaphorique à l’intérieur même du monde.
Le lecteur apparait comme un bricoleur d’ombres. Le lecteur bricole des ombres de tranquillité. Le lecteur bricole des ombres de tranquillité au grand bonheur le charme.
« Lire nous abstrait de la vie. Mais peut nous la faire trouver étonnante. On relève la tête de son livre et, tout étonné, on se retrouve dans le présent. » C. Dantzig
Nous lisons aussi pour retrouver le monde, pour retrouver la présence du monde, la présence étonnante du monde. Quand nous lisons, nous jouons un instant à perdre le monde afin de retrouver ensuite un monde plus miraculeux encore. Nous lisons afin d’intensifier le miracle du monde. Nous lisons afin d’intensifier le miracle du monde par le geste de s’amuser à avoir l’illusion de perdre le monde.
Nous lisons comme nous jouons au yoyo avec le miracle du monde, afin de parvenir à faire apparaitre et disparaitre le miracle du monde à loisir. Le lecteur devient ainsi le prestidigitateur du miracle. Le lecteur devient celui qui a le sentiment que c’est encore un miracle, une autre forme de miracle que d’avoir l’aptitude à faire disparaitre le miracle, que d’avoir le pouvoir de faire disparaitre le miracle par la subtilité même de notre oisiveté.
« Le bon lecteur écrit en même temps qu’il lit. » C. Dantzig
Le bon lecteur (ou plutôt le lecteur efficace) schématise en même temps qu’il lit. Le lecteur efficace schématise en même temps qu’il lit sans cependant écrire. Ce que le lecteur efficace ajoute au livre, ajoute à l’intérieur des marges du livre à l’instant où il lit, ce ne sont pas des pensées, des mots ou des phrases, ce sont plutôt de simples traits, des scansions, des rythmes. (A l’inverse, lorsque le lecteur choisit d’écrire en même temps qu’il lit, plutôt que de clarifier son approche du livre, il a alors tendance à rendre cette approche inextricable, cette lecture inextricable. Lorsque le lecteur écrit en même temps qu’il lit, ce n’est pas afin de toucher et d’aimer le livre qu‘il lit, c’est pour le recouvrir, le cacher, le dissimuler, le masquer sous ses propres pensées.)
Le lecteur efficace c’est-à-dire le lecteur amoureux caresse le livre qu’il lit avec des rythmes, avec des rythmes de traits, cependant il n’y écrit pas. Il apparait évidemment extrêmement amusant et plaisant de réécrire un livre qui a été lu, malgré tout il reste préférable de réécrire ce livre après l’avoir aimé. Réécrire le livre apparait ainsi comme le geste de raturer la joie de son amour, de raturer et de métamorphoser la joie de son amour.
« Le lecteur actif fait des expériences sur les livres, il essaie des transpositions. » P. Valéry
La lecture n’est pas un acte de compréhension et d’interprétation d’un livre. La lecture apparait plutôt comme un geste de recomposition d’un livre. Lire c’est recomposer le livre d’un autre par le geste de suivre des rythmes et des sentiments qui ne sont pas ceux de l‘auteur du livre et qui ne sont pas non plus malgré tout les rythmes et les sentiments du lecteur, rythmes et sentiment qui ne sont pas subjectifs, qui ne sont ni conscients ni inconscients, rythmes-schèmes de sentiments qui apparaissent plutôt comme ceux de la lecture même, ceux de la météorologie de la lecture, de la météorologie instantanée de la lecture.
« Bien que certains auteurs nous aient eux-mêmes avertis que nous étions libres de lire leurs textes à notre guise et qu’en somme ils se désintéressaient de notre choix (Valéry), nous percevons mal encore à quel point la logique de la lecture est différente des règles de la composition. » R. Barthes
La lecture compose malgré tout elle aussi. La lecture compose des coïncidences et des amalgames. Simplement ce que la lecture compose n’a pas toujours la forme d’une phrase. La lecture compose plutôt des partitions, des partitions rythmiques de pensées, de sentiments et d’intuitions. Et ces partitions de la lecture apparaissent aussi comme des pétrissages. La lecture parfois roule le texte en boule, parfois elle étire le texte comme une pâte et alors des fragments qui à l’intérieur du texte étaient éloignés deviennent proches ou à l’inverse des fragments qui à l’intérieur du texte étaient proches deviennent éloignés.
La lecture mâche parfois encore aussi le texte comme un chewing-gum. La lecture insuffle alors soudain de l’air dans une de ses parties qui se dilate en une bulle absurde. Ce qui pour l’auteur était lourd, par cette rumination de notre lecture devient léger ou à l’inverse ce qui pour l’auteur était léger par la rumination de notre lecture devient lourd. Du minuscule lourd pour l’auteur devient du dilaté léger pour le lecteur ou du minuscule léger pour l’auteur devient du dilaté lourd pour le lecteur. La lecture modifie ainsi à loisir les tailles et les densités du texte.
« Ce que l’on écrit en se jouant, un autre le lit avec tension et passion. Ce que l’on écrit avec tension et passion, un autre le lit en se jouant. » P. Valéry
Le sentiment du lecteur ne coïncide jamais avec le sentiment de celui qui écrit. Ou cette rencontre des sentiments ne s’accomplit que par hasard. Paradoxalement celui qui écrit et le lecteur partagent des expériences et des formes (et des formes d’expériences) sans presque jamais partager les sentiments qui correspondent à ces formes, à ces expériences, à ces formes d’expériences. Celui qui écrit et le lecteur partagent des formes d’expériences sans jamais partager le sentiment de ces formes d’expériences. Celui qui écrit et le lecteur partagent des formes et des expériences de sentiments sans jamais partager le même sentiment de la forme et le même sentiment de l‘expérience.
Le lecteur apparait parfois comme un acteur. Le lecteur joue le livre. Le lecteur joue le livre comme un acteur joue le rôle d’un personnage. Le lecteur joue le personnage du livre. Le lecteur joue le rôle du livre. Le lecteur joue le à tour de rôle du livre, la tournure de rôle du livre.
« Le rôle est dans la tête. Il ne s’agit pas de jouer tout le rôle en permanence mais celui-ci reste cependant présent dans sa globalité comme un fil qui se déroulerait d’une pelote qu’on aurait en soi. » I. Huppert
Lire ce serait ainsi transformer le volume de papier du livre en pelote de laine, en pelote de laine de la tournure d’un rôle, en pelote de laine du à tour de rôle de ses intuitions. Lire c’est jouer avec l’écran de papier du livre comme un chat joue avec une pelote de laine.
