Miroir
Le miroir est un masque. Le miroir est le masque du néant. Le miroir est le masque de lumière du néant.
La duplicité du miroir masque simultanément l’unicité du visage et la multiplicité du monde.
Les miroirs sont les masques de ceux qui désirent ressusciter sans être jamais nés.
Chaque fois que l’homme se regarde dans le miroir, il est momentanément mort. Dans le miroir, l’homme ne voit pas le cadavre qu’il sera après sa mort, il voit le cadavre qu’il a été avant de naitre. Dans le miroir, l’homme voit le cadavre du non-né.
Le double dans le miroir est l’image possible de ce que qu’un corps aurait été s’il n’était pas né. Le double dans le miroir atteste l’immaculée conception de la mort.
Ce qu’un homme voit dans le miroir n’est ni l’image de sa présence, ni l’image de son passé ni l’image de son futur. Ce qu’un homme voit dans le miroir est l’image de son désir d’éternité.
Ce que l’homme voit dans le miroir est son sosie exsangue, le sosie de l’adieu éternel qui ignore le sang.
L’image d’un homme dans le miroir ressuscite son cadavre en tant que divertissement d’incertitude de l’insomnie.
Celui qui vit à chaque seconde devant un miroir se change en criminel insignifiant, le criminel du suicide éternellement manqué de la mort.
Le bavardage de mutisme du miroir prononce à chaque seconde ces mots « Si je meurs avant moi, je serai jaloux de moi. »
Le miroir mutile l’air en le dédoublant.
Le miroir atteste la parthénogénèse des simulacres.
Le dédoublement du miroir simule la multiplication du désir.
L'image dans le miroir atteste la mutilation de la lumière entre la totalité des corps.
Les miroirs sont les excréments d’éternité de la lumière.
Se regarder dans le miroir est identique à abolir l’espace entre ses deux yeux.
Le narcisse ne désire pas son image dans le miroir. Le narcisse désire le miroir lui-même. Le narcisse désire la substance de substitution du miroir lui-même.
Le narcisse vit la totalité de sa vie sans jamais apparaitre seul. Le narcisse ne voit jamais aucun homme autour de lui. En effet, le narcisse pense qu’il est l’être humain exclusif de l’univers et il estime que les objets qui se manifestent autour de lui n’ont pas d’autre fonction que celle d’être ses miroirs.
Le narcissisme est une sorte de prestidigitation oculaire. Le narcissisme est la prestidigitation de fermer les yeux sans fermer les paupières.
Les hommes modernes vivent de telle façon qu’ils peuvent se regarder sans gêne dans le miroir. S’ils ne sont pas gênés lorsqu’ils se regardent dans le miroir c’est parce que le miroir est ce qui à chaque seconde les génère. Le miroir à chaque seconde les génère à travers les ultimatums de virginité de la gloire. Le malheur est que c’est exclusivement devant les miroirs qu’ils peuvent faire croire qu’ils vivent de façon digne. En l’absence de miroir ils ne sont que des spectres informes, c’est la raison pour laquelle ils sont obligés d’emporter partout avec eux un miroir virtuel en tant qu’instrument témoin de leur survie.
L’homme produira sans doute à l’avenir une machine d’auto-surveillance incessante de son propre visage. Cette machine déterminera conceptuellement à chaque seconde la structure des traits du visage et la structure des sentiments qui modifieront ses traits. Cette machine produira ainsi une sorte de chirurgie à la fois esthétique et affective qui accomplira un contrôle permanent de l’image humaine. L’homme sera alors masqué à travers le changement même de sa pensée.
Le miroir est la plus stupide des surfaces d’inscription. Le miroir n’est en effet saturé que de traces de gomme.
L’image dans le miroir est similaire à une photographie qui ne subsiste qu’à condition d’anéantir la feuille de papier sur laquelle elle a été développée.
Lorsque l’incertitude du miroir désire l’homme, l’homme ne sait pas alors comment relire ce que son charme a écrit.
Chaque miroir est un désert érudit.
Le miroir mime un désert de meurtres indécidables.
La vanité de l’homme est la sincérité de son cadavre.
La vanité est le désir de changer son visage en nombril de cristal.
Le vaniteux meurt empoisonné à travers les postillons d’impatience du miroir.
La vanité est le désir d’être reconnu singulier sans avoir la volonté d’apparaitre seul.
La vanité est le désir de libérer la prison d’ubiquité de son sosie.
Ecouter en société les échanges de stéréotypes entre son visage et son ombre est le signe d’une vanité vulgaire.
L’homme vaniteux est satisfait d’être l’impossibilité de rêver d’un autre homme qui pourtant n’est pas encore né.
Le sosie n’est jamais monstrueux. Le sosie est le suppôt de parthénogénèse de la justice qui interdit la monstruosité.
Il est impossible de rompre avec son sosie. Il est impossible de se détacher de son jumeau ombilical. En effet ce sosie est le suppôt même de la scission, ce jumeau est le représentant même du détachement.
Il est impossible de savoir quelle est l’influence mentale des images projetées sur un visage.
Le miroir change la joie d’exister en dehors de l’être en frayeur d’être au-delà de l’existence.
Celui qui désire que tous ceux qui le voient l’adorent éternellement, s’interdit de rencontrer le miracle mortel de l’amour.