« Imaginez un acrobate muet, manchot, mais tellement doué qu’il puisse s’exprimer, parler avec les jambes. On dirait de lui c’est extraordinaire il parle avec les pieds. On ne remarquerait peut-être pas que le plus étrange c’est qu’il se sert aussi de sa tête pour marcher. » L. Skorecki
Le lecteur apparait comme un acrobate manchot et muet. Le lecteur marche avec la tête et parle avec ses pieds. Le lecteur marche avec l’ombre de la tête comme parle avec la clarté de ses pieds. Le lecteur marche avec l’élan de sa tête et parle avec la paralysie de ses pieds. Le lecteur marche avec l’élan d’ombre de sa tête et parle avec la paralysie de clarté de ses pieds.
« Quelle était non la raison de toutes les choses mais leur articulation ? Comment tout cela était-il lié ? Je faisais à l’écrit une confiance absolue pour me le dire. » C. Dantzig
La lecture révèle ainsi d’abord des relations, des relations qui ne sont pas toujours celles de la raison et du sens. La lecture révèle des relations irrationnelles et insensées. La lecture révèle que l’insensé lui aussi compose, que l’insensé à la fois provoque et propose des pactes de formes, des rencontres de formes, des coïncidences de formes.
« Le lecteur enthousiaste se tient pour un poète, et il a bien raison. » P. Handke
Le lecteur enthousiaste se tient pour un poète et il a déraison. Il a déraison en deçà du bien et du mal. Le lecteur enthousiaste se tient pour un poète et il s’amuse ainsi à avoir tranquillement déraison en deçà du bien et du mal.
« Lecture est examen ou contemplation de l’écrit. » P. Beck
Lire c’est contempler l’écriture. Lire c’est contempler l’écriture à l’extrémité des doigts. Lire c’est contempler l’écriture à l’extrémité du souffle des doigts. Lire c’est contempler l’écriture à l’extrémité de la respiration des doigts.
Lire c’est chercher à qui se taire comme lieu où parler. Écrire c’est chercher à qui parler comme lieu où se taire.
Lire à la lueur de son ombre. Ecrire c’est lire à la lueur de son ombre. Seul celui qui écrit sait comme lire à la lueur de son ombre.
Lire c’est revenir de loin à petits pas. Écrire c’est à l’inverse revenir de sa paralysie à coups de lointains multiples. Ecrire c’est revenir de son immobilité par une suite de lointains multiples, par une suite de lointains innombrables.
Lire affirme le geste d’avoir le temps autour de l’espace. Ecrire affirme le geste d’avoir l’espace autour du temps.
Lire c’est ramper, nager, voler à l’intérieur du monde d’un autre afin de savoir comment marcher à l’intérieur de son monde. Ecrire à l’inverse c’est ramper, nager et voler à l’intérieur de son monde afin de savoir comment marcher à l’intérieur du monde des autres.
Lire c’est courir assis. Relire c’est nager à quatre pattes. Relire c’est nager à cloche-pied. Relire c’est nager à quatre pattes cloche-pied. Relire c’est nager accroupi. Relire c’est nager accroupi à cloche-pied. Ecrire c’est voler debout.
La lecture excite la tranquillité. La lecture excite les cils. La lecture excite la tranquillité des cils.
« Rien n’est difficile à l’homme comme de se reposer. » H. Michaux
La lecture révèle une forme intense de repos. La lecture révèle une forme intense de décantation. La lecture décante les illusions, les allusions, les hallucinations. La lecture élabore à la fois une décantation et un embouteillement. La lecture embouteille l’âme à l’intérieur de sa décantation même.
Lire c’est se reposer avec les orteils de l’autre, avec les pieds de l’autre. Lire c’est veiller sur les épaules de l’autre comme somnoler à ses pieds.
Lire c’est apprendre à marcher sur les ailes. Lire c‘est apprendre à marcher sur les ailes à la fois comme l’acrobate marche sur les mains et comme le passant maladroit nous marche sur les pieds. Lire c’est marcher sur les ailes de la tête. Lire c’est marcher sur les ailes de la tête de l’autre. Lire c’est marcher sur les ailes de la tête de l’autre avec les pieds de ses sentiments, avec les pieds de sa pensée, avec les pieds de sentiments de sa pensée.
Lire c’est le geste de sentir que les livres apparaissent simplement écrits par la clarté du jour avant d’apparaitre écrits par des hommes et des femmes. Lire c’est parfois sentir que les livres apparaissent d’abord écrits par la clarté du jour et que les hommes et les femmes qui ensuite signent (et titrent) ces livres apparaissent comme des prénoms de cette clarté du jour.
« Le soleil ne se contente plus de nous éclairer. Il nous lit ! Et cela est désastreux. » R. Char
Le problème de l’éthique serait ainsi de savoir par quoi ou par qui nous désirons être lus nous voulons apparaitre lus. Celui qui désire devenir un livre lu par le soleil n’a pas les mêmes paroles et les mêmes gestes que celui qui aimerait apparaitre lu par la lune.
Qui serait le plus élégant et le plus sage lecteur de notre existence ? L’homme ? N’importe quel homme ? Un homme précis ? Une femme ? N’importe quelle femme ? Une femme précise ? Le vide ? Le vide entre l’homme et la femme ? Le vide entre n’importe quel homme et n’importe quelle femme ? Le vide entre un homme précis et une femme précise ? Ou bien encore le ciel, la terre, l’eau ou le feu ? Ou bien les nuages. Les nuages surviennent comme les plus intenses et les plus nuancés des lecteurs.
Il y a une relation subtile entre la lecture et la pluie. Lire quand il pleut apaise. Lire quand il pleut dehors apaise l’âme. Lire quand il pleut au dehors apaise l’élan de l’âme.
Il y a une relation matérielle entre la pluie et la lecture. Il y a un pacte matériel entre la pluie et la lecture, un pacte physiologique, anatomique, musculaire, humoral et hormonal même entre la pluie et la lecture. Pourquoi est-il si apaisant de lire quand il pleut ? Précisément parce qu’alors les mots semblent tomber du ciel comme des météores de la littéralité.
« Nous oublions les météores, nous donnons toujours une causalité humaine à mille événements dont décide le climat. » M. Serres
Lire c’est sentir le climat du langage. Lire c’est flairer, humer les aléas climatiques du langage, les aléas atmosphériques du langage. Lire c’est sourire aux mutations du langage. Lire c’est écouter doucement les mutations subtiles du langage. Lire c’est écouter doucement les mutations de pluie et de beau temps du langage. Lire c’est écouter les nuances du langage, les nuances climatiques du langage, les nuances atmosphériques du langage, les nuances météorologiques du langage, et y acquiescer, y acquiescer en souriant. « La nuance : elle implique un rapport au temps qu’il fait, en ancien français « nuer ». » R. Barthes
« Sans mes livres que puis-je faire ? Cette vieille question nous mène à un mode d’existence que l’on ne peut plus considérer comme actuel. Il ne s’agissait pas à l’époque de lire comme si c’était un moyen de se former, détestable usage du livre. Non, c’était seulement un mode d’existence. (…) C’est bien ainsi que cela vaut la peine d’exister, rien que pour lire un livre, pour voir les immenses horizons d’un pays, la terre, le ciel ? Non, rien qu’un livre. Grâce à lui on peut bien vivre. » M. Sgalambro
« Je rêve d’une terre dépouillée sans animaux, ni traces de vie, les ouragans eux-mêmes n’y trouveraient nul obstacle, mais, sans encombre, passeraient comme un léger souffle de vent. » M. Sgalambro
La lecture comme mode d’existence, comme forme d’existence apparait ainsi semblable à un vent absolu, au geste de savourer un vent absolu, un vent absolu qui souffle tranquillement sur la disparition même de la terre et du ciel. Lire un livre c’est une manière d’exister avec le vent, avec la paralysie du vent. Lire un livre c‘est une manière d’exister en compagnie du vent, en partageant le pain avec le vent, en partageant le pain du crâne, le pain de lointain du crâne avec la paralysie du vent, avec la paralysie absolue du vent.
« Le Dieu de la lecture ? ... Mais il n’y en a pas. » C. Dantzig
La lecture invente une forme de météorologie athée, une météorologie athée des sentiments. La lecture invente une forme de météorologie athée par composition rythmique des sentiments, par composition schématique des sentiments. La lecture invente une forme de météorologie athée par nuances des sentiments, par nuances rythmiques des sentiments, par nuances schématiques de sentiments.
Il y a une masse végétale des livres. Savoir sentir l’ivresse d’une civilisation par la masse des livres, par la masse végétale des livres.
« Végétation étrange que les œuvres. Étranges saisons que les lecteurs. » P. Quignard
Les livres apparaissent ainsi semblables à des arbres, des arbres qui essaient d’imaginer et de provoquer des formes inouïes de saisons, des formes de saisons que les hommes ne connaissent pas encore, et même des formes de saisons qui restent à jamais inconnues, des formes de saisons que les hommes ainsi ressentent sans jamais parvenir à les penser, des formes de saisons que les hommes ressentent précisément comme restes de l’inconnu, comme restes inouïs de l’inconnu, comme formes de l’inconnu, comme formes inouïes de l’inconnu.
« Le livre est un grand arbre émergé des tombeaux. » A. Jarry
La lecture apparait comme un petit tombeau, comme un tombeau miniature immiscé au sommet d’un arbre.
Les livres ne sont des tombes que lorsqu’ils sont lus par des vivants. Les livres deviennent malgré tout des maisons quand ils apparaissent lus par des gestes d’immortalité.
« Pour un auteur une œuvre ne l’aide pas du tout à vivre. » « Mes livres (…) ne me semblent avoir aucune relation avec moi. C’est comme des chambres, des maisons dans lesquelles nous avons vécus il y a longtemps. Nous y songeons rarement, elles sont vides, elles ne remplissent plus aucune fonction dans notre vie. » Cioran, Cahiers
Les livres apparaissent comme des maisons de papier. Malgré tout ces maisons de papier ne sont pas vides. Ces maisons de papier surgissent plutôt saturées de formes d’oubli, de formes exactes d’oubli. Les livres qu’un homme écrit ne lui sont pas utiles pour vivre. Les livres qu’un homme écrit lui apparaissent utiles afin d’oublier, afin de perdre avec précision sa vie. Écrire un livre c’est une manière d’oublier sa vie sans oublier malgré tout le temps de son existence, sans oublier les formes de temps de son existence, les postures de temps de son existence. Écrire un livre c’est une manière d’oublier les événements de sa vie sans oublier les gestes de solitude de son existence, les gestes de solitude particulière de son existence.
Lire comme marcher à la surface des livres. Lire comme marcher à la surface de la terre des livres. Lire comme marcher à la surface de la terre ravissante, volubile et volage des livres.
Imaginer un homme qui n’aimerait lire qu’à l’intérieur des tremblements de terre.
Plonger à l’intérieur de la lecture. Il y a différentes manières de plonger à l’intérieur de la lecture. Plonger à l’intérieur de la lecture comme plonger à l’intérieur d’un bain. Plonger à l’intérieur de la lecture comme plonger à l’intérieur d’un puits. Plonger à l’intérieur de la lecture comme à l’intérieur d’un pont d’eau. Lire comme plonger à l’intérieur du pont d’eau des phrases, du pont d’eau de la suite des phrases.
Lire comme marcher sur l’eau. Lire comme marcher sur l’eau jusqu’à plonger à l’intérieur même du tremplin. Lire comme marcher sur le pont d’eau de la parole. Lire comme marcher sur le pont d’eau de la parole jusqu’à plonger à l’intérieur du trampoline de feu du silence.
Le lecteur se tient à la lisière du temps.
La lecture révèle l’alcool de la monotonie.
Le lecteur ressemble à un anarchiste de la solennité.
Lire afin de retourner le désert comme un sablier.
Lire uniquement ce qui apparait enseveli. Ensevelire. Lire comme ensevelir. Lire comme ensevelir le vide à l’intérieur du temps. Lire comme ensevelir le temps à l’intérieur du vide.
Comment enterrer le vide ? Comment enterrer le vide dément de ce qui existe malgré tout à l’intérieur d’un autre lieu. Comment ensevelir ce vide afin de le retrouver ensuite à loisir ? Eh bien par le simple le geste de le lire. Seule la lecture sait comment ensevelir le vide. Lire c’est ensevelir le vide, c’est ensevelir le vide de la terre même. Lire c’est ensevelir le vide de la terre pour le retrouver à l’intérieur d’un autre temps, à l’intérieur d’une autre forme du temps.
La lecture révèle la géologie du ciel. La lecture révèle les gestes de géologie du ciel. La lecture révèle l’insouciance du ciel. La lecture révèle les gestes d’insouciance du ciel. La lecture révèle la géologie d’insouciance du ciel.
La lecture dodeline. La lecture dodeline le regard. La lecture dodeline le regard à l’intérieur de la tête. La lecture dodeline la tête à l’intérieur du regard.
Le lecteur déambule. Le lecteur déambule comme l’éboueur des sourires. Le lecteur déambule comme l’éboueur de l’utopie. Le lecteur déambule comme l’éboueur de sourires de l’utopie.
La lecture dispose les poumons à l’intérieur des pieds. La lecture dépose les poumons au sommet des pieds. La lecture dépose le sourire des poumons au sommet de l’appel des pieds.
Lire comme pousser une brouette. Lire comme pousser une brouette de brouillard. Lire comme pousser la brouette de brouillard de l’aujourd’hui.
Lire un livre comme un enfant joue à la balançoire. Lire à la surface d’une balançoire comme une femme porte un enfant.
Lire comme un enfant parle à voix haute à la disparition d’un vieillard. Lire comme un vieillard parle à voix perdue en présence d’un enfant.
Lire comme faire infuser les livres à l’intérieur du bol vide du crâne.
Lire comme avoir plusieurs cordes à son arc. Lire comme avoir plusieurs cordes à l’arc du crâne.
La lecture projette un manège de paroles sur l’écran du crâne.
Il y a une aura de sueur de la lecture. Sur le mur blanc de la chambre reste incrusté l’aura de sueur sombre de la lecture.
Lire comme tourner à l’intérieur de sa chambre. Lire comme tourner à l’intérieur de sa chambre jusqu’à ce que sa chambre explose.
Lire c’est labourer les cendres. Lire c’est labourer les cendres à la recherche du feu, à la recherche de la racine du feu.
Apprendre à lire à l’intérieur d’une cheminée. Apprendre à lire en marchant à l’intérieur d’une cheminée. Apprendre à lire en dansant à l’intérieur d’une cheminée. Apprendre à lire comme marcher à l’intérieur d’un mur de braises. Apprendre à lire comme danser à l’intérieur d’un mur de braises. Apprendre à lire comme marcher à l’intérieur d’un mur de feu, à l’intérieur du mur de feu du silence. Apprendre à lire comme danser à l’intérieur du mur de feu du silence.
« L’ouvrage de l’écrivain n’est qu’une espèce d’instrument d’optique qu’il offre au lecteur. » M. Proust
Lire c’est examiner sa vie au microscope ou au télescope. Lire comme examiner ses pensées au microscope et ses sentiments au télescope. Ou à l’inverse lire comme examiner ses sentiments au microscope et ses pensées au télescope.
Lire son ennui avec un microscope. Relire son extase avec un télescope. Lire l’ombre de son ennui avec un microscope. Relire le désespoir de son extase avec un télescope. Relire le désespoir de son extase avec le télescope d’un nuage.
Il y a parfois des livres que nous ne parvenons pas à lire simplement parce que nous ne savons pas comment poser ces livres avec évidence et précision à la surface d’une table.
Classer les livres selon les postures et les lieux de notre lecture. Il y a ainsi les livres que nous lisons assis à une table, les livres que nous lisons allongés à l’intérieur d’un lit, les livres que nous lisons debout à proximité d’une porte, les livres que nous lisons debout accoudés à une fenêtre.
Les livres lus allongé l’intérieur d’un lit s’inscrivent à l’intérieur de la mémoire d’une manière différente que les livres lus assis à une table. Les livres lus allongés à l’intérieur d’un lit s’adressent plutôt au désir, au désir sexuel, au désir des muscles, au désir sexuel des muscles. Les livres lus assis à une table s’adressent plutôt à la volonté, à la volonté des os, à la volonté d’équilibre des os.
« Ne plus savoir quel est le millénaire cela s’appelle aimer et cela s’appelle lire. » P. Quignard
La lecture comme l’amour amalgame les siècles. La lecture comme l’amour amalgame ou dissocie les siècles en un instant, en un clin d’œil. La lecture comme l’amour parvient à condenser les paroles, les visages, les événements d’innombrables siècles en un espace mental minuscule et à le faire ensuite tourner sur lui-même comme une toupie.
Lire ressemble au geste de faire l’amour avec une femme à l’intérieur d’un lit. Écrire ressemble au geste de faire l’amour avec un lit à l’intérieur d’une femme.
« Je n’ai plus souvenance de la majeure partie de ce que j’ai lu, un peu comme j’oublie ce que j’ai mangé, bien que je sache que l’une et l’autre contribuent au maintien de mon esprit et de mon corps. » Lichtenberg
L’homme ne lit pas d’abord afin de connaitre. L’homme lit d’abord afin de manger le langage. L’homme lit d’abord afin à la fois de transformer sa chair et afin de parvenir à tenir sa chair en équilibre. L’homme lit afin d’équilibrer sa métamorphose comme afin de transformer son équilibre.
La lecture apparait parfois comme une forme du besoin. Lire comme manger un livre. Lire comme manger un livre par nécessité. Dévorer un livre non pas pour connaitre la fin de l’histoire. Dévorer un livre plutôt afin de sentir l’inachèvement du destin.
« Celui qui lit, qui pense, qui attend, le flâneur sont des types d’illuminés aussi bien que le mangeur d’opium, le rêveur, l’enivré, (…) pour ne rien dire de cette drogue terrible entre toutes à savoir nous-mêmes que nous absorbons dans la solitude. » W. Benjamin
Le lecteur se tient entre le rêve et l’ivresse. Le lecteur rêve l’ivresse. Le lecteur rêve l’ivresse comme légende de la lucidité. Le lecteur rêve l’ivresse comme illusion du hasard. Le lecteur rêve l’ivresse à la fois comme illusion du hasard et comme légende de la lucidité, à la fois comme légende du hasard et comme illusion de la lucidité.
« Entouré de livres, il ne peut se saouler, ils contiennent eux-mêmes leur vin. » E. Canetti
La seule manière de saouler un livre c’est de vider ce livre, c’est de vider ce livre en le lisant. Ou plutôt la seule manière de saouler un livre c’est de vider ce livre entre un homme et une femme ou entre le jour et la nuit. La seule manière de saouler un livre c’est de vider ce livre entre un homme de jour et une femme de nuit ou entre une femme de jour et un homme de nuit.
« Après avoir bu une vie, il se sentait un peu moins seul. » cité par C. Dantzig, Pourquoi Lire ?
Celui qui écrit après avoir mangé son ombre se sent encore plus seul. Celui qui lit après avoir bu l’ombre d’un autre se sent aussi seul que la dernière ombre venue.
Il y a un aspect lacté de la lecture, une allure lactée de la lecture. Lire c’est s’allaiter au langage, à la sidération du langage. Lire c’est s’allaiter à la clarté du langage, à la clarté stellaire du langage.
Il y a une levure à l’intérieur des livres. Il y a une levure d’étoiles à l’intérieur des livres. A l’intérieur des livres repose la levure des paroles, la levure d’au-revoir des paroles, la levure d’étoiles des paroles. A l’intérieur des livres repose la levure d’aveuglement des paroles, la levure d’étoiles aveugles des paroles.
Lire apparait aussi comme une manière de se vêtir avec des livres, de se vêtir avec des livres afin de parvenir malgré tout à sentir les éclats de nudité de la chair. Nous portons les livres sur notre corps comme des vêtements afin à l’instant où nous les enlevons, où nous les oublions de découvrir une forme de nudité de notre corps que nous n’avions pas jusqu’à présent rencontrée.
Lire assis sur ses vêtements. Ecrire déshabillé debout au sommet de sa chair. Savoir lire assis sur ses vêtements. Savoir écrire debout au sommet de sa chair.
« Que lis-tu, me dit-il ou plutôt quel âge as-tu ? Car on ne connait l’âge que par le livre. » M. Jacob
La lecture révèle l’âge. La lecture révèle l’âge de l’âme. La lecture révèle l’âme comme forme de l’âge et l’âge comme forme de l’âme. La lecture ne révèle pas l’âge de l’homme qui lit. La lecture révèle l’âge de l’âme qui lit. La lecture révèle l’âge de l’âme qui lit en marge des hommes, l’âge de l’âme qui lit en marge de la masse des hommes, en marge de l’humanité même.
La lecture abstrait. La lecture abstrait de la masse de l’humanité et donne à cette abstraction la forme d’un âge. La lecture abstrait de la masse des hommes comme âge d’âme. La lecture sculpte l’abstraction du temps. La lecture sculpte et inhale l’âme comme âge du temps, comme âge abstrait du temps.
« Ses lectures ne prennent pas corps. » Canetti Notes de Hampstead
Lire c’est cartographier son âge. Lire c’est cartographier les gestes de son âge, les trajectoires de son âge, les pistes de chant de son âge, les pistes de chant à la fois de son prénom et de son âge, de son nom et de son âge. Ces pistes de chant de l’âge n’apparaissent pas malgré tout à l’intérieur de l’espace. Ces pistes de chant de l’âge apparaissent plutôt à l’intérieur de la mémoire, à l’intérieur d’une mémoire qui n’est pas celle du corps ou du cerveau, à l’intérieur de la mémoire du sentiment, à l‘intérieur de la mémoire du sentiment d’exister.
Lire c’est cartographier les pistes de chant des âges à l’intérieur du sentiment de la paralysie, à l’intérieur du sentiment de temps de la paralysie. Lire c’est cartographier les pistes de chant des âges à l‘intérieur de l’excitation de la paralysie, à l’intérieur de l’excitation de temps de la paralysie, à l’intérieur de l’excitation de paralysie du temps.
Lire afin d’apprendre la disparition de son nom. Lire afin d’apprendre par cœur la disparition de son nom.
Nous apprenons à lire en suivant les phrases à l‘extrémité des doigts. Lire c’est suivre les voix avec les doigts. Lire c’est suivre la trajectoire des voix à l’extrémité de l’index. Et parfois aussi à l’inverse suivre la trajectoire des doigts à l’extrémité de la voix, suivre la trajectoire de la main à l’extrémité de la voix.
« Des images muettes qui parlent, n’est-ce pas une chose sublime ? » L. Skorecki (à propos du cinéma)
A l’inverse, le livre donne à sentir des voix imaginaires, des voix imaginaires qui se taisent. Le livre donne à sentir des images de voix, des images de voix qui se taisent. Le livre donne à toucher le miracle de voix qui se taisent, d’images de voix qui se taisent. Lire c’est toucher des voix. Lire c’est toucher des images de voix, des images de voix qui se taisent.
Le geste de lire ressemble à celui de parler avec des voix, avec des voix qui se taisent. Le geste de lire ressemble à celui de parler à des silences de voix.
Les enfants qui meurent de faim sont aussi malgré tout des lecteurs. Les enfants qui meurent de faim lisent le livre du désert, le livre de poussière du désert.
Le problème n’est pas de savoir quel livre unique emporter dans une ile déserte. Le problème c’est plutôt de savoir quel pays, quel pays d’hommes innombrables emporter à l’intérieur de sa bibliothèque.
« Bombardez les cimetières ! supplient les squelettes. » C. Dantzig
La bibliothèque d’un lecteur ressemble à un cimetière bombardé. La bibliothèque d’un lecteur ressemble à un cimetière bombardé par des rythmes de sentiments, par des nuances de sentiments, par des nuances rythmiques de sentiments, par des nuages de sentiments, par des schémas nuageux de sentiments, par des schèmes nébuleux de sentiments.
Il y a une réverbération des livres. Il y a une réverbération des livres sur les lèvres des lecteurs, sur les lèvres de l’absurdité, sur les lèvres de lecteurs de l’absurdité.
Chaque livre ressemble à une boite aux lettres. Le livre ouvert ressemble à la boite à lettres de la multiplicité des lectures. Le livre fermé ressemble à la boite aux lettres du vide de l’extase.
La lecture légende le vide. La lecture légende le regard du vide. La lecture transforme le regard du vide en ombre légendaire. Ou la lecture transforme l’ombre du vide en regard légendaire. Ou la lecture transforme la légende du vide en ombre du regard.
« Tout voyageur peut être considéré comme un myope. Il ne voit pas plus loin que l’horizon. La carte est un moyen d’agrandir son champ de vision. Pour agrandir son champ de vision, le voyageur a donc besoin d’une carte. Ainsi la carte du labyrinthe répond au labyrinthe. L’histoire de la cartographie est donc une entreprise de destruction des labyrinthes. » R. Ruiz
Il y a un geste cartographique de la lecture. Lire c’est détruire le labyrinthe de l’horizon. Le problème reste malgré tout de savoir ce que la lecture cartographie. La lecture cartographie-t-elle l’espace du dedans ou l’espace du dehors ? La lecture cartographie-t-elle la pensée de l’homme ou le dehors du monde ? Ou bien la lecture cartographie-t-elle la frontière entre la pensée de l’homme et le dehors du monde. La lecture détruirait alors le labyrinthe des innombrables horizons enchevêtrés, entrelacés, noués entre l’homme et le monde.
« Le lecteur n’a jamais lu. Il se jette sur un manuscrit comme don juan sur sa prochaine victime. » G. Perros
Le lecteur apparait comme le don-juan de sa candeur. Le lecteur essaie de séduire sa candeur même.
Le livre viole l’âme de ceux qui le lisent et vole la pensée de ceux qui ne le lisent pas. Le livre dévore l’âme de ceux qui le lisent et vomit le cerveau de ceux qui ne le lisent pas.
« Il y aurait un musée des sentiments à construire. » P. Valéry
La lecture serait un tel musée des sentiments. La lecture ressemble à un musée des sentiments éprouvés par les signes de ponctuation, un musée des sentiments éprouvés par des points de suspension, un musée des sentiments révélés par le regard hagard des signes de ponctuation, par le regard hagard des points de suspension.
« Quand nous lisons un vieil ouvrage, c’est comme si nous parcourions tout le temps qui a passé entre le moment où il a été écrit et nous-mêmes. » J. L Borges
Malgré tout nous ne parcourons toujours ce le temps passé entre l’instant où le livre a été écrit et notre existence de la même manière. Parfois nous parcourons ce temps en un clin d’œil, ou encore en un clin du cœur. Parfois nous avons besoin de plusieurs années. Nous lisons alors le livre en un âge de joue ou une année de front. Parfois nous avons besoin pour lire un livre de plus de temps que notre existence même. Nous lisons le livre en siècles, en siècles de squelettes. Nous lisons le livre avec la pulsion d’immortalité de nos os. Nous lisons le livre avec l’audace d’insouciance immortelle de nos os.
« Qu’est-ce que vingt-neuf siècles pour nous ? A peine la minute qu’il nous faut pour prendre l’Iliade dans notre bibliothèque. » P. Besson
Lire c’est avoir des siècles de civilisation entre les doigts. Lire c’est se vernir les ongles avec des siècles de civilisation. Lire c’est utiliser des temps immenses de civilisation comme cosmétique instantané de l’âme.
A l’époque des papyrus, les hommes lisaient les livres comme s’ils fumaient une gigantesque cigarette, une gigantesque cigarette de pensée, une gigantesque cigarette de rêve avec leur bouche, avec l’attention de leur bouche.
Entre l’écriture et la lecture, l’imprimerie pose un homme. Entre l’écriture et la lecture, la calligraphie pose le vide d’un homme.
« La multitude de livres n’est jamais dangereuse mais un livre seul est dangereux. (…) La lecture de nombreux livres mène à la sagesse et la lecture d’un seul à l’ignorance armée de folie et de haine. » D. Kis
C’est pourquoi il est préférable de lire de multiples livres en même temps, et cela afin que le temps nous offre de multiples visages à la fois, afin que le temps nous offre de multiples visages et parfois de multiples formes.
Des livres qui se multiplieraient quand ils sont lus avec intensité. Et d’autres livres qui a l’inverse se diviseraient lorsqu’ils sont feuilletés de façon négligente.
« Les livres captivent. Captiver c’est enfermer en emprisonnant. La lecture des livres est captivante. Elle rend captif le souffle. » P. Quignard
Les livres captent le crâne. Les livres captent le crâne avec la respiration du papier. Les livres captent le ballon du crâne. Les livres captent le ballon du crâne avec la respiration du papier. Et à l’inverse aussi les livres projettent le papier à l’intérieur du crâne. Les livres projettent le ballon du papier à l’intérieur de la respiration du crâne. Ou plutôt les livres projettent le ballon du papier à l’intérieur du crâne de la respiration.
Les livres captent la jonglerie du crâne. Les livres captent la jonglerie du crâne par la respiration du papier. Et à l’inverse, les livres projettent la respiration du crâne, les postures de respiration du crâne par la jonglerie du papier, par la jonglerie de paralysie du papier.
« Nous lançons des bouts de papier vers des silhouettes qui sont vaines. » P. Quignard
Celui qui écrit adresse des silhouettes au papier. Celui qui écrit adresse des silhouettes de lettres au papier. Celui qui écrit adresse des silhouettes au papier comme adresse un tas de papier à une silhouette lointaine, à la silhouette du lointain. Le lecteur attend comme silhouette du lointain. Le lecteur attend comme silhouette du lointain en dehors de l’horizon. Le lecteur attend comme silhouette d’ombre du lointain qui esquive l’obligation de jugement de l’horizon.
Quel est le spin d’un livre ? Le livre retrouve-t-il sa forme à chaque page tournée ou après un nombre précis de pages tournées, ou après avoir été lu en intégralité ou après avoir été lu en intégralité et retourné, ou après avoir été retourné sans avoir jamais été lu ?
Plusieurs types de lecteurs. Ceux qui tournent les pages d’un livre avec la main. Ceux qui tournent les pages de leurs mains avec un livre. Ceux qui tournent les pages d’un livre avec leur cerveau. Ceux qui tournent les pages de leur cerveau avec un livre. Ceux qui tournent les pages d’un livre avec leur sexe. Ceux qui tournent les pages de leur sexe avec un livre.
Lire c’est tourner autour d’un livre. Malgré tout, il y a d’innombrables manières de tourner autour d’un livre. Par exemple en volant comme un rapace, en encerclant le livre comme une meute de loups, en faisant la ronde comme un petit enfant ou en marchant comme un vieil homme qui fait une promenade autour de sa maison.
« Je suis allé perfectionner ma ruine en achetant des livres. » C. Dantzig
La lecture parachève la ruine. La lecture n’achève pas la ruine. La lecture n’inachève pas la ruine. La lecture sauvegarde la ruine. La lecture sauvegarde la ruine de l’âme par le geste de marcher autour, par le geste de tourner autour, par le geste de danser autour. La lecture sauvegarde la ruine comme si cette ruine apparaissait comme un totem, le totem d’imminence de l’âme, le totem d’imminence aléatoire de l’âme.
« On va repartit à zéro. Non, avant de repartir il faut y aller. On va retourner à zéro. » « Le livre est un véritable ami. » J. L Godard
La lecture affirme le geste de retourner à zéro comme de tourner autour d’un ami. La lecture affirme le geste de retourner à l’ami comme de tourner autour du zéro.
« On écrit de face. On lit de profil. » G. Perros
Le problème reste malgré tout de savoir ce que nous lisons ainsi de profil. Est-ce la pensée de celui qui écrit, le sentiment de celui qui écrit ? Ou encore est-ce le livre même ? Le livre apparaitrait ainsi semblable à un visage, un visage dont celui qui l’écrit ne parviendrait à voir uniquement que la face et celui qui le lit uniquement que le profil.
Et cette lecture de profil est-elle regard de profil, tact de profil, écoute de profil, flair de profil, dégustation de profil ? Lire de profil est-ce voir de profil la pensée de celui qui écrit, voir de profil le sentiment de celui qui écrit , toucher de profil la pensée de celui qui écrit, toucher de profil le sentiment de celui qui écrit, humer de profil la pensée de celui qui écrit, humer de profil le sentiment de celui qui écrit, goûter de profil la pensée de celui qui écrit, goûter de profil le sentiment de celui qui écrit ?
Deux formes de lecture. Toucher le profil du livre avant de le lire ou toucher le profil du livre après l’avoir lu. Flairer le profil du livre avant de le lire ou flairer le profil du livre après l’avoir lu.
Autre problème. Qui serait apte à lire un livre de dos ? Serait-ce celui qui ne lit pas le livre, celui qui dédaigne le livre ? Celui qui brûle le livre ? Ou celui qui lit uniquement le titre du livre, celui qui lit uniquement le titre du livre sans jamais lire le livre ?
Où finit un livre ? Le livre finit-il sur la page ? Le livre finit-il à l’intérieur du corps de celui qui écrit le livre ? Le livre finit-il à l’intérieur du corps de celui qui lit le livre ?
Relire un livre est-ce une manière de recommencer sa fin ou une manière de finir une fois encore son commencement, une manière de refinir son commencement ?
Relire un livre est-ce lire une fois encore le même livre avec un autre corps ou lire une fois encore le même corps avec un autre livre ?
Où le livre apparait-il relu ? A l’intérieur de l’espace où le lecteur l’ouvre une fois encore ou à l’intérieur du temps où il est resté fermé zéro fois, zéro fois d’innombrables fois, zéro fois comme d’innombrable fois ?
« La véritable vie spirituelle consiste en une relecture. » E. Canetti
La relecture n’est en relation ni avec la vérité, ni avec la vie, ni avec l’esprit. La relecture révèle plutôt un jeu, une illusion. La relecture révèle l’amnésie. La relecture révèle le jeu de l’amnésie. La relecture révèle la matière de l‘amnésie, le jeu de matière de l’amnésie, la matière d’amnésie de l’illusion. La relecture révèle l’existence comme jeu de matière de l’amnésie, comme matière d’amnésie de l’illusion.
« Combien on s’ignore, on le mesure en se relisant. » P. Valéry
Nous restons inconnus par la relecture, par le hasard de la relecture, par le hasard nécessaire de la relecture. Relire c’est une manière d’indiquer le savoir de l’inconnu, une manière d’échafauder le savoir de l’inconnu, une manière d’échafauder d’indices le savoir de l’inconnu. Relire c’est une manière de jouer à savoir l’inconnu, de jouer à savoir ce qui reste inconnu (ce qui reste inconnu en dehors d’un désir quelconque de maitrise)
La relecture ressemble à une manière de ratisser son âme. La relecture ordonne des graviers et parfois même des gravats. La relecture range des ruines. La relecture ne ratisse pas uniquement le sol de l’âme, le sol de ruines de l’âme. La relecture ratisse aussi les murs et les toits des ruines de l’âme. La relecture ratisse à la fois des torrents et des cathédrales. La relecture ratisse avec la même solennité les atomes, les gadgets, les torrents et les cathédrales.
Relire c’est une manière de ranger la forêt, de classer les tremblements de terre, d’ordonner les déserts et d’architecturer les océans.
La relecture remet en ordre sans malgré tout savoir pourquoi. La relecture accomplit des réajustements sans avoir cependant d’intentions précises. La relecture ne réajuste pas pour mémoriser. La relecture ne réajuste pas pour donner forme et parfois même à l’inverse par ce geste de réajustage, la relecture déséquilibre les formes. La relecture ne réajuste pas pour deviner ou pour savoir. La relecture réajuste comme cela est dit à propos des chaussettes. La relecture ratisse l’âme avec des chaussettes. La relecture ratisse l’âme avec des ritournelles de chaussettes, avec des chaussettes de chansons.
« Apprendre à lire son esprit, et tout le reste vient par surcroit. » P .Valéry
Apprendre à relire sa chair. Apprendre à relire sa chair et par cette relecture de sa chair détruire les restes de la pensée.
Relire apparait comme une expérience extraordinaire parce que relire c’est une manière de répéter son existence. Il est impossible de revivre un amour, malgré tout nous disposons du bonheur de répéter un livre, de répéter le même livre avec une chair, des sentiments, des intuitions différentes ou aussi à l’inverse de répéter des sentiments, des intuitions différentes du livre avec le même je ne sais quoi de l’âme.
La joie de relire ressemble à la joie de manger deux fois le même fruit frais, de manger deux fois le même fruit toujours aussi frais. La joie de relire savoure en même temps la fraicheur d’un fruit et le souvenir de cette fraicheur, et le souvenir immédiat de cette fraicheur, et le souvenir instantané de cette fraicheur, et le souvenir quasi instantané de cette fraicheur.
A chaque fois que nous regardons le titre d’un livre à l’intérieur de notre bibliothèque nous relisons ce livre, et cela même pour ceux que nous n’avons pas encore lus. Il y a aussi des livres qui simplement nous accompagnent que nous avons déjà portés et transportés d’un lieu à un autre de notre existence que nous avons lus er relus avec nos mains, nos vertèbres et notre poitrine (notre thorax) et qui attendent malgré tout d’apparaitre lus par nos yeux et notre cerveau.
La relecture ne devient efficace (heureuse et efficace) que si nous relisons à chaque fois le même livre avec un fragment différent de la chair et de l’âme. Relire sans cesse le même livre uniquement avec es yeux ou uniquement avec le désir, uniquement avec les yeux du désir ou uniquement avec le cerveau, uniquement avec l’envie, uniquement avec le cerveau de l’envie est une attitude (finalement) stérile. La relecture n’a de valeur que si nous parvenons à relire un même livre par le tournoiement des extraits de la chair et de l’âme. La relecture ne devient un geste heureux (un geste enchanteur, un geste féerique) que si ce qui a et lu avec les yeux de la joie (la bouche du désespoir) apparait ensuite relu avec les pieds de la honte puis relu une fois encore avec le crâne de la joie (ou le front du mépris).
« Il y a toujours un mot, des mots, repris le plus souvent d’ailleurs, relus, dévoyés … qui nous commandent de fouiller dans la charpie de nos relectures (l’horizon blanc) » » J. F Lyotard
L’anarchie des relectures ne révèle aucun horizon. L’anarchie des relectures ne révèle aucun sens. L’anarchie de relectures offre un écran. L’anarchie des relectures offre un écran blanc comme blanc. L’anarchie des relectures donne l’écran du hors-tout. L’anarchie des relectures donne l’écran blanc comme blanc du hors-tout.
L’anarchie des relectures offre l’écran du avec et. L’anarchie des relectures offre l’écran du avec hors-tout. L’anarchie des relectures offre l’écran du et hors-tout, l’écran du avec et hors-tout.
L’anarchie des relectures offre l’écran des voix. L’anarchie des relectures offre l’écran de voix du avec et. L’anarchie des relectures offre l’écran de voix du hors-tout, l’écran de voix du avec et hors-tout.
L’anarchie des relectures offre l’écran de voix de l’ainsi avec maintenant. L’anarchie des relectures offre l’écran de voix de l’ainsi noir avec maintenant blanc. L’anarchie des relectures offre l’écran de voix de l’ainsi blanc avec maintenant noir.
« Si une chose peut être relue doit-on s’en émouvoir ? » G. Stein
La relecture survient toujours déjà comme une émotion, l’émotion de vouloir lire la disparition même de la mémoire, l’émotion de vouloir lire l’événement même de l’oubli. La relecture survient toujours déjà comme l’émotion de vouloir lire la météorologie des phrases, la météorologie des phrases illisibles de l’amnésie, les nuages comme les éblouissements de phrases illisibles de l’amnésie.
« Comment se fait-il qu’un nombre, un certain nombre dans chaque génération peut lire ce qui est écrit mais seulement un dans chaque nombre de génération peut écrire ce qui est écrit. » G. Stein
Selon G. Stein il n’y a qu’un seul écrivain par génération, un seul écrivain qui a cependant d’innombrables lecteurs. Le problème reste malgré tout de savoir si chaque écrivain a aussi beaucoup de relecteurs. Chaque écrivain écrit pour d’innombrables lecteurs. Cependant chaque écrivain écrit-il pour d’innombrables relecteurs ? En effet, celui qui relit n’est pas un lecteur et n’est pas non plus pourtant un écrivain, même si pour devenir un écrivain, il est nécessaire de devenir auparavant un relecteur. A quoi ressemble un relecteur ? Le relecteur ce serait celui pour qui chaque livre a un visage. Le relecteur ce serait celui qui parvient à reconnaitre un livre à chaque fois qu’il le rencontre par hasard, qu’il le rencontre une fois encore par hasard. Le relecteur c’est celui qui reconnait un livre non parce qu’il se souvient de ce qu’il y est écrit, plutôt parce qu’il se souvient du lieu et de l’instant où il a lu ce livre et de ce que cette lecture a ainsi provoqué à l’intérieur de son existence. Pour le relecteur un livre ne suscite pas des effets de sens. Pour le relecteur, un livre provoque des formes d’existence.
« Combien on s’ignore, on le mesure en se relisant. » P. Valéry
Comment nous nous oublions, nous ne parvenons à le savoir qu’en relisant les autres. La relecture (la relecture des autres, des livres des autres) révèle une manière de donner forme à son amnésie, une manière de donner une forme miraculeuse a son amnésie.
« Tout ce que l’homme expose ou exprime est une note en marge d’un texte complément effacé. » F. Pessoa
Ce que l’homme appose, expose ou repose apparait comme une note en marge d’un texte intégralement raturé. Relire son existence c’est ainsi raturer la globalité de sa mémoire comme la globalité de la mémoire des autres. Cette rature globale de la mémoire révèle la forme de l’album. Relire c’est composer ainsi un album de bégaiements, l’album de bégaiements de l’amnésie.
« On oublie presque tout ce qu’on a lu. Et pourtant la différence entre un homme qui a lu et un qui n’a pas lu est immense. » C. Orban
Et cela simplement parce qu’oublier quelque chose n’est pas identique à rien. L’oubli de quelque chose n’est pas une absence ou une négation. L’oubli de quelque chose c’est encore une manière d’approcher et de sentir cette chose. Ainsi l’oubli d’un livre c’est encore une manière de l’avoir lu. L’oubli d’un livre survient même qui sait comme une manière de relire ce livre, de relire ce livre encore et encore. L’oubli d’un livre serait alors une manière de relire ce livre comme translucidité, comme translucidité parmi les choses, comme forme translucide parmi les choses. C’est ainsi comme si il y avait deux temps de la lecture, le temps de la lecture elle-même sur la table ou à l’intérieur du fauteuil et le temps de sa relecture, de sa relecture translucide parmi les choses, le temps de sa relecture translucide parmi les choses comme geste de l’oubli, comme geste absurde de l’oubli.
« Certains maniaques, dans la marge du livre fiévreusement découpé, ne peuvent s’empêcher de déposer comme instinctivement le résultat à peine intelligible de leurs réflexions. Font un livre, hybride avec l’œuvre lue. » G. Perros
Il y a malgré tout différentes manières d’écrire en marge d’un livre. Il y a ceux qui inscrivent des phrases en marge d’un livre comme un homme marche au bord du rivage de l’océan. D’autres comme un homme marche au bord d’une falaise, d’autres comme un océan marche sur le rivage d’un homme, d’autres comme une falaise marche au bord d’un homme. Et il y a enfin ceux qui inscrivent des phrases en marge d’un livre comme un océan marche au bord d’une falaise ou comme une falaise marche au bord de l’océan, comme un océan enfant marche au bord d’une falaise immémoriale ou comme une falaise enfant marche au bord d’un océan immémorial.
Avoir une âme c’est relire. Avoir une âme c’est inventer à chaque instant une forme de relecture. Avoir une âme c’est non seulement relire les livres que nous avons déjà lus, c’est surtout relire le temps de son existence. Avoir une âme c’est parvenir à évoluer à l’intérieur du temps de son existence comme à l’intérieur d’un livre, un livre à la fois connu et inconnu, c’est à dire à l’intérieur d’un livre qui apparait à la fois comme une œuvre dont nous sommes l’auteur et comme une œuvre créée par le monde